Une enveloppe peut en cacher une autre...

Et voilà pourquoi il faut enquêter sur cette ville.

Enquête sur la corruption municipale - Affaire Gilles Vaillancourt


Gilles Vaillancourt avait sa voix qui ronronne presque. Il n'avait pas de sueur sur le front. Il ne tremblait pas. Le roi n'est touché que superficiellement. Il nie tout. Il exige une rétractation.
Il a une certaine logique de son bord: d'où vient cette soudaine rage de dénonciation, 17 ans et 8 ans après les faits? C'est un peu étrange, n'est-ce pas?
Bonne question, mais je ne crois pas Gilles Vaillancourt.
On a maintenant le témoignage de deux députés, de deux partis ennemis, qui racontent sensiblement la même chose: une élection partielle, une demande d'appui du maire, et soudain une enveloppe offerte par le maire dans son bureau pour aider leur campagne. Quel serait leur intérêt à raconter des balivernes aussi dommageables?
La question, alors, aux deux candidats: pourquoi avez-vous continué comme si de rien n'était? Les photos avec le maire, les conférences de presse, les petits mots...
La réponse est assez simple. La vie politique doit suivre son cours. Serge Ménard avait une carrière à faire, un référendum à gagner. Et Vincent Auclair, qui est-il pour aller affronter le maire de Laval sur la place publique? Il faut être fait fort pour attaquer Gilles Vaillancourt quand on est député à Laval... Ça crée des liens, la politique.
Il y a bien ce petit dégoût, j'imagine, quand le député Auclair ou le ministre Ménard rencontrait le maire de Laval. Mais on finit presque par en oublier l'origine et une hypocrisie de bon aloi recouvrira tout ça rapidement en route vers l'inauguration d'une station de métro ou d'une usine.
Si Christian Latreille n'avait pas déterré l'histoire, ils n'en auraient jamais parlé. Peut-être Serge Ménard a-t-il pensé que l'histoire sortirait même sans son témoignage, quand Latreille l'a approché. Alors aussi bien donner sa version. Ensuite, Vincent Auclair n'avait pas tellement le choix.
Mais qu'importe, même si c'est de force, ces deux-là ont rendu un service public important.
Les systèmes de corruption fonctionnent parce que c'est un crime sans victime, pour ainsi dire. Celui qui donne l'argent et celui qui le reçoit sont complices et n'ont pas intérêt à parler. Le public se fait rouler, mais il ne le sait pas.
Reste le silence des innocents. Ceux qui refusent, mais qui voient. Ceux qui se sont fait approcher et qui ont refusé. Ils sont en affaires, ils sont en politique, ils sont contre la corruption. Mais ils ont leur vie à mener, ils n'ont pas le goût d'être des héros ou des parias du milieu des affaires ou de la politique. Alors ils font comme tout le monde, ils passent à autre chose. Et la vie continue.
Police!
Serge Ménard et Vincent Auclair auraient dû appeler la police, a dit Jean Charest. Bien d'accord. Mais s'ils l'avaient fait, la police n'aurait rien pu faire: il n'y a pas eu de crime. Pas même une infraction à la loi électorale!
En effet, donner plus que la limite permise de 3000$ à un candidat est une violation de la Loi sur le financement des partis politiques. Mais encore faut-il qu'il l'accepte. Il n'y a pas d'infraction de «tentative» de financement illégal.
C'est une aberration de la loi québécoise, mais c'est l'état de la situation. Dans le Code criminel, il y a un crime général de tentative. Cela veut dire qu'on peut être déclaré coupable de tentative de tous les crimes. Par exemple, si on tente de faire une fraude, c'est un crime même si la fraude n'a pas lieu, même si elle est impossible.
Ce n'est pas le cas pour les infractions contenues dans les lois provinciales: le Code de procédure pénale du Québec, qui est le mode d'emploi de toutes les lois pénales provinciales (y compris la loi électorale) ne le prévoit pas.
Résultat: même si Gilles Vaillancourt avait été filmé en train d'offrir une enveloppe pour financer la campagne de Serge Ménard en 1993 ou Vincent Auclair en 2002, la police n'aurait rien pu faire, le Directeur général des élections non plus!
***
C'est ce que ces offres laissent supposer qui est troublant. D'où vient cet argent? Qu'espère le maire de Laval en retour? Y a-t-il d'autres enveloppes à venir après la première? Ne vient-il pas, si le candidat accepte, de le mettre dans sa poche en le compromettant moralement?
Et puis, si ces offres ont eu lieu à neuf ans de distance, dans des circonstances similaires, on a peine à croire qu'il n'y en a pas eu d'autres. À moins qu'il se soit dit, après deux échecs: bon, si c'est comme ça, je vais le garder mon argent dans mes enveloppes, et tant pis pour les autres candidats!
Jusqu'où peut aller quelqu'un qui ose offrir des enveloppes pleines d'argent? Comment ne pas voir une mentalité, comment ne pas soupçonner un système?
Voilà pourquoi la police aurait eu affaire dans cette histoire. Pas pour la première enveloppe. Pour voir ce qu'il y avait après... et après... Et en dessous.
Et voilà pourquoi il faut enquêter sur cette ville.


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