Les communications des journalistes épiés par la Sûreté du Québec ont été scrutées à la loupe sur une période pouvant aller jusqu’à cinq ans, ont appris hier les reporters concernés, qui crient au scandale et réclament des réponses à leurs questions.
«Je sens qu’on a violé mon intimité, comme quelqu’un qui vient d’être victime d’un cambriolage, a dit au Journal le chroniqueur judiciaire retraité André Cédilot. Pendant 35 ans de carrière, j’ai tout fait pour protéger mes sources d’information et jamais personne n’a su qui me parlait. Et là, la police a pu le savoir.»
Après le Service de police de la Ville de Montréal, c’était au tour de la Sûreté du Québec (SQ) d’avouer mercredi qu’elle a déjà épié les appels entrants et sortants de six reporters, dont ceux de notre journaliste Eric Thibault.
La SQ a contacté les journalistes visés par les mandats hier pour leur donner les détails sur la surveillance dont ils ont fait l’objet. La police a eu l’autorisation d’un juge en 2013 pour retourner voir les registres sur une période qui remonte dans certains cas jusqu’à 2008.
«Imaginez le nombre de numéros de téléphone qu’ils ont pu avoir si on additionne ceux de tous les journalistes visés, c’est hallucinant», s’insurge le journaliste de Radio-Canada Alain Gravel, ciblé par la SQ.
Beaucoup de questions
Pour la juge à la retraite Nicole Gibeault, ces révélations soulèvent une foule de questionnements auxquels il faudra répondre durant la commission d’enquête publique annoncée hier.
«On ne le sait pas encore, chaque cas sera étudié, mais on dirait que c’était un buffet ouvert pour consulter les numéros, a-t-elle dit. La quantité de journalistes visés, la période de temps sur laquelle ils sont remontés, tout ça soulève beaucoup de questionnements.»
Les appels d’Eric Thibault, journaliste aux affaires criminelles du Journal, ont été épiés de février 2009 à octobre 2013. Visiblement scandalisé, il réclame des précisions sur les méthodes de la police.
«Qu’est-ce qu’ils ont fait avec ça? Ils ont peut-être pu connaître l’identité de sources. Est-ce qu’ils se sont servis de ça? Je n’en ai aucune idée», déplore-t-il.
De son côté, Alain Gravel a fait l’objet d’une surveillance de 2008 à 2013. Il était alors à la barre de l’émission Enquête et contactait beaucoup de sources anonymes impliquées dans des dossiers sensibles.
«Ça me donne mal au cœur: l’Hôtel de Ville, [Gérald] Tremblay, [Gilles] Vaillancourt, la mafia, le MTQ, tout, tout pendant cinq ans», dit-il.
Les registres d’appels d’Isabelle Richer et de Marie-Maude Denis, de Radio-Canada, ont également été consultés par la police sur une période de cinq ans.
Dans le cas d’André Cédilot et de Denis Lessard, chef du bureau de La Presse à Québec, la surveillance a eu lieu entre 2008 et 2009.
Choqués et inquiets
«On a tous été choqués d'entendre que des journalistes avaient été épiés [...] alors que ne pesait aucun soupçon sur eux.»
- Martin Coiteux, ministre de la Sécurité publique
«Aujourd'hui, on comprend que l'espionnage des journalistes par les forces policières, c'est une pratique qui est répandue, c'est rendu un bar ouvert pour espionner les journalistes au Québec. C'est gênant.»
- François Legault, chef de la Coalition avenir Québec
«C’est de plus en plus révoltant de révélation en révélation, et ce, depuis le début de la semaine.»
- Benoîte Labrosse, secrétaire-trésorière de la FPJQ
«C’est extrêmement inquiétant, je suis sans mots. C’est impensable dans un pays démocratique comme le Canada ce qui est en train de se passer.»
- Margaux Ewen, Reporters sans frontières
«L'important, c'est que [...] la police soit là pour protéger le public, pas protéger des institutions, pas protéger des formations politiques, pas protéger un gouvernement...»
- Pascal Bérubé, porte-parole péquiste en matière de Sécurité publique
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