Le déracinement multiculturel et la haine de soi
11 octobre 2010
Pas simple ce texte, pas plus que le sujet qu’il aborde. Pour y voir plus clair, remontons jusqu’à la Conquête, moment où le déracinement identitaire dont nous sommes victimes tire son origine. Car avant elle il n’y a pas d’équivoque : nous sommes Français, Canadiens bien sûr, mais Français comme peut l’être un Bourguignon ou un Normand. Mais de par la Cession de 1763, notre monde bascule, l’Anglais s’installe en maître. Certes, il doit nous garantir certaines libertés importantes (la religion catholique d’abord, puis les lois civiles françaises), mais il entend néanmoins occuper la première place. Nous devons dès lors faire un choix, soit résister en cultivant notre différence, en restant résolument Français, soit au contraire collaborer à l’édification d’une nation commune qui soit par la force des choses bilingue et neutre (c’est-à-dire pluraliste ou multiculturelle). Le vocabulaire changera mais le choix restera toujours le même : soit on croit en l’avenir d’une nation française qui pourra un jour se libérer du joug de la Conquête, soit on table sur cette dernière, on se fonde sur elle et sur le pluralisme identitaire qu’elle induit pour construire une nation nouvelle. Il n’y a pas d’autre option.
Or, pendant deux cents ans, les Canadiens-Français ont très largement combattu pour la survivance d’une nation catholique et française (à titre d’exemple notre code civil est réformé d’après le Code Napoléon et notre réseau d’éducation secondaire se construit au 19e siècle en grande partie grâce aux communautés religieuses appelées de France). Ce fut notre choix, le choix d’une nation française qui s’assume fièrement. Seules nos élites progressistes semblent en avoir eu honte et en avoir tiré un complexe d’infériorité semblable à celui du colonisé. En conséquence, des Patriotes aux Péquistes en passant par les Libéraux à la Laurier ou à la Trudeau tout ceux-là souhaiteront la transmutation de la nation canadienne-française jugée par essence inférieure (ou inapte à la modernité) en une nation bilingue et multiculturelle.
Jusqu’aux années 1960, le sentiment national canadien-français est tel, à ce point enraciné dans le peuple, que cela n’aura qu’assez peu d’influence au Québec du moins, les progressistes se devant eux-mêmes de flatter le nationalisme canadien-français pour y exercer le pouvoir. Mais suite à la dénationalisation progressive de l’Église catholique à partir des années 1920 et à cause du grave discrédit qui affecte les nationalismes occidentaux après la guerre (du moins aux yeux des intellectuels chez qui il aggrave le complexe du colonisé), la nation canadienne-française compte bientôt de moins en moins de défenseurs. Après la mort de Daniel Johnson père, après la Révolution tranquille qui bouleverse toutes ses institutions, notre nation se retrouve de fait aux seules mains des progressistes qui contrôlent partis politiques, institutions d’enseignement et média de masse. Il ne restera aux Canadiens-Français qu’à choisir entre deux progressismes identitaires, deux multiculturalismes, celui «canadian» proposé par Trudeau ou celui québécois promu par Lévesque et Bourassa. Combiné à des promesses d’indépendance, de souveraineté, d’affirmation nationale, de partenariat ou de fédéralisme renouvelé, il va sans dire que c’est le multiculturalisme québécois qui remporte la majorité des suffrages. Il constituait néanmoins -lui aussi- un véritable désaveu du combat des deux cents dernières années.
Dans l’espoir d’être plus indépendants, d’être enfin majoritaires, nous avons ainsi accepté de nous déraciner, de devenir de simples francophones dans un Québec pluraliste et bilingue. Et après quarante ans de mensonges et de promesses non tenues, c’est tout ce que nous sommes, des déracinés, c’est tout ce que nous aurons finalement gagné. Reste à savoir si on doit s’en contenter et disparaître, ou si au contraire, on reprend la lutte afin de retrouver notre dignité perdue.
RCdB