Avec Olga, nous avions différé la traduction de ce texte, attendant de voir l’évolution des menaces de David Cameron (et d’autres) d’exclure la Russie du système SWIFT. Il paraissait évident qu’ils n’iraient pas jusqu’au bout de leurs menaces, et ce texte vous explique pourquoi. Effectivement, SWIFT a annoncé qu’elle ne répondrait pas à l’appel des sanctions contre la Russie. En clair, les sanctionneurs refusent de répondre à leur propre appel. Cette déclaration « magnanime » cache en fait une réalité de taille : la déconnexion de la Russie de SWIFT les rendrait définitivement sourds et aveugles pour toutes les activités essentielles de la Russie.
***
Le système financier international de nos jours est tout d’abord un système d’information. C’est à dire, le système de collecte, de traitement, de stockage et d’utilisation de l’information sur les clients des banques, des compagnies d’assurance, caisses de pension, fonds de placement, d’autres sociétés financières. On collecte des informations de toutes sortes. Pour des personnes physiques, les données de la situation financière, de la santé, du travail, des biens, des parents, des conditions de vie des citoyens, etc. Pour les personnes morales, la collecte concernera les données sur la situation économique et financière actuelle, les antécédents de crédit, des informations sur les projets d’investissement proposés, sur les administrateurs, actionnaires et dirigeants, des contrats, l’état de l’actif immobilisé de la société, etc.
Pour la collecte, le traitement, le stockage et la transmission de l’information, les banques et autres institutions financières utilisent avant tout leurs propres services. En outre, l’infrastructure de l’information du secteur financier comprend les bureaux de crédit, agences de notation, les sociétés de l’information spécialisée. Plusieurs banques ou des entreprises peuvent créer des pools partagés d’information sur les clients (bases de données). Les banques centrales sont des centres de données puissants dont la fonction est la supervision sur des banques commerciales, ce qui leur donne l’accès à l’information de manière presque illimitée. En outre, certaines banques centrales collectent aussi les informations indépendamment. Par exemple, la Banque de France surveille le secteur réel de l’économie, justifiant cela par la nécessité d’améliorer sa politique monétaire. De gros flux d’informations financières et commerciales passent par les systèmes de paiement – les systèmes de télécommunication et d’information. Les systèmes d’information divers du secteur financier, étant étroitement liés et interagissants, englobent dans leur ensemble les informations d’une très large envergure.
La grande majorité des banques et sociétés financières ont leurs propres services de sécurité. Officiellement, leur fonction principale est de protéger leurs propres données. Officieusement, beaucoup d’entre eux vont chercher des informations supplémentaires sur leurs clients et concurrents. Il s’agit naturellement d’opérations secrètes utilisant des méthodes spéciales de renseignement et techniques.
Les informations collectées par les banques et les sociétés financières deviennent confidentielles et ne sont accessible aux tiers que sous les ordres spéciaux de tribunaux et des procureurs. La possession d’informations confidentielles, ainsi que l’indépendance considérable face aux institutions gouvernementales, rapprochent des banques et des services de sécurité du monde. On peut dire que les services secrets et les banques forment une joint-venture de l’information. En fait, il y a eu une fusion organique des services de renseignement occidentaux avec le monde financier et bancaire, tel un énorme Léviathan de l’ombre, possédant d’énormes ressources financières et informationnelles et mettant la société humaine sous contrôle dans tous les aspects.
SWIFT, une plateforme de l’information financière globale
L’acronyme SWIFT signifie la Société de télécommunications financières interbancaires mondiale. Du point de vue technique, il s’agit d’un système automatisé de paiements internationaux via les ordinateurs et les télécommunications interbancaires. D’un point de vue juridique c’est une société anonyme, détenue par des banques membres de différents pays. La société a été fondée en 1973 par des représentants de 240 banques de 15 pays en vue de la simplification et l’harmonisation des règlements internationaux. Elle est en fonction depuis 1977. La grande majorité de tous les règlements prévus par la SWIFT sont virés en dollars. La société est enregistrée en Belgique (le siège et les organes permanents sont situés à La Hulpe près de Bruxelles) et agit conformément à la loi belge.
L’assemblée générale des banques membres ou de leurs représentants (Assemblée générale) est l’organe suprême de la société. Les décisions sont prises à l’Assemblée selon le principe «une action – une voix». Les représentants des banques de l’Europe Occidentale et des États-Unis prévalent au conseil d’administration de la société. Le nombre d’actions est attribué au prorata du trafic des messages. Les Etats-Unis, l’Allemagne, la Suisse, la France, le Royaume-Uni possèdent le plus grand nombre d’actions.
Toute banque, ayant le droit de mener des opérations bancaires internationales conformément à la législation nationale, peut devenir membre de la SWIFT. Depuis déjà la fin du XXe siècle il était impossible de contourner la SWIFT si une entité ou une personne avait à envoyer de l’argent dans un autre pays. Etant donné que la part du lion des paiements et des règlements internationaux était effectuée en dollars, toutes les transactions passaient par les comptes de correspondants que les banques de différents pays avaient auprès des banques américaines. Ces derniers, à leur tour, avaient des comptes auprès de la Réserve fédérale des Etats-Unis. Ainsi, la société SWIFT, bien que formellement une organisation internationale, se reposait sur la Fed. Et cela malgré le fait que les banques américaines n’avaient pas une participation majoritaire dans la société. Les serveurs de la SWIFT sont situés aux Etats-Unis et en Belgique.
