Baisse des taux de la Fed: tout comprendre à cette décision aux effets planétaires

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Une mesure pour faciliter l'endettement des ménages et « relancer » l'économie américaine

VIDÉO - Ce mercredi, la Federal Reserve américaine a annoncé une baisse de ses taux directeurs, en réponse à l’inflation jugée trop basse ainsi qu’au ralentissement de l’activité. Le Figaro vous explique les tenants et aboutissants de cette décision.



Une première en onze ans. Ce mercredi, la banque centrale américaine (la Federal Reserve, ou Fed) a annoncé une baisse de ses taux d’intérêt, de l’ordre de 0,25 point de pourcentage, ce qui les ramène sous 2,25% . Une décision lourde de conséquences, mais qui reste difficile à comprendre. Le Figaro vous explique comment cette annonce peut bouleverser l’économie mondiale.


● Que signifie une baisse des taux d’intérêt?


La Federal Reserve peut notamment agir sur le «funds rate», c’est-à-dire le taux d’intérêt que les banques se facturent entre elles pour se prêter de l’argent sur le marché des fonds fédéraux au jour le jour. «C’est un coût de base, tous les autres taux sont fixés par rapport à lui», résume le responsable de la recherche Fixed income chez Société générale CIB, Guy Stear. Ces taux essentiels sont dits «directeur», car ils influencent l’ensemble du marché lorsqu’ils sont modifiés.


● Comment est décidée la baisse?


La décision de la Fed est prise dans le cadre du Federal Open Market Committee (FOMC). Cette structure se réunit huit fois par an. Elle «examine les conditions économiques et financières, détermine l’orientation appropriée de la politique monétaire et évalue les risques qui pèsent sur ses objectifs à long terme». Dit simplement, le FOMC est chargé de la politique monétaire des États-Unis, et donne le ton en matière de taux d’intérêt. Il est composé de douze membres, dont les sept membres du conseil des gouverneurs de la Fed, le président de la Federal Reserve Bank of New York et quatre présidents des autres Reserve Banks américaines.


Dans ses missions, la Fed est chargée par le Congrès de définir une politique monétaire remplissant trois objectifs: garantir un emploi maximal, des prix stables et des taux d’intérêts à long terme modérés. Le FOMC participe à l’accomplissement de ces objectifs: si la population peut emprunter et consommer, cela crée les conditions pour une augmentation des prix. En cela, les taux d’intérêt ont un effet direct sur l’inflation. En janvier 2012, le comité a déclaré qu’une inflation de 2% «correspondait le mieux à long terme au mandat» de la Fed, car il constitue un juste milieu permettant de consommer tout en évitant une déflation.


● Quels sont les effets attendus?


Lorsque l’économie ralentit, la Fed peut être tentée de baisser ses taux directeurs, ce qui pousse les différents acteurs économiques à emprunter pour investir et consommer, favorisant la croissance. «Si le taux est plus bas, le coût de l’argent, c’est-à-dire la somme qu’il faudra rembourser in fine, sera moins important», explique Nicolas Goetzmann, responsable de la recherche et de la stratégie économique à la Financière de la cité. «Le coût de l’argent baisse, ce qui encourage les individus et sociétés à emprunter, faire des investissements et dépenser», renchérit Guy Stear. À l’inverse, «si l’économie fonctionne à plein régime, la Fed peut relever ses taux afin d’éviter une surchauffe du système», poursuit Nicolas Goetzmann.


Concrètement, à l’issue de la réunion du FOMC, la Fed publie un communiqué dans lequel elle précise ses décisions relatives au taux d’intérêt. Derrière, le président de l’institution, Jerome Powell, tient une conférence de presse très attendue, dans laquelle il explique la décision de la Fed, et parle de la situation économique américaine. «Plus encore que l’annonce du taux, c’est le commentaire derrière qui importe, analyse Guy Stear. Il permet de voir s’il s’agit, pour la Fed, du début d’une longue période de baisse des taux, ou si elle attend de voir comment évoluera l’économie américaine dans les prochains mois».


