Au nom de la libre concurrence

Enquête publique - un PM complice?


Kathleen Lévesque , Alec Castonguay - L'industrie de la construction est venue tourmenter hier une fois de plus le gouvernement Charest avec l'existence d'une brèche dans la loi anticollusion, ainsi que la mise au jour des liens avec la mafia. Toute cette matière explosive a alimenté pour une énième fois les demandes pour la tenue d'une enquête publique.
L'opposition officielle à l'Assemblée nationale ne s'est pas fait prier pour talonner les libéraux lors de la période de questions. Toute l'équipe a été mise à contribution.
D'entrée de jeu, Pauline Marois a attaqué sur le front de la mafia: «Est-ce que le premier ministre peut nous expliquer comment, en 2010, une famille mafieuse de Montréal peut influencer l'octroi des contrats de construction?»
La chef péquiste s'appuyait ainsi sur le témoignage du policier Lowry McDougall, de la Gendarmerie royale du Canada, au cours d'un procès qui s'est déroulé récemment en Italie. M. McDougall affirme que le clan Rizzuto influençait l'attribution des contrats dans le secteur de la construction en échange d'une ristourne de 5 %. L'information est révélée dans le livre Mafia inc. des journalistes André Cédilot et André Noël.
Malgré les questions répétées depuis deux jours en Chambre, Jean Charest est demeuré de glace. Hier, il a réitéré la volonté de son gouvernement de mener non pas une enquête, mais des enquêtes sur les allégations soulevées. «Nous continuerons d'agir avec détermination», a affirmé le premier ministre.
Mais pour le PQ, il est clair que le gouvernement a laissé la mafia gangrener le système d'octroi de contrats au Québec. Seule une enquête publique peut apporter un éclairage véritable sur la situation, martèle-t-on. «Tout le monde au Québec a compris que si le Parti libéral refusait une enquête publique sur la construction, c'est qu'il a des choses à se reprocher», a lancé Mme Marois.
Puis, ce fut au tour du ministre des Affaires municipales, Laurent Lessard, d'être mis sur la sellette à cause du contournement de la loi anticollusion. C'est au nom de la libre concurrence que le gouvernement a permis à l'industrie de la construction de se constituer une liste des soumissionnaires, ce qu'il interdit maintenant aux municipalités.
C'est ainsi que Laurent Lessard justifie qu'il se soit plié aux arguments de l'industrie de la construction. Comme le révélait hier Le Devoir, le Bureau des soumissions déposées du Québec (BSDQ), un organisme appartenant à l'industrie de la construction, a mis en place en mai dernier un système informatique permettant de connaître le nombre et l'identité des soumissionnaires pour un contrat municipal.
Ce système, appelé TES (Transmission électronique de soumissions), est une liste volontaire d'entrepreneurs généraux qui souhaitent se faire connaître afin de recevoir les offres de services de sous-traitants. Mais ce faisant, la non-divulgation des soumissionnaires imposée aux municipalités depuis le 1er septembre dernier ne change rien à la possibilité pour des entrepreneurs de se concerter pour établir les prix ou pour inviter un concurrent à ne pas soumissionner: ils savent qui s'est procuré les documents d'appels d'offres.
«La loi est contournée par des entrepreneurs à cause de la négligence du ministère des Affaires municipales [...] qui a donné son assentiment à la mise en place de la transmission électronique des soumissions. [...] Il ne fait rien pour que cet outil ne serve pas à des fins de collusion», a soutenu le député Daniel Ratthé, porte-parole du PQ en matière d'affaires municipales.
L'Association de la construction du Québec est intervenue auprès du ministre, car la disposition de non-divulgation dans le projet de loi 76 ne se limitait pas au monde municipal. Le projet de loi 102 adopté en juin dernier est venu modifier la précédente loi et ainsi ouvrir la porte à l'industrie de la construction. «C'est une recommandation qui nous était faite pour permettre une libre concurrence, pour éviter les effets pervers», a indiqué le ministre.
Certains grands donneurs d'ouvrages estiment pourtant que pour éviter la collusion et l'intimidation entre les entrepreneurs en construction, l'identité des soumissionnaires lors des appels d'offres doit absolument être protégée. C'est le cas de la Commission scolaire de Montréal (CSDM), la plus importante au Québec.
Même si les commissions scolaires ne sont pas soumises à la règle de non-divulgation, la CSDM a changé son processus d'attribution de contrats depuis que la controverse a éclaté, en octobre 2009. Elle utilise toujours le site Constructo.ca, soit le Système électronique d'appels d'offres (SEAO) du gouvernement du Québec, mais elle interdit de dévoiler le nom des soumissionnaires intéressés par un chantier. «On a changé nos pratiques, même si on n'était pas obligé. On donne beaucoup de contrats, en raison de la grosseur de notre parc immobilier. Pour éviter la collusion, il faut cesser d'afficher les soumissionnaires», dit Alain Perron, responsable des relations avec les médias à la CSDM.
Avant d'entrer en Chambre, M. Lessard avait expliqué assez laborieusement qu'il s'agissait d'une minorité de contrats municipaux, ceux concernant les bâtiments spécialisés, qui étaient visés par la TES. En comparaison, ce sont 80 % des contrats qui portent sur des travaux de voirie et d'aqueduc.
«Avec le BSDQ, on fait des analyses périodiques pour faire en sorte qu'on puisse détecter si quelqu'un triche ou pas», a dit le ministre pour se montrer rassurant.
Au BSDQ, on a plutôt expliqué au Devoir que si le gouvernement souhaitait obtenir des informations, il obtiendrait la collaboration de l'organisme. Mais pour l'instant, aucune vérification du genre n'avait été faite.
***
Avec la collaboration de Robert Dutrisac


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->