Analyse : Trudeau domine les villes, Scheer à la conquête des campagnes

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Qui occupe les zones urbaines votant libéral ? Les immigrés et les bobos, tout simplement


Dis-moi où tu habites et je te dirai pour qui tu votes. Ce pourrait être la nouvelle maxime de la campagne électorale fédérale, qui offre un portrait saisissant du clivage gauche-droite qui prend de l’ampleur entre les circonscriptions urbaines et rurales du pays.


Justin Trudeau domine presque sans partage les villes, alors qu’Andrew Scheer contrôle les campagnes. Et au milieu, dans les banlieues et les agglomérations semi-urbaines, le choc entre libéraux et conservateurs est total alors que les deux formations se divisent les faveurs de l’électorat. C’est là que se jouera la couleur du gouvernement.



C’est ce qui ressort d’une compilation inédite de la moyenne des sondages réalisée par L’actualité, avec la collaboration de Philippe J. Fournier, créateur des sites Qc125 et 338Canada, spécialisés en sondages et en projection des résultats.


Nous avons divisé les circonscriptions en fonction de la densité de la population, puis avons réparti ces endroits en trois grandes catégories : circonscriptions urbaines, banlieues ou zones semi-urbaines, et régions rurales.



 


En ce qui a trait aux 86 circonscriptions urbaines du pays, le Parti libéral du Canada (PLC) pourrait en rafler les deux tiers puisqu’en ce moment (24 septembre), il est en avance dans 58 d’entre elles. Le Parti conservateur du Canada (PCC) pouvait espérer en remporter 8 et le NPD, 6. Une domination sans partage. Le Bloc québécois et le Parti vert sont chacun en avance dans une circonscription urbaine. Certaines luttes sont trop serrées pour déclarer l’avantage à un parti (12). En 2015, Justin Trudeau avait remporté 80 % des circonscriptions urbaines, soient celles où résident plus de 2 000 habitants au kilomètre carré.


En ville, les libéraux récoltent l’appui de 41,6 % des électeurs, selon la moyenne des sondages. Les conservateurs, à 25,5 %, suivent loin derrière. Le NPD (15,6 %) et le Parti vert (9,5 %) ferment la marche.




En revanche, sur les 119 circonscriptions rurales du pays (moins de 50 personnes au kilomètre carré), le PCC est prédit gagnant ou en avance dans 64 d’entre elles, et le PLC, dans seulement 28. Le NPD (3) et le Bloc (4) suivent. Vingt circonscriptions sont trop serrées à l’heure actuelle pour y déceler une tendance.


Les conservateurs, avec 41,3 % des appuis, sont loin devant les libéraux (26,6 %), le NPD (13,2 %) et le Parti vert (10,1 %).



 




Est-ce un hasard? Pas tout à fait. Même s’il faut éviter les généralisations — chaque circonscription possède sa propre dynamique — les politologues sont nombreux à constater un clivage de valeurs entre les habitants des villes et ceux des campagnes.


Cette fracture tend à polariser le vote, soutiennent les chercheurs David McGrane, Loleen Berdahl et Scott Bell, de l’Université de la Saskatchewan, dans leur article « Moving Beyond the Urban/Rural Cleavage : Measuring Values and Policy Preferences Across Residential Zones in Canada », paru en 2017. Les auteurs ont interrogé les électeurs à propos d’une vingtaine de valeurs et de préférences politiques (leur confiance envers les grandes entreprises et envers les syndicats, leur appui à l’intervention du gouvernement dans la société, la place des femmes, l’importance de l’environnement et de la famille, etc.).


« Le clivage idéologique entre les habitants des grandes villes, plus à gauche, et les autres Canadiens, plus à droite, est clair, écrivent les chercheurs. Lorsqu’on analyse les 20 indicateurs, on constate que les résidants des banlieues, des petites villes et des régions rurales se trouvent plus à droite politiquement que la moyenne, alors que les habitants des grandes villes se trouvent à gauche de la moyenne. » Ce qui tend à expliquer le succès de Justin Trudeau dans les circonscriptions des grands centres urbains, lui qui se positionne passablement à gauche depuis 2015.


Par exemple, la promesse libérale de bannir les armes d’assaut de type militaire si le parti obtient un deuxième mandat vise davantage une clientèle urbaine, préoccupée par les fusillades dans les lieux publics, notamment à Toronto.



 


Les électeurs des banlieues, même s’ils sont géographiquement près du centre des grandes villes, ont souvent plus de proximité idéologique avec les résidants de la campagne dans certains débats — et sont donc plus conservateurs — en ce qui a trait aux questions sociales et morales. « Le clivage n’est pas seulement entre les villes et la campagne, mais de plus en plus entre le centre des villes et le reste du pays », avancent David McGrane, Loleen Berdahl et Scott Bell.


Sur les questions économiques et le degré d’intervention de l’État dans le fonctionnement de la société, l’écart idéologique entre les résidants des banlieues et ceux des centres urbains est toutefois moins prononcé que sur les questions morales et sociales, selon l’étude. Ce qui explique probablement que libéraux et conservateurs soient en mesure de se disputer âprement ces terrains électoraux indécis que sont les banlieues.


D’ailleurs, si une grande partie des jeux sont probablement déjà faits en ville et à la campagne, ce n’est pas le cas des zones semi-urbaines (entre 50 et 2000 personnes par kilomètre carré).


Sur les 133 circonscriptions qui correspondent à ce profil, le Parti conservateur est projeté en avance dans 53 comtés, contre 39 pour le Parti libéral. Le Bloc (7), le Parti vert (2) et le NPD (1) suivent derrière. Pas moins de 31 circonscriptions sont actuellement dans une lutte trop serrée pour y déceler un avantage pour un parti en particulier, ce qui témoigne de l’âpreté de la course.


En ce qui a trait aux intentions de vote, c’est une course à deux entre le PCC (35,4 %) et le PLC (32,5 %). Le NPD (12,6 %) et le Parti vert (10,1 %) suivent.




Il est ici question des villes de tailles moyennes ou des banlieues des centres urbains, des territoires qui sont souvent peuplés de familles de la classe moyenne, ce qui explique le grand nombre de promesses qui leur sont destinées depuis le début de la campagne électorale.


Ces sont dans ces 133 sièges, où le choix des électeurs est plus volatile, et où les valeurs gauche-droite s’entrechoquent davantage, que se jouera la composition du Parlement le 21 octobre prochain.


Avec la collaboration de Philippe J. Fournier




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