Union Nationale: orages d’acier et actes de papiers…

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En temps de crise, il faut plus que jamais questionner le pouvoir


 

 



L’Union Nationale convoquée solennellement suite à la déclaration de guerre au coronavirus par le Président de la République ne peut être synonyme de soumission servile à la communication hasardeuse du gouvernement, pétrie d’injonctions contradictoires. Elle ne peut pas être non plus un moyen d’étouffer toute controverse et critiques constructives.




S’il est toujours délicat de mesurer le moment précis pour réagir, ceux qui cherchent à tout prix à museler le débat au nom de cette union sacrée se trompent car des mauvaises décisions qui persistent deviennent des fautes et le paravent de la doctrine officielle d’un conseil scientifique ne peut servir de substitut à l’action politique ni à la responsabilité consubstantielle. D’autant que les scientifiques – et on le constate de jour en jour – sont en désaccord entre eux et que leurs réflexions évoluent.



L’union nationale ne se décrète pas, elle s’organise avec des actes concrets et des hommes et femmes de tous les bords. Et ce n’est sûrement pas un blanc-seing donné au pouvoir



Le temps est compté, chacun doit prendre ses responsabilités et l’union sacrée n’est pas un mantra. Le temps de la sidération est dépassé et celui de la projection prématuré, celui de l’action est arrivé. Chaque décision prise aujourd’hui comptera pour demain.


L’État doit se protéger en protégeant ses agents et les acteurs économiques et sociaux au risque d’un affaiblissement total de ses institutions et de ses forces vives.


L’heure des comptes viendra


Les agents de la justice, comme ceux des autres ministères régaliens (Intérieur et Défense) doivent être tout particulièrement mis à l’abri d’un risque sanitaire car ils assurent la survie et la continuité de l’État. Ces agents, par leur action continue en temps de crise et leurs missions d’intérêt général, empêchent le pays de sombrer dans le chaos. Ils doivent être capables bientôt de faire face aux conséquences des crises économiques et sociales qui nous attendent.


Leur activité doit s’inscrire dans un temps long de crise et à ce titre chaque agent devient une ressource stratégique tout comme le personnel médical au chevet des malades. Malheureusement, tout comme pour le personnel médical, ce n’est pas le cas. S’inscrire en faux contre des mauvaises décisions et réclamer des bonnes décisions qui tardent à venir (masques et dépistage massif) relève de la responsabilité et non pas de la sédition. Comme disait le général MacArthur, l’histoire de défaites militaires peut être résumée en deux mots: trop tard.



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L’heure des comptes et des décomptes viendra, maintenant c’est l’heure des décisions où l’intelligence collective doit être mobilisée. Les politiques devraient écouter les acteurs de terrain et les syndicats qui les représentent et canalisent leurs retours d’expérience.

Car l’union nationale ne se décrète pas, elle s’organise avec des actes concrets et des hommes et femmes de tous les bords. Et ce n’est surement pas un blanc-seing donné au pouvoir.


Cette expression née le 4 août 1914 dans la bouche du Président de la République Raymond Poincaré avait un tout autre contenu. La veille, l’Allemagne avait déclaré la guerre à la France. Devant cette situation les clivages politiques disparaissaient immédiatement. Jules Guesde et Albert de Mun se tombaient dans les bras et Maurice Barrès allait prononcer l’éloge funèbre de Jean Jaurès aux côtés de Léon Jouhaud, secrétaire général de la CGT qui à son tour décrivait les prolétaires français comme les « soldats de la liberté » face à la tyrannie allemande.


 

De la Grande Guerre au coronavirus


Sur le plan politique, René Viviani appelait, pour la première fois au gouvernement des socialistes. Le pacifiste Marcel Sembat recevait le portefeuille de travaux publics et Jules Guesde entrait lui aussi au Conseil. Le syndicaliste Albert Thomas était nommé sous-secrétaire d’État à l’artillerie et à l’équipement militaire avant d’être élevé plus tard au rang de ministre.


Par la suite, sur les sept cabinets constitués pendant la guerre, la participation socialiste fut variable mais constante au moins jusqu’en 1917. Mais la bataille de Verdun et la Révolution d’Octobre ébranlèrent l’adhésion inconditionnelle des socialistes au nationalisme patriotique. Cette participation au gouvernement trans partisane, cette Union sacrée, ne signifiait ni abandon de la vigilance ni évitement des décisions difficiles. Tout au contraire, la bataille de Verdun (février-novembre 1916) et l’offensive Nivelle (avril-octobre 1917) démontraient que les mauvaises décisions devaient être dénoncées. Ainsi en mars 1917, Lyautey alors ministre de la Guerre démissionnait refusant d’appliquer le plan de Nivelle. L’offensive qui se concentrait sur 30 kilomètres de front au Chemin des Dames était une erreur tactique. Bilan de l’opération : 200 000 morts et 160 000 blessés du côté français sans aucun résultat, les lignes allemandes ont tenu bon. Le 15 mai, suite aux premières mutineries des soldats sacrifiés à l’imbécilité du plan de Nivelle, ce dernier était démis de ses fonctions. La commission d’enquête confiée au général Brugère conclura que « Nivelle n’avait pas été à la hauteur de la tâche écrasante ». Il sera « limogé » à Alger.


Les prochaines crises inévitables


Si dans un monde imprévisible, on ne peut reprocher à ceux qui sont aux commandes de tout prévoir, en revanche ce qui est prévisible, c’est que lorsqu’on confie des pouvoirs à des incapables, le résultat est toujours calamiteux. Car, comme disait Camus, « la bêtise insiste toujours ».


N’en déplaisent au gouvernement, ceux qui s’opposent à leur stratégie de l’échec doublée d’atteintes injustifiées à nos institutions et à nos libertés fondamentales ne sont pas des irresponsables. Changer de cap est toujours possible. Aussi toute action à cette fin, y compris pénale, est la conséquence directe de la surdité de certains décideurs et signe l’échec du dialogue social entre les décideurs et les agents de terrain. Enfin chacun doit agir selon sa fonction, le politique gouverne, les syndicats protègent leur profession et les conditions de travail.



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Notre pays sortira de cette crise uniquement au prix de la vérité, condition importante de la résilience collective et de la mobilisation nécessaire pour reconstruire un État stratège à la place d’une bureaucratie administrative, pour promouvoir une justice forte et indépendante au service de l’intérêt général à la place d’une justice en miettes sous le contrôle du pouvoir.


À ceux qui se projettent déjà dans l’avenir, il ne faudra pas oublier que l’on ne construit rien de durable sur des sables mouvants et qu’un examen sans concessions de l’état des lieux sera un préalable indispensable pour asseoir des fondations afin d’affronter les prochaines crises systémiques inévitables.


Une réorganisation du périmètre d’intervention, de dotation et de gouvernance de la fonction publique au service de l’intérêt général devra être repensée en sortie de crise.