● Comment a évolué le taux ces dernières années?


Une baisse du taux d’intérêt de référence est rare, et signifie que l’économie fait face à des difficultés. En décembre 2008, la Fed a baissé ses taux dans une fourchette de 0% à 0,25%, en expliquant cela par «la conjoncture économique difficile», la «baisse de l’inflation» et la diminution des «dépenses de consommation, des investissements des entreprises et de la production industrielle». À l’époque, l’institution comptait sur cette baisse pour contrecarrer la crise financière qui frappait les États-Unis.


Les taux sont restés à ce niveau pendant près de sept ans. En mars 2015, après plusieurs années difficiles, constatant que «les risques qui pèsent sur les perspectives d’activité et du marché du travail» s’étaient considérablement réduits, le FOMC prévenait que les taux allaient à nouveau augmenter sur le moyen terme. Le temps de «l’argent gratuit» prenait fin, avec «une approche équilibrée», en douceur. À partir de décembre 2015, les taux directeurs ont augmenté graduellement, atteignant une fourchette de 1,25% à 1,50% en décembre 2017 et 2,25% à 2,50% un an plus tard.




Ils ont augmenté sans arrêt depuis, sauf en 2019, où ils ont stagné. Cette fois-ci, la Fed a annoncé une baisse d’un quart de point de pourcentage des taux d’intérêt, cassant la dynamique visible depuis 2015. Et ce, malgré le dynamisme insolent de l’économie américaine. C’est sur cette contradiction que l’explication de Jerome Powell est attendue.

● Pourquoi est-ce si important pour Donald Trump?


Le président des États-Unis a fait de la hausse des taux d’intérêt un casus belli . Donald Trump est revenu régulièrement sur ce sujet, en expliquant que ces augmentations successives étaient «une erreur» qui pénaliserait l’activité américaine sur le long terme. «La Fed a «levé» [les taux] trop vite et beaucoup trop. […] Alors que notre pays se porte très bien, la création potentielle de richesse qui a été manquée, en particulier par rapport à notre dette, est stupéfiante», regrettait-il ainsi sur Twitter il y a quelques jours. Pour l’occupant du Bureau ovale, mieux vaut une baisse forte des taux qui pousse les Américains à dépenser, quitte à faire augmenter l’endettement. Une logique qui se comprend notamment lorsqu’on sait que les États-Unis sont en pleine période électorale, et que le dynamisme économique est un argument phare de Donald Trump.





Mardi, le président a ainsi déclaré qu’il souhaitait «voir une forte baisse» des taux, bien plus massive que celle de 0,25 point de pourcentage attendue. «Si la Fed avait bien fait son travail, ce qu’elle n’a pas fait», la Bourse, la croissance et le marché du travail américains se porteraient mieux, considère Donald Trump, qui n’a cessé de critiquer les décisions de Jerome Powell. «Obama avait des taux d’intérêt zéro, nous avons des taux d’intérêt normalisés», s’est-il plaint cette semaine.


Pour Nicolas Goetzmann, la baisse prévue de 0,25 point de pourcentage ne pouvait qu’être considérée comme insuffisante par Donald Trump, ce qui s’est confirmé à la suite de l’annonce de Jerome Powell. «L’économie américaine repose largement sur sa demande intérieure, plus qu’en Europe. Il veut donc compenser les effets de sa guerre commerciale avec la Chine en soutenant l’activité nationale», résume-t-il.


● Assiste-t-on à une «guerre des taux»?


C’est l’un des arguments de Donald Trump: «nous sommes en concurrence avec des pays qui jouent contre les États-Unis. C’est ce pourquoi l’Union européenne a été formée… Et pour la Chine, jusqu’à maintenant, les États-Unis ont été une cible de choix», s’est-il insurgé en ligne. Selon lui, l’économie américaine ne peut l’emporter face à des compétiteurs - Pékin et le Vieux continent - qui maintiennent, eux, des taux bas. Si les entreprises et les consommateurs européens peuvent emprunter à faible coût, ce n’est pas pour autant le cas des Américains, argumente-t-il. Une politique de taux bas qu’il qualifie de «très injuste pour les États-Unis».





