Un poids, deux mesures

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Tribune libre

Dans la dernière semaine de juin de cette année, 4 églises ont brûlé. Lorsque des institutions brûlent, ça n'augure rien de bon pour la paix sociale.


Ce qui m'inquiète au plus haut point, ce ne sont pas tant les flammes rongeant les bâtiments que le traitement médiatique de la nouvelle, et particulièrement celui de La Presse canadienne.


Cette nouvelle, traitée en fait banal, est passée en bas de page du journal La Presse, même pas en une, et elle n'a été suivi que de quelques autres articles dans les médias, comme s'il s'agissait d'un fait divers.


Le Premier ministre du Canada s'est exprimé brièvement en plein milieu d'un discours pour rappeler que ce n'était pas bien de brûler des églises, et c'est tout.


Imaginez un instant que plutôt que 4 églises, 4 mosquées aient été incendiées, ou 4 synagogues. La couverture nationale aurait-elle été la même?


L'islamophobie, l'antisémitisme auraient été sur toutes les lèvres. La christianophobie, quant à elle, est un terme en voie d'apparition. Pourtant, bien des minorités et des immigrants sont des chrétiens pratiquants. Comment vivent-ils le fait qu'ils habitent un pays où leurs lieux de cultes se font incendier? Comment vivent-ils le fait que leur religion n'a pas le même traitement médiatique que les autres religions?


 



On brûle des églises et ça passe comme nouvelle secondaire, on égratigne une mosquée et ça fait les manchettes, c'est ça que je trouve injuste, et inacceptable.



 


Je déteste le 2 poids, 2 mesures. J'aime quand les principes transcendent les cas particuliers, et les partis pris idéologiques.


La confiance envers le journalisme traditionnel s'érode. Certains journalistes ne comprennent pas bien pourquoi. Ils croient que ce qui importe, c'est la véracité des faits. Mais ce qui fait s'éroder la confiance, c'est plutôt l'incohérence des actions et des attitudes.


C'est traiter une nouvelle similaire dans son essence d'une manière différente selon le statut du groupe de personnes ou de l'idéologie dont il est question.


On pardonne à un ami qu'il se soit trompé sur l'exactitude d'un fait. On lui pardonne moins facilement qu'il soit partial et injuste à notre égard. Nous sommes naturellement plus implacables envers la partialité injuste qu'envers l'imprécision.


Je vous pose la question. Croyez-vous qu'on devrait traiter une nouvelle différemment selon qu'il s'agit d'un groupe minoritaire ou d'un groupe majoritaire?


Ce qui m'a fait bondir de ma chaise, ce sont les 2 derniers paragraphes de l'article signé par La Presse canadienne.


 


> En tout, environ 150 000 enfants autochtones ont fréquenté ces pensionnats, devenus tristement célèbres pour être des endroits où les jeunes Autochtones ont subi des violences psychologiques, physiques et sexuelles. Pour les familles autochtones qui résistaient, les enfants étaient emmenés de force par des policiers de la GRC.


Les pensionnats étaient également connus pour le surpeuplement, les mauvaises conditions d’hygiène, la nourriture insalubre et le travail forcé. Des punitions sévères étaient infligées aux enfants autochtones qui parlaient leur langue maternelle ou participaient à des cérémonies traditionnelles — on voulait « sortir l’Indien » en eux.


 


Les incendies de ces églises sont reliés aux récentes découvertes de corps d'enfants autochtones décédés dans des conditions horribles dans les pensionnats chrétiens. Des gens, haïssant les crimes horribles commis par l'Église et l'État canadien, ont probablement incendié ces bâtiments.


Mais de décrire avec tant de détails ces raisons dans le contexte d'un article relatant un crime haineux, c'est littéralement bénir le crime, non dans une bassine d'eau bénite, mais dans une bassine remplie de pétrole clair. Et les flammèches sont ces paragraphes incendiaires.


Imaginez un instant qu'un article soit écrit à propos de plusieurs mosquées qui ont été incendiées, et qu'à la fin, on rappelle en détail les crimes qu'ont commis les musulmans au cours de leur histoire.


On peut penser aux exécutions publiques d'homosexuels, aux lapidations, et j'en passe, mais je ne me prêterai pas au même jeu que le journaliste anonyme qui a écrit cet article incendiaire, qui fait honte aux idéaux de la profession.


Car j'aime ce qu'il y a de meilleur dans les chrétiens, dans les musulmans, dans les juifs, notamment. Un article sur un crime visant les institutions de mes frères ayant la foi n'est pas la place pour rappeler le pire de leurs religions. Tout est une question de contexte. Lorsque le feu flambe, ce n'est pas le moment de lancer de l'essence. Pas dans le même article.


Les Églises brûlent, des balles sont tirées dans les mosquées, des poignards s'agitent. Les sueurs perlent sur les fronts et les coeurs tremblent.


Certains diront que l'Église le mérite bien.


Mais attention, parce que si l'on pense comme ça, tout le monde le mérite bien. Personne ne mérite les flammes, personne ne mérite la haine.


Pour fabriquer votre téléphone cellulaire, quantité d'enfants travaillant dans des mines en Afrique sont morts sous des écroulements. Les mains de tous nos ancêtres sont souillées de sang. Et les vôtres aussi. Et pourtant, je vous aime, non pas tant pour le mal que vous n'avez pas commis, mais pour le bien que vous êtes capables de faire.


La haine attise la haine. Si des Églises brûlent, et que les médias restent si silencieux, si inégaux et partiaux dans leur traitement médiatique, parce que honteux des crimes du passé, n'y a-t-il pas un risque que des fanatiques chrétiens d'extrême droite passent eux aussi de l'indignation à l'allumette?


Quand la parole est détraquée, les détraqués passent à l'action.


Nous entrons dans des années de feux et de colère, de désespoir et de haine.


Ceux qui seront rongés par la culpabilité malsaine serreront entre leurs mains un tison ardent qui brûlera des bâtiments, des institutions, des livres et des idées. Ils laisseront des cendres, ce fertilisant inattendu.


Ceux qui seront habités par une responsabilité saine apaiseront les ardeurs, nourriront la terre, feront pousser un jardin.


J'espère que nous planterons quelque chose de bien. En attendant, plusieurs flammes lécheront le ciel. Soyons patients.


Qui sait quand ce long hiver social et culturel se terminera? Chaos fumée cris et huées!


Soyons patients, et préparons le printemps.



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