FIN DU TARIF UNIQUE

Un grand bond en arrière

Les femmes feront les frais de la réforme, dit l’Association des CPE

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Le taux de natalité au Québec, déjà faible, risque de chuter sous les coups de la tronçonneuse du gouvernement Couillard

L’abandon du tarif unique aura un « impact énorme » sur la « fréquentation » des centres de la petite enfance (CPE), des garderies privées subventionnées et des services de garde en milieu familial, avertit le directeur général de l’Association québécoise des centres de la petite enfance (AQCPE), Louis Sénécal.

« J’ai vu des parents avec les larmes aux yeux. Ils nous disent clairement qu’ils remettent en question l’idée d’avoir un deuxième ou un troisième enfant », lance-t-il à l’autre bout du fil. Il n’arrive pas à croire que le gouvernement libéral puisse imposer des frais de garde fluctuant entre 8 $ et 20 $ par jour dès le 1er avril 2015.

Pourtant, le ministère de la Famille entend bel et bien exiger une « contribution de base » de 8 $ par jour, à laquelle les familles à « moyens » et à « hauts » revenus devront ajouter une « contribution additionnelle » de 1 $ à 12 $, selon une « fiche de renseignements » remise à l’ensemble des ministres. La ministre Francine Charbonneau a qualifié mercredi de « spéculations journalistiques » le projet de grille tarifaire apparaissant le jour même dans Le Devoir, même si celle-ci est une copie conforme de celle apparaissant dans le document de deux pages préparé par le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS).

La fin du tarif unique dans les services de garde, conjuguée à d’autres mesures comme le fractionnement du revenu entre conjoints, forcera plus d’une femme à mettre en sourdine sa carrière professionnelle pour rester à la maison, appréhende le d.g. de l’AQCPE, Louis Sénécal. « On s’enligne vers une société où les femmes restaient à la maison, comme il y a 30 ans. Si c’est un choix, je n’ai pas de problème, mais pas une obligation », affirme-t-il en entrevue téléphonique avec Le Devoir. En allant de l’avant avec la modulation des tarifs, le gouvernement libéral forcerait des femmes à « choisir entre avoir un enfant ou avoir une carrière ». Il s’agirait d’un grand bond en arrière.

Le premier ministre, Philippe Couillard, a annoncé sans détour la fin imminente de l’universalité des services de garde éducatifs à l’enfance. « On veut que le régime soit préservé. On veut qu’il soit équitable et qu’il reflète la structure de revenus du Québec », a-t-il affirmé lors de la période de questions et réponses orales.

Option équitable

M. Couillard a présenté la modulation des tarifs comme une option nettement plus équitable comparativement à la hausse des tarifs de garde généralisée comme celle dans les cartons de l’ancien gouvernement « soi-disant progressiste ». « Nous allons protéger les familles à bas revenus et les familles de la classe moyenne à revenus modestes contre toute augmentation qui serait au-delà de leur capacité de payer », a-t-il souligné, dépeignant le tarif unique des services de garde comme l’institutionnalisation d’« un transfert des moins fortunés vers les plus fortunés ».

Les familles de la classe moyenne « trouve[ront] leur compte » dans la nouvelle grille tarifaire, a-t-il promis, se refusant à plus de précisions.

Le gouvernement du Québec pourrait élargir la portée du crédit d’impôt remboursable pour frais de garde d’enfants aux parents d’enfants inscrits à une garderie subventionnée afin de rendre la modulation des tarifs plus digeste, selon des sources consultées par Le Devoir. À l’heure actuelle, seuls les frais payés dans des établissements privés sont déductibles d’impôt.

En réussissant à atteindre l’équilibre budgétaire au terme de l’exercice financier de 2015-2016, le gouvernement libéral émergera-t-il comme le sauveur ou le fossoyeur du modèle québécois, au coeur duquel se trouve la Politique familiale ? s’interroge Louis Sénécal.

Il voit aussi dans l’établissement de « barrières à l’entrée » des CPE, des garderies privées subventionnées et des services de garde en milieu familial, une façon détournée pour l’équipe de Philippe Couillard de ne pas devoir compléter le réseau de 250 000 places à contribution réduite au Québec. Au lendemain d’une hausse tarifaire, « il y a des parents qui vont retirer leur enfant du service de garde et il y a des parents qui ne voudront pas envoyer leur enfant dans un service de garde ». « Est-ce qu’il y aura lieu à ce moment-là de compléter le réseau ? » demande-t-il à quelques jours de manifestations dans 11 municipalités québécoises.

Par le biais de leurs impôts et de leurs taxes, les Québécois financent un « panier de services » — santé, éducation, services de garde. « Pourquoi on enlèverait ça du panier collectif et on ferait porter aux familles le fardeau de [résorber] le déficit ? C’est le déficit de tout le monde », dit M. Sénécal, qualifiant l’attitude du gouvernement de « scandaleuse ».

Après avoir mis fin à l’universalité des services de garde, « le prochain pas [du gouvernement libéral], ça va être quoi ? » « Est-ce que le péage sur le prochain pont Champlain, on va devoir présenter notre rapport d’impôts ? Plus on est riches, plus on va payer cher ? »

La co-porte-parole de Québec solidaire, Françoise David, partage l’inquiétude de l’AQCPE. « J’ai l’âge et l’expérience pour savoir ceci : ce n’est que la première étape », a-t-elle déclaré lors d’un point de presse à l’Assemblée nationale.

Le Parti québécois dénonce une « attaque frontale » de la classe moyenne québécoise par le gouvernement libéral. « Est-ce que le premier ministre est autant déconnecté de la réalité des familles québécoises ? Elles sont étranglées actuellement. Elles ont de la misère à joindre [les deux bouts] », a déclaré le chef de l’opposition officielle, Stéphane Bédard. Le gouvernement Couillard a déniché « une autre façon libérale d’aller chercher de l’argent dans les poches des contribuables », a déploré la députée caquiste Lise Lavallée.

L’attrait du privé

La fin du tarif unique augmentera l’attrait des garderies privées non subventionnées, se réjouit le vice-président de l’Alliance québécoise des garderies privées non subventionnées (AQGPNS), Khalid Daher. Par ailleurs, il s’étonnait de voir l’AQCPE et les syndicats « défendre les intérêts des riches ». « Aucun riche n’a levé la main aujourd’hui pour dire : “ je ne suis pas d’accord ”. De quoi les syndicats et les CPE se mêlent-ils ? Pourquoi ne défendent-ils pas les pauvres de Saint-Michel qui sont aujourd’hui dans les garderies non subventionnées et qui paient une fortune ! C’est de la folie tout ça », lance M. Daher, félicitant le « courage » de M. Couillard et Mme Charbonneau.

Le v.p. de l’AQGPNS réitère toutefois la demande de verser des « subventions » aux parents plutôt qu’à des établissements afin que les garderies privées — regroupant 50 000 places, dont 15 000 vacantes — ne soient plus des « salles d’attente » des CPE, des garderies privées subventionnées et des services de garde en milieu familial.


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