GÉOPOLITIQUE

Vers une guerre du gaz au Proche-Orient ?

Le choc Hezbollah / Israël

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Chronique de Rémi Hugues

« Gaz : nouvelle alerte pour l’Europe », peut-on lire en une des Échos le mardi 4 octobre 2022. Il est désormais clair que pour nous Européens la question du gaz est devenu l’enjeu politique n°1, alors qu’avant la guerre en Ukraine c’était une question secondaire voire mineure.


Son prix a explosé, comme souligné dans le quotidien du soir Le Monde daté du même jour : « Le gaz naturel, qui sert de source d’énergie, mais aussi surtout de matière première, est passé de 30 euros du mégawattheure il y a un an, à 200 euros aujourd’hui, avec un pic à 350 euros courant août. […] Depuis les usines les plus gourmandes en énergie ferment les unes après les autres, dans bon nombre de secteurs : engrais, verre, aluminium, ciment, céramique, acier… »


 


L’Agence internationale de l’énergie (A.I.E.) de nous mettre en garde : « Les économies de gaz seront cruciales pour faire face à de potentielles vagues de froid tardives en Europe ». Elle estime que l’Europe doit parvenir à baisser sa consommation d’au moins 10 % jusque-à la fin de l’hiver.


Pendant que la crise énergétique bat son plein – nous ramenant à l’année 1973 et au 1er choc pétrolier, qui frappa de plein fouet les économies européennes – les dirigeants de l’Union européenne (U.E.) s’activent pour trouver des sources d’approvisionnement alternatives à notre fournisseur devenu « ennemi » la Russie.


 


Ainsi, après la visite d’Emmanuel Macron en Algérie fin août, la Première ministre Élisabeth Borne s’y est rendue avec pas moins de 16 ministre les 9 et 10 octobre dernier. Son homologue allemand, le chancelier Olaf Scholz revient d’une tournée dans les pétromonarchies du Golfe, de l’Arabie Saoudite au Qatar en passant par les Émirats arabes unis, effectuée fin septembre.


Autre conséquence géopolitique de cette course au gaz dans cette région du monde : le resserrement des liens entre l’U.E. et Israël, où la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyden s’est rendue cet été, et où justement – à l’occasion d’un discours tenu le 14 juin 2022 à l’Université Ben-Gourion du Néguev – elle a déclaré vouloir renforcer la « coopération énergétique avec Israël ».


Cette nouvelle donne est une aubaine pour le pays : parce qu’en particulier l’Italie, la Bulgarie, la Pologne et la Finlande anticipent une pénurie de gaz à court terme, « l’U.E. a besoin du gaz israélien », comme l’a fait remarquer la ministre de l’Énergie Karine Elharrar de l’État sioniste.


 


Le Monde, via la plume de son journaliste Philippe Jacqué a récemment consacré un papier1 à ce rapprochement impulsé par la France et la République tchèque, dont le ministre des Affaires étrangères parle avec enthousiasme d’un « nouvel élan dans notre relation. » Jacqué indique en outre, à partir de l’avis d’une source diplomatique anonyme, que la bonne entente franco-israélienne est facilitée par la personnalité du Premier Ministre Yaïr Lapid, qui est « un libéral proche d’Emmanuel Macron ».


Le journaliste nous révèle surtout, résumant l’analyse d’un expert nommément cité – Hugh Lovatt, du European Council on Foreign Relations2 – qu’« en pleine guerre en Ukraine, l’Europe a besoin de diversifier ses approvisionnements en gaz et de s’assurer des alliés, dont Israël ».


 


Problème, et de taille : son gaz, l’État hébreu se le dispute avec son voisin le Liban, avec qui il est formellement en état de guerre depuis le conflit qui les opposa en 2006 durant 33 jours. Deux champs gaziers en particulier sont revendiqués par les deux pays : celui de Karish, ainsi qu’un autre appelé Sidon par les Israéliens et Qana par les Libanais.


Cela fait deux ans qu’ils ont commencé des négociations pour se mettre d’accord sur leurs frontières maritimes. Lesquelles sont au point mort : les pourparlers ont été suspendus en mai 2021, poussant les États-Unis à offrir ses bons offices, via leur diplomate Amos Hochstein. Sa responsabilité est grande car depuis cet été les deux pays ont connu un regain de tension. En juin 2022 un navire israélien de la société basée à Londres Energean Plc a été repéré dans la zone de Karish par le Liban, provoquant son courroux. En réaction, un mois plus tard, le Hezbollah, qui est, – ce fait est là pour le souligner – un État dans État, a envoyé des drones non armés dans cette zone disputée, que Tsahal a immédiatement interceptés.


Cet accrochage a ravivé les craintes de l’irruption d’un nouveau conflit, surtout après que Benny Gantz, le ministre de la Défense d’Israël a dit, le 22 août à la radio 103 FM, que « cela pourrait engendrer une réaction, conduire à plusieurs jours de combats et à une campagne militaire. Nous sommes forts et préparés à ce scénario, mais nous n’en voulons pas. »


En face, le Hezbollah – ce « quasi-État »3, rare élément à rester solide au sein d’un pays du Cèdre qui s’effondre sous les coups de boutoir de l’hyperinflation et des vagues migratoires – se tient prêt.


Son armée, forte d’environ 50 000 soldats, est connue pour « son aptitude à résister efficacement à l’État d’Israël »4. Elle entend réitérer son exploit de 2006, qui avait lavé l’affront des défaites arabes de 1967 et 1973.