Dans le milieu de la dernière décennie la société SWIFT desservait 7800 institutions financières et bancaires dans 200 pays. Le flux financier en opération était estimé à 6 milliards de dollars par jours.
SWIFT, une joint-venture entre la Fed et la CIA
En été 2006 un scandale a éclaté autour de la SWIFT. Il a été engendré par des publications de New York Times, Wall Street Journal et Los Angeles Times.
L’essence de l’histoire est la suivante. Après le 11 Septembre 2001, les autorités des États-Unis ont eu l’idée de mettre toutes les transactions monétaires à l’intérieur du pays, et surtout les transactions transfrontalières, sous contrôle des services de sécurité. Le but officiel du contrôle était la prévention du financement du terrorisme. Peu après le 11 septembre, la CIA est entrée en contact avec la société SWIFT et a commencé à examiner des informations sur les paiements entrants et sortants des États-Unis. La CIA n’avait aucune base juridique pour une telle surveillance. Même les membres de la SWIFT ne savaient rien à propos de ces activités. Pour en quelque sorte justifier le contrôle de la CIA sur les opérations passant par SWIFT, des négociations ont eu lieu en 2003 à Washington entre la Société pour la Communication Interbancaire Mondiale et un certain nombre d’organismes gouvernementaux américains, dont la CIA et le FBI, et la Réserve fédérale. Alan Greenspan, le président de la Fed à l’époque, était présent aux négociations.
Les parties ont convenu de poursuivre la coopération, à condition que Washington se conforme à un certain nombre de règles. Elles comprennent notamment le renforcement du contrôle du ministère des Finances des Etats-Unis et l’obligation de s’en tenir exclusivement aux transactions pour lesquelles il y avait des soupçons de lien avec le financement du terrorisme. La partie américaine a promis de ne pas s’intéresser aux données des virements bancaires liés aux crimes d’autres types, y compris la fraude fiscale et le trafic de drogue.
Il est à noter que, dans les négociations avec la direction de SWIFT les Américains ont présenté comme argument que formellement la société elle-même ne représentait pas une banque mais un organisme de liaison entre celles-ci. Par conséquent, selon Washington, l’intérêt du service de renseignements à ses données n’était pas une violation de la loi américaine sur la préservation du secret bancaire. Les banques centrales de Grande-Bretagne, de France, d’Allemagne, d’Italie, de Belgique, des Pays-Bas, de Suède, de Suisse et du Japon ont été informées sur la pratique de la communication des données par SWIFT à la CIA. La Banque centrale de Russie manque sur la liste…
La notification à certaines banques centrales sur la coopération avec la CIA et SWIFT fut classifiée et n’est pas allée plus loin. Non seulement le public, mais aussi les gouvernements et les parlements n’étaient pas au courant de l’affaire (et s’ils étaient au courant, ils sont alors restés silencieux). Il convient de noter à cet égard l’exemple du Royaume-Uni. Le journal The Guardian a publié à l’été 2006 les données sur la façon dont la société SWIFT communiquait tous les ans à la CIA les renseignements sur des millions d’opérations des banques britanniques. The Guardian a souligné que le programme classifié de la transmission des informations confidentielles sur les opérations bancaires britanniques à la CIA était une violation du droit britannique ainsi qu’européen (en particulier la Convention européenne des droits de l’homme).
La Banque d’Angleterre, l’une des 10 banques centrales possédant une place au sein du Conseil des gouverneurs de SWIFT, a déclaré avoir informé le gouvernement britannique en 2002 à propos de ce programme. «Quand on a su cela, nous l’avons signalé au ministère des Finances et lui avons communiqué les contacts, – a déclaré en 2006 Peter Rogers de la Banque d’Angleterre. – Nous avons également recommandé à SWIFT de contacter le gouvernement. Cela n’a rien à voir avec nous. C’est une question de sécurité, non de finance. Cette question doit être réglée entre le gouvernement et SWIFT». En 2006 dans une réponse écrite au Parlement, Gordon Brown a confirmé que le gouvernement était au courant du programme. Se référant à la politique du gouvernement de ne pas commenter sur les «questions de sécurité spécifiques», le ministre des Finances a refusé de dire si des mesures ont été prises pour « assurer le respect de la vie privée des citoyens britanniques dont les opérations bancaires pourraient être considérées comme faisant partie des enquêtes anti-terroristes aux États-Unis en coopération avec SWIFT ». Gordon Brown a également refusé de dire si le programme de SWIFT était en conformité juridique avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.
La plateforme information-finance aujourd’hui
Nous ne savons pratiquement rien, aujourd’hui, de la coopération entre la société SWIFT avec la CIA et autres agences de renseignement américaines. Ce sujet est tabou dans les médias du monde entier. J’exprimerais une hypothèse : le plus probable est que la coopération continue. Dans tous les cas, les États-Unis possèdent toutes les conditions nécessaires pour cela (l’un des deux serveurs de SWIFT se trouve aux États-Unis). Il y a beaucoup de preuves circonstancielles de ce que la société SWIFT formellement indépendante reste fortement influencée par le Washington officiel. Un exemple récent fut l’exclusion de l’Iran de la société en 2012. Tous les commentateurs s’accordent à dire que cela a été fait sous la pression des autorités américaines.
En conclusion, je dois dire que les services secrets américains ont d’autres méthodes de contrôle, en plus de SWIFT, sur les flux financiers internationaux et leurs sources. Le dollar reste la monnaie principale dans les règlements sur les marchés mondiaux de la finