Avec une campagne habile, Le Pen réduit la marge

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Même Radio-Canada est obligé de l'admettre !


Le Vieux Continent tout entier a les yeux rivés sur la France. La grande question du deuxième tour de la présidentielle : qui l'emportera, entre le chantre optimiste de l'Union européenne et de la mondialisation, et l'héritière d'une formation et d'une tradition d'extrême droite qui prétend l'avoir purgée, modernisée et « dédiabolisée »?



Dit autrement, en termes journalistiques convenus : est-ce que la « vague populiste » en Occident va s’arrêter en France, après avoir depuis dix mois, triomphé au Royaume-Uni (Brexit) et aux États-Unis (Trump), mais trébuché en Autriche (décembre 2016) et aux Pays-Bas (mars 2017)?


Posée de cette façon, la question est un peu simpliste. En Autriche, le candidat d’extrême droite à la présidence a bien perdu l’élection du 4 décembre 2016, mais il a tout de même obtenu plus de 46 % des suffrages exprimés. Cette défaite du Parti de la liberté (cousin du Front national français) était également une victoire morale, pouvant annoncer une revanche aux législatives de 2018.


En France, une défaite « honorable » de Marine Le Pen contre Emmanuel Macron, avec un score supérieur aux attentes, pourrait très bien être interprétée de la même manière. Si Mme Le Pen, le 7 mai, arrivait à dépasser 42, voire 45 % des suffrages, elle pourrait sans mal crier à la « victoire morale » et on pourrait difficilement prétendre que c’en est fait de son mouvement.


Surtout dans un contexte où la plupart des dirigeants de la droite classique et de la gauche, à l’exception de Jean-Luc Mélenchon (candidat de la gauche radicale), se rangent ouvertement et explicitement en faveur d’un vote « républicain » au second tour, c'est-à-dire pour Macron.


Départ difficile pour le second tour


M. Macron a « patiné » au cours des premiers jours de cette courte campagne à deux. On lui a reproché son triomphalisme au soir du premier tour. Le lendemain, il est resté à Paris alors que son adversaire battait déjà la campagne sur le terrain.


Mercredi, il s’est fait piéger à Amiens, où une grande usine d’électroménagers, employant des centaines de personnes, a annoncé son déménagement en Pologne (pays où les salaires sont trois ou quatre fois inférieurs). Un de ces cas de délocalisation et de « mondialisation sauvage » que Marine Le Pen adore dénoncer.


Pendant que M. Macron rencontrait dans un restaurant de la ville des patrons et représentants syndicaux (ayant prévu ensuite aller rencontrer les ouvriers), Mme Le Pen s’est précipitée à l’usine pour se faire prendre en photo avec les employés dans le stationnement, et leur dire qu’avec elle, on rétablira de vraies frontières nationales et qu’il n’y aura plus de délocalisations.



Marine Le Pen avec des travailleurs d'Amiens

Marine Le Pen a marché sur les platebandes d'Emmanuel Macron en débarquant à l'usine Whirlpool d'Amiens, où il se trouvait déjà, pour rencontrer les employés. Photo : EPA/Christophe Petit Tesson


Arrivé ensuite sur les lieux, M. Macron a eu beau tenter d’expliquer que « ceux qui vous disent qu’on peut protéger les emplois en érigeant des barrières et en sortant de l’Europe, ils vous mentent », le mal était fait et il n’a pas bien paru dans cet échange.


Macron, c’est aussi l’homme qui a déjà dit : « Il n’y a pas une culture française; il y a une culture en France et elle est diverse. » Alors, on a en fait – en exagérant – une sorte de multiculturaliste qui se ficherait de l’identité française, un apôtre du déracinement postmoderne et aussi une sorte d’optimiste gentil, voire niais.


Mais la comparaison (fréquente, qu’elle soit positive ou négative) avec Justin Trudeau est un peu outrée. M. Macron, malgré ses maladresses oratoires, a des lettres que n’a pas M. Trudeau. Et ce n’est pas non plus un idéologue multiculturaliste.


Nationaliste déclarée, défenderesse des « petits » contre la classe politique exécrée – alors qu’elle est elle-même une véritable héritière politique, née d’un père riche – Mme Le Pen a beau jeu, aujourd’hui, de dire, devant le « vote Macron » des états-majors (Fillon, Sarkozy, Hollande, Hamon, etc.) que « vous voyez bien, ils sont tous contre moi ».


Mais l’ironie, pour M. Macron, c’est que ces ralliements ne semblent pas suivis à la base. Il n’y a plus, en 2017, le vaste « front républicain antifasciste » qui s’était formé à la veille du second tour au printemps 2002, contre Jean-Marie Le Pen. Cette année-là, Jacques Chirac l’avait emporté par le score phénoménal de 82-18.


Une humeur à l’abstention


En ce printemps 2017, l’humeur de beaucoup d’électeurs de Mélenchon, mais aussi de Fillon, serait plutôt à l’abstention, si ce n’est carrément au vote Le Pen. Vendredi, Le Monde titrait en manchette : « Le désarroi des électeurs de Mélenchon et de Fillon ».


Et ce n’est pas seulement les électeurs ruraux et catholiques, base du vote Fillon. Jeudi, environ 2000 étudiants ont défilé à Paris aux cris de « ni Marine, ni Macron; ni patrie, ni patron », pour proclamer que le duel du second tour de la présidentielle ne les concernait pas. Pour beaucoup, Macron, suppôt de la haute finance, ne serait ni mieux ni pire qu’une candidate d’extrême droite.


Ce sont là des évolutions inquiétantes pour ceux qui considèrent le vote comme un devoir, et le front républicain comme un réflexe légitime face à une « menace Le Pen ».


Les sondages au soir du premier tour donnaient à M. Macron une marge dans les 62-38. Eh bien, à la fin de la semaine, on en serait plutôt à 59-41. Bien entendu, ça reste une grosse marge, et Macron est toujours favori pour l’emporter.


Une victoire de Marine Le Pen le 7 mai serait une surprise énorme, un coup de tonnerre, un changement de cap fondamental pour la France, et même pour l’Europe. Voilà une candidate qui non seulement dénonce avec furie la mondialisation, mais qui préconise un référendum sur la sortie de l’Union européenne, et fait les yeux doux à la Russie.


M. Macron espère – ou espérait – une victoire assez convaincante pour créer une vague au profit de son mouvement « En marche! » et aller ensuite chercher une majorité aux législatives de juin. Non pas 82-18, certes, mais disons 66-33.


Avec le jeu des reports et des abstentions, avec la dynamique des derniers jours et la « dédiabolisation » réussie de Marine Le Pen, on est beaucoup plus proche de 60-40, et peut-être même de 55-45. Une « zone de danger » pour M. Macron, qui avec un tel score étriqué pourrait devenir un président impuissant et ligoté.



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