L’existence du Hezbollah (ce qui signifie « parti de Dieu »), constitué en 1985, soit trois ans après l’intervention israélienne durant la guerre civile intercommunautaire, est ontologiquement fondée sur l’hostilité à ce qu’il appelle l’entité sioniste, poursuivant au fond le combat des rabbins orthodoxes contre Zvi Hirsch Kalischer, qui au XIXe siècle tenait le discours suivant : « les temps messianiques approchent, le Messie est en route, lʼémancipation en est un signe flagrant, la rédemption est imminente, et il faut accélérer sa venue par lʼaction de lʼhomme. Il doit y avoir dʼabord la rédemption ʽʽnaturelleʼʼ par le retour des Juifs à Sion pour y construire une société solide, basée sur le travail agricole, et cette première étape entraînera ensuite la rédemption ʽʽsurnaturelleʼʼ, cʼest-à-dire lʼintervention de Dieu lui-même. […] [C]ʼest à des Juifs de premier plan comme les Rothschild, quʼil appartient dʼagir au plus haut niveau pour que les Nations autorisent le repeuplement, au moins partiel, dʼEretz Israël5 »


 


Depuis sa création, le Hezbollah à changé de nature, délaissant son projet initial de rassemblant de la Oumma (la communauté des croyants, des fidèles de l’islam) – qui est utopique eu égard à la fitna (division) qui fait rage entre sunnites et chiites – au profit du nationalisme. Il est effectivement devenu le fer de lance du nationalisme libanais, s’alignant ainsi sur ses grands alliés, la Syrie des Assad et son nationalisme baasiste et l’Iran et son Velayat e faqih6, qui, tel le nationalisme intégral de Maurras, mêle sentiment nationaliste et attachement au principe de la royauté, avec néanmoins une coloration nettement plus religieuse, dont le corollaire est la substitution de la monarchie par la théocratie.


Cette tendance résulte directement de la politique des États-Unis dans la région, qui ont œuvré, explique Éric Branca dans son passionnant essai L’ami américain, « depuis le second mandat Reagan (1984-1988) et spécialement depuis son successeur George Bush père (1989-1993), en faveur d’une balkanisation des structures politiques existantes, conformément à la doctrine des néoconservateurs Bernard Lewis et Richard Perle, qui inspireront la deuxième guerre du Golfe déclenchée par George Bush Jr (2001-2009) »7.


 


Le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, commente ainsi cette rupture : « Le Hezbollah a changé, ses priorités ont changé en raison des circonstances […]. Il y avait un temps où nous considérions le Liban comme une construction coloniale qui faisait partie de l’oumma. […] C’était au début, lors de notre fondation, dans les premiers jours et le pays connaissait la guerre civile. Tous les partis demandaient une nation à leur convenance. […] Aujourdʼhui, les conditions ont changé. Nous croyons que ce pays est notre pays et que le drapeau du cèdre est notre drapeau que nous devons aussi protéger. À cette étape, notre priorité est de protéger l’État du Liban et de le construire »8.


Entre le Hezbollah prêt à en découdre et Israël qui voit un partenaire majeur – l’U.E. – lâcher du lest sur son exigence de respect des droit des Palestiniens, acculé qu’il est par la pénurie énergétique qu’il subit, la situation est par conséquent explosive au Proche-Orient. Quand l’État sioniste sent qu’il a les mains libres vis-à-vis de l’Occident, il n’hésite jamais à choisir l’option militaire.


Si l’on peut espérer que c’est malgré tout la voie de la diplomatie qui triomphera, force est de constater qu’en ce moment c’est le langage des armes qui prime. En atteste ce propos tenu à Birmingham le dimanche 2 octobre dernier lors du congrès annuel du Parti conservateur par James Johnson, patron de l’institut de sondages JL-Partners : « Les électeurs ont perdu confiance dans les compétences économiques de ce gouvernement. Il faudrait vraiment un événement considérable pour qu’il remonte la pente. Une guerre, peut-être ? »9


 


Lundi 3 octobre un responsable libanais chargé des négociations a annoncé que la réponse du Liban à la proposition américaine de démarcation de la frontière maritime avec Israël est imminente. Elle comporterait des « remarques », ce qui suggère que le règlement définitif du litige n’est lui pas imminent.


 


 



1Intitulé « L’UE ravive ses relations politiques avec l’État hébreu », Le Monde, 2-3 octobre.




2Émanation de la Bancocratie anglo-saxonne, des Paul Warburg, John P. Morgan et Jacob Schiff et consorts, fondateurs « de la Pigrims Society, matrice idéologique du mondialisme d’où naîtront, au fil du XXe siècle […] le CFR (Council on Foreign Relations) en 1920, le Bilderberg Group […] en 1954 et la Commission Trilatérale créée en 1973 pour associer le Japon aux « décideurs » économiques d’Europe et d’Amérique du Nord. », Éric Branca, L’ami américain, Paris, Perrin, 2022, p. 71.




3Joseph Daher, Le Hezbollah : un fondamentalisme religieux à l'épreuve du néolibéralisme, Paris, Syllepse, 2019, p. 182




4Ibid., p. 9.




5Ilan Greilsammer, Le sionisme, Paris, PUF, 2005, p. 18.




6Ce « n’est rien d’autre que l’ancienne idéologie royale des souverains Qadjar, dans laquelle la fonction royale a été remplacée par le Guide religieux. Le Velayat e faqih, que l’on traduit généralement par « la Régence du Vicaire », est une forme politique destinée à sacraliser le pouvoir temporel, celui-ci n’étant que l’expression du pouvoir spirituel. », Pierre de Meuse, Idées et doctrines de la Contre-révolution, Poitiers, DMM, p. 199.




7Éric Branca, op. cit., p. 432.




8Cité par Jospeh Daher, op. cit., p. 195-6.




9Cécile Ducourtieux, « Royaume-Uni : Liz Truss affronte les conservateurs », Le Monde, 4 octobre 2022.



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