Une blague d’étudiants sur YouTube tourne à la «résistance civile» en Russie

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La Russie, c'est aussi ça !!!

C’était une blague potache de dortoir: en se filmant dansant en sous-vêtements et casquette de pilote sur un tube du début des années 2000, des étudiants russes ne s’attendaient ni à l’opprobre des autorités, ni à une déferlante de soutiens sur internet.


Dans leur clip, 14 cadets de l’Institut d’aviation civile d’Oulianovsk, à 900 km à l’est de Moscou, dansent de manière aguicheuse, lèchent lascivement des bananes et se donnent des tapes sur les fesses, avec pour fond le tube suggestif «Satisfaction» de Benny Benassi.


En moins de deux semaines, ils ont généré des dizaines de parodies où se dandinent des infirmières, des grands-mères voire des chats et sont devenus malgré eux un symbole de résistance dans une Russie que Vladimir Poutine a érigée en championne des «valeurs traditionnelles» face à une prétendue décadence occidentale.


Mise en ligne le 16 janvier, la vidéo des étudiants d’Oulianovsk (reprise par exemple ici: www.youtube.com/watch?v=CuWefdPqO9I), vue en quelques jours plus de deux millions de fois sur les réseaux sociaux VKontakte et Facebook, a provoqué la colère du recteur de l’institut, Sergueï Krasnov, qui a dénoncé une «parodie immorale» qui «humilie la profession».


«Ils ne trouveront jamais de travail», a-t-il promis aux médias russes.


L’agence fédérale du transport aérien s’est fendue d’un communiqué demandant les «mesures disciplinaires les plus strictes» contre les cadets qui doivent «passer un examen psychologique».


Le gouverneur de la région d’Oulianovsk, Sergueï Morozov, a dénoncé une «grave insulte» et convoqué une commission chargée d’identifier d’éventuelles infractions à la réglementation de l’aviation civile.


«Obscurantistes»


Face à cette réaction souvent jugée disproportionnée, de nombreux Russes ont décidé de marquer leur soutien aux adolescents en se filmant eux aussi en train de danser sur «Satisfaction», plus ou moins dénudés, avec la même chorégraphie suggestive.


Plus de 50 vidéos similaires ont été mises en ligne et avidement partagées, tournées par un présentateur vedette de la télé, des électriciens, des athlètes de biathlon, des femmes au foyer, des nageurs ukrainiens et des étudiantes en lingerie.


Selon un sondage de l’institut VTsIOM, près d’un Russe sur deux (49%) a vu la vidéo et 43% d’entre eux y voient une «blague inoffensive».


Le journaliste politique indépendant Oleg Kachine s’est réjoui d’une victoire sur «les obscurantistes», sur le site Republic.


«C’est un exemple de résistance civile» à la tentative de l’État de «contrôler les comportements privés», a salué de son côté le politologue Andreï Kolesnikov, sur le site The New Times, prévoyant une issue clémente pour les cadets d’Oulianovsk: «Personne n’a besoin d’un scandale aussi piquant pendant la marche triomphante de Vladimir Poutine vers le renouvellement de ses pouvoirs» lors de la présidentielle du mars.


«Rêve de liberté»


Pour le sociologue russe Viktor Vakhchtaïn, la vidéo des cadets a créé une «panique morale» en Russie, comme en 2012 la «prière punk» anti-Poutine des Pussy Riot dans une cathédrale de Moscou, qui avait valu aux jeunes femmes des peines de prison.


Sauf que dans le cas des adolescents d’Oulianovsk, il n’y a aucune intention politique: «ils souhaitaient seulement ajouter un peu de légèreté dans leur vie très réglementée de cadets d’aviation», assure-t-il.


Pour Natalia Zorkaïa, analyste à l’institut de sondage indépendant Levada, la forte réaction des autorités tient au «sous-texte homoérotique» qu’elles ont perçu dans le clip.


«L’homophobie est très présente dans les sphères politique et médiatique russes et ce puissant discours idéologique influence aussi les autorités locales», rappelle-t-elle à l’AFP. Mais «les jeunes vivent déjà dans une autre réalité et ils n’acceptent pas qu’on leur impose les valeurs traditionnelles russes, la vision religieuse de la moralité».


Les jeunes se filmant pour les soutenir, relève-t-elle, «rêvent de liberté et ils ont moins peur que leurs aînés: on s’en aperçoit quand on les voit manifester avec (l’opposant Alexeï) Navalny» qui a fait descendre des dizaines de milliers d’adolescents dans la rue l’année dernière.


Si certains cadets ont fait part, sous anonymat, de leurs «regrets» et «honte» dans la presse russe, le flot de vidéos de Russes dansant sur les notes de «Satisfaction» ne cesse de grossir.


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