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Pour Guy Stear, «Donald Trump pense que les taux sont trop hauts par rapport à d’autres pays. Pour lui, le dollar est trop fort par rapport aux autres monnaies, ce qui, à ses yeux, freine les exportations des entreprises américaines». De son côté, Nicolas Goetzmann estime que le raisonnement de l’occupant du Bureau ovale manque de perspective: «si la Chine et l’Union européenne baissent leurs taux, et entrent dans une guerre des monnaies, chacun soutient son économie intérieure, ce qui bénéficie au monde entier» en donnant un coup de fouet à la demande.


La Banque centrale européenne a annoncé, la semaine dernière, qu’il était nécessaire de maintenir «une orientation très accommodante de la politique monétaire pendant une période prolongée». Les taux demeureront «à leurs niveaux actuels, ou à des niveaux plus faibles, au moins pendant le premier semestre 2020», annonçait l’institution dirigée par Mario Draghi.


● Baisser les taux, est-ce une bonne chose?


Cette question s’avère plus délicate qu’il n’y paraît. Baisser les taux d’intérêt permet de réduire le coût de la dette pour les Etats, les entreprises et les ménages, améliore la consommation, les investissements et renforce l’économie. «Conjoncturellement, la guerre commerciale entre Pékin et Washington peut avoir un début d’effet négatif sur l’économie comme sur le niveau d’investissement des entreprises américaines, inquiètes pour l’avenir», explique Nicolas Goetzmann. Baisser les taux pourrait limiter ce ralentissement.


La Fed s’étonne également que les prix ne grimpent pas, alors que le chômage américain, à 3,6%, est censé avoir atteint son niveau structurel. Dans ces conditions, accompagner la croissance pour continuer à faire baisser le chômage pourrait enclencher l’inflation, permettant à l’institution de remplir sa mission. «Baisser les taux aujourd’hui permettra de les augmenter à plus long terme», ajoute l’expert.


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Néanmoins, cette politique reste contestée. D’abord, les taux bas grignotent la rentabilité des banques, qui gagnent moins d’argent en prêtant à leurs débiteurs. «Les banques gagnent moins d’argent en prêtant, mais elles paient également moins en empruntant», nuance toutefois Guy Stear. Ensuite, l’effet réel d’une politique de taux bas sur la consommation reste à démontrer: «les réductions des taux d’intérêt à court terme sont moins efficaces pour stimuler la croissance du crédit bancaire lorsque les taux atteignent un niveau très bas», concluait ainsi une étude pour la Banque des réglements internationaux en février 2017. Face à la baisse de leurs marges, les établissements bancaires peuvent par exemple décider de réduire le flot de prêts pour limiter les pertes. Rien n’indique non plus que les acteurs économiques, inquiets pour l’avenir, ne privilégieront pas l’épargne plutôt que la consommation.


Egalement, les taux bas favorisent une croissance dopée par l’emprunt, la dette et le crédit. Une base instable, qui laisse les acteurs économiques vulnérables à une hausse des taux. «Tout dépend de la raison pour laquelle les entreprises empruntent. Elles peuvent créer des dividendes plus importants pour les actionnaires, ou créer des usines sur le sol américain et des emplois», estime l’expert de Société générale CIB.


Une baisse des taux ne fait donc pas l’unanimité. Elle est notamment contestée par le président de la Réserve fédérale américaine de Boston, Eric Rosengren, qui ne souhaitait pas de réduction «si l’économie va parfaitement bien sans ce coup de pouce». Même son de cloche du côté d’Esther George, de l’antenne de la Fed à Kansas City: «je ne vois pas d’argument en faveur d’une baisse de taux pour l’instant», a-t-elle déclaré en mai. Une baisse des taux est toutefois soutenue par l’ancienne présidente de la Fed, Janet Yellen, celle-là même qui avait relevé les taux pour la première fois en 2015...