Le carnaval belge d’Alost persiste et signe: accusé d’antisémitisme, ce qui lui a valu d’être rayé du patrimoine immatériel de l’UNESCO, ce défilé festif a décidé de «rire de tout» et a montré, dimanche, de nouvelles caricatures de Juifs orthodoxes.
«Laissez Alost être Alost», avait prévenu, dans la matinée, le maire de la cité, l’élu nationaliste flamand (N-VA) Christoph D’Haese, pointant du doigt les critiques «disproportionnées» venant notamment de voix officielles israéliennes.
«Ce n’est pas une parade antisémite, Alost n’est pas une ville antisémite», a martelé le bourgmestre.
Une vaste polémique avait suivi l’édition 2019 de ce carnaval vieux de 600 ans, quand un char caricaturant des Juifs orthodoxes aux nez crochus, assis sur des sacs d’or, avait pris part au cortège.
Elle a abouti au retrait du carnaval de la liste du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO, une mesure inédite.
L’organisation onusienne a fustigé, lors d’une réunion décisive en décembre, les «répétitions récurrentes de représentations racistes et antisémites» dans la manifestation. À ses yeux, elles sont incompatibles «avec l’exigence du respect mutuel entre communautés, groupes, individus...»
Sur place, à Alost, personne pourtant n’estime avoir manqué de respect aux Juifs, d’après les témoignages recueillis dimanche par l’AFP. Le char controversé de 2019 relèverait d’une simple incompréhension.
«Ils n’ont jamais eu l’intention de se moquer des Juifs et de blesser, l’attention des médias est complètement exagérée», lâche un infirmier de l’hôpital d’Alost, qui préfère taire son nom.
Avec les gros sacs d’espèces, le groupe qui avait affrété ce char voulait faire une allusion à sa propre recherche de fonds pour prendre une année sabbatique, assure ce trentenaire en habit de ville. L’image était peut-être juste «maladroite», concède-t-il.
«Allez à Anvers, chez les diamantaires, vous verrez, ils sont comme ça», lance à ses côtés un homme déguisé en femme avec un grand sourire, tandis qu’un autre, Guy Verhuslt, médecin à Alost, regrette que «les Juifs manquent d’humour».
«La censure du politiquement correct»
Dans le défilé cette fois, plus de traces de sacs d’or, mais les deux papillotes tombant d’un grand chapeau de fourrure noir, accessoire caractéristique des Juifs orthodoxes, sont visibles un peu partout.
Certains ont choisi d’ajouter à ce déguisement un masque en faux cuir ressemblant à une muselière pour symboliser la «censure» imposée par le «politiquement correct».
Beaucoup de calicots font référence à l’UNESCO, moquée en «Big brother» qui surveille et punit.
Pour le maire, il faut prendre en considération «le contexte global» de l’événement, qu’il a comparé à un «rituel d’inversion». Pendant trois jours, «les pauvres deviennent riches, les riches deviennent pauvres, les hommes des femmes et les femmes des hommes», a dit l’élu.
«Ici, on rit de tout, de la famille royale, du Brexit, de la politique locale et nationale, et de toutes les religions, l’islam, le judaïsme, le catholicisme», a assuré M. D’Haese.
De fait, l’humour à gros traits cible tous azimuts: les fake news de Jan Jambon (président N-VA de la Flandre) sur l’argent des immigrés, ou le difficile retour à la compétition de la joueuse de tennis Kim Clijsters, caricaturée en femme enceinte aux formes généreuses.
Chaque année, des dizaines de chars défilent au premier jour du carnaval, le dimanche précédent le Mardi gras, devant des dizaines de milliers de visiteurs.
Pour la première ministre belge, Sophie Wilmès, il s’agira de voir cette année «si les faits qui s’(y) sont déroulés enfreignent la loi».
«L’utilisation de stéréotypes, de référents stigmatisant des communautés, des groupes humains sur base de leurs origines conduit aux divisions et met en péril le vivre ensemble», a averti cette libérale francophone en référence aux caricatures de Juifs.
Certains «confondent liberté d’expression et bêtise coupable», a de son côté fustigé Johan Benizri, qui préside le Comité de coordination des organisations juives de Belgique.