les occasions manquées

À hauteur d'homme

le triste destin des leaders indépendantistes

Tribune libre

À plusieurs reprises au cours des dernières années, le destin poussait Gilles Duceppe à prendre la direction du Parti québécois. Sans l'avoir voulu, il incarnait la détermination et le courage requis afin de mener à terme le processus de libération du Québec. Son départ aurait eu entre autre conséquence l'élection d'un nouveau chef au BLOC et donc de créer du renouveau dans les deux partis dédiés en principe, à l'indépendance du Québec. En acceptant de reculer à chacune de ces occasions, pour quelque raison que ce fut, en se défendant même d'avoir l'intention de faire ce qui l'appelait, en faisant amende honorable et en se soumettant avec si peu de conviction, il a compromis son image de grand leader de l'indépendance et refusé son rôle historique qui n'était pas d'épargner ses rivaux fussent-ils les mieux intentionnés du monde. La dernière tentative en sa faveur fut valeureusement menée par la cinquantaine de jeunes au cours de l'hiver dernier. À ce moment, la jeunesse était encore acquise au BLOC et à l'indépendance. Hier soir, à la soirée télévisée des élections on pouvait voir la déception et l'incrédulité de certains de ces jeunes courageux membres du BLOC. Ils étaient ce que le BLOC et le mouvement indépendantiste avaient de plus précieux : une relève et on ne les a pas écouté, ils sont disparus de l'espace public. Les manoeuvres de censure et de langue de bois, voilà ce que détestent les électeurs québécois. Depuis novembre 1995, je ne sais pas plus que le reste des Québécois - en tout cas jusqu'à hier soir - si les deux partis indépendantistes ont pour but de faire un bon gouvernement, de prendre le pouvoir, de simplement parler de l'indépendance ou de demander des réformes au fédéralisme pour mieux faire ce que Marcel Rioux appelait "la gestion de la dépendance" ou encore de faire vraiment l'indépendance. Penser qu'après de telles tentatives avortées de prendre les rennes du Parti québécois, le chef du BLOC pouvait se replier tout bonnement dans son fief outaouais, c'était un mauvais calcul qui a donné l'impression que le Bloc était une terre d'exil. De plus le maintien à la tête du BLOC de Gilles Duceppe a empêché l'avènement du renouveau dont le BLOC avait besoin, une relève jeune et compétente qu'avait lui-même préparé Gilles Duceppe, et que le BLOC était alors en mesure de se donner. Le renouveau qu'ils appelaient, les électeurs l'ont trouvé ailleurs hier soir. Un grand parti a été anéanti.
La psychologie et les ego des leader indépendantiste a un effet direct sur la relation des Québécois avec l'indépendance. La volonté d'indépendance politique est un phénomène identitaire et irréversible. Cela place une grande responsabilité sur les dirigeants politiques qui défendent ce choix. Comment se fait-il que le rêve n'arrive pas à prendre forme dans la réalité alors que depuis trente ans la face politique du monde entier a changé. Comment admirer le chef qui recule devant son destin et les ambitions personnelles de ses adversaires moins qualifiés et intéressés que lui à mener la bataille de l'indépendance ? D'autant plus qu'il semble lui-même en souffrir ? JE SUIS UN CHIEN QUI RONGE L'Ô...sauf que la vie est courte. Il faut assumer ses erreurs, retirer des paroles au besoin, mais ne jamais reculer et ne jamais abandonner. Voyez comment l'admiration envers Jack Layton ne vient pas de sa maladie comme certains l'ont écrit mais bien du fait qu'il n'a pas reculé en dépit de cette maladie. Je me rappelle toujours le film À HAUTEUR D'HOMME et je me pose des questions à la fois sur l'entourage et l'isolement des leaders indépendantistes. Quelle tristesse. Nous nous proclamons de culture française et métissée : Comment ignorer les stratégies géopolitiques de 3000 ans d'histoire qu'il est nécessaire de comprendre afin de gagner les batailles alors que Stephen Harper les maîtrise à ce point et avec le succès que l'on voit ?
En octobre 1995, les leaders indépendantistes ont reculé devant l'envahissement de notre territoire à l'occasion du LOVE IN du Square Dominion. Pendant les trois jours suivant qui précédaient le référendum, les Québécois et les montréalais qui vivaient en temps réel le siège de leurs rues par le débarquement du ROC, se sont sentis abandonnés à eux-même par leurs leaders avec les images qui revenaient en boucle du Love in à la télévision. Une occasion unique de poser un geste historique nous échappait. Comme si les chameaux fonçant sur les manifestants avaient suffi à arrêter la rue égyptienne du printemps arabe. En 1995, lors de cette crise ultime à 72 heures du vote, aucune initiative ne fut entreprise et menée à terme pour nous permettre d'affirmer notre existence sur notre propre sol, dans nos propres rues alors que nous étions à un cheveu de la victoire qui nous a certainement échappée à cause de cette brillante stratégie fédérale et de notre politesse. Le résultat nous a fait mal. Et le lendemain du vote, la démission du chef que tout le monde aurait suivi jusqu'à la prochaine bataille nous a fait encore mal. Double perte, double défaite de la bataille et du chef qui nous coûte le capital du temps si bref de nos vies mortelles et de nos leaders. Il ne faut pas s'attendre à voir nos adversaires politiques nous laisser des chances : eux ils jouent pour vrai et pour gagner alors que nous nous avons une sainte peur de nous affirmer, de froisser. Nous nous réservons. Il faut apprendre à marcher. On pouvait partager le dépit du grand homme qu'est Gilles Duceppe hier soir. Au moment de l'annonce de sa démission, j'ai éprouvé le même malaise que lors de celle de Jacques Parizeau en 1995.


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