Une colère populaire apolitique

La grogne envers le gouvernement Charest jette des ponts entre la gauche, le centre et la droite

États américains - impasse budgétaire

Isabelle Porter - Québec — En plus de la gauche organisée qui sort de toute façon dans la rue les 1er mai, les rassemblements contre le budget voient l'apparition d'une nouvelle catégorie de manifestants sans ligne d'action politique. Leurs points communs? La haine du gouvernement Charest et le recours à Internet.
«Je suis préposé aux bénéficiaires, je n'aspire pas à devenir premier ministre demain matin!» lance en boutade Steve Brosseau, l'homme derrière le groupe Facebook «Un million de Québécois pour sortir le PLQ du pouvoir!!!» et la page Web «Unissons le Québec».
Âgé de 35 ans, ce fan de Megadeth et de Louis de Funès habite Sainte-Adèle avec sa conjointe, qui est infirmière. Le couple a une petite fille et attend un deuxième enfant. M. Brosseau n'a pas digéré le dernier budget, la nouvelle contribution en santé et les scandales dans le milieu de la construction l'ont dégoûté. «Les Québécois le savent que le Québec est dans le rouge et qu'il faut qu'on paye. Ce qu'ils ne veulent pas, c'est que cet argent-là soit distribué à qui mieux mieux, à n'importe qui, puis qu'il y ait des abus.»
Hier, son groupe Facebook comptait plus de 35 000 membres et M. Brousseau est convaincu qu'ils seront plus nombreux que les groupes de gauche à défiler dans les rues en ce premier mai. Leur rassemblement commun est prévu pour midi à la station Lionel-Groulx, à Montréal, où convergeront aussi la centaine d'organisations réunies sous la bannière de la Coalition opposée à la tarification et à la privatisation des services publics.
«Lors de la dernière manifestation de Québec, c'est un groupe Facebook de 8000 personnes appelées "cols rouges" qui avait organisé la manifestation et lors de la manif, ils étaient plus de 50 000. Imaginez maintenant le 1er mai 2010», écrit-il sur le Web.
Or même si son discours se rapproche de celui des cols rouges qui avaient aussi répondu à l'appel du controversé animateur de radio Sylvain Bouchard, Steve Brosseau ne partage pas les convictions de droite de ce dernier ni son mépris pour les fonctionnaires et le Parti québécois.
Il se décrit comme un péquiste «à la vie à la mort», mais il n'aime pas Pauline Marois et les seuls chefs qui trouvent grâce à ses yeux sont Gilles Duceppe et Amir Khadir. Or, insiste-t-il, son «mouvement national de protestation généralisée» est «apolitique» et n'est inféodé à aucune organisation. «On s'entend, on n'est pas une entité politique, un groupe communautaire qui a du financement pour aller chercher des permis ou monter des "stages", alors on a décidé de se joindre au front commun.»
Lorsqu'on l'interroge sur la difficulté de la gauche à rallier le mécontentement actuel, la porte-parole Marie-Ève Rancourt rétorque que «c'est beaucoup plus facile de surfer sur un discours démagogique» comme le fait la droite. «Et beaucoup de gens sont attachés au modèle québécois.»
Or, convient-elle, «on a peut-être un travail d'éducation à faire sur la perception des fonctionnaires. Parce que les pousseux de crayons, c'est un mythe». Hier, la page Facebook de la Fête internationale des travailleurs et travailleuses comptait environ 600 membres.
Contrairement à la manifestation du 11 avril à Québec, l'Action démocratique du Québec (ADQ) ne prévoit pas dépêcher de députés au rassemblement d'aujourd'hui. Des députés péquistes et le député de Québec solidaire (QS), Amir Kadhir, sont toutefois attendus à Montréal.
Qui saura rallier les mécontents? À Québec, le Regroupement d'éducation populaire en action communautaire des régions de Québec et Chaudière-Appalaches (REPAC) tient un rassemblement à 11h devant l'église Saint-Roch, lui aussi sous la bannière de la Coalition. Lors de la manif des cols rouges, les gens du REPAC étaient sur place pour distribuer des tracts sur les rassemblements d'aujourd'hui. Ils espèrent attirer «quelques centaines de personnes». «Si la droite a réussi le 11, soutient la porte-parole Anne-Valérie Lemieux-Breton, c'est que le message n'était pas clair. Il y a beaucoup de gens de gauche comme de droite qui étaient là pour dénoncer le budget et qui ne sont pas pour le "grand ménage" dans la fonction publique prôné par le 93,3».
Interviewé par l'animateur Sylvain Bouchard le 23 avril dernier, l'ancien chef de l'ADQ Mario Dumont notait que les gens de Québec étaient davantage «politisés» et déplorait que le mouvement de mécontentement du 11 avril ne se soit pas répandu dans les autres régions. «La grande question», disait-il, était de savoir s'il était possible qu'un jour une nette majorité de Québécois (de 40 % et plus) soient prêts à un véritable programme de droite. «Malheureusement aujourd'hui, il y a environ de 20 à 25 % des gens qui sont convaincus de ça. Et je comprends que dans la région de Québec vous soyez frustrés, parce qu'à Québec, ce pourcentage-là est clairement plus élevé.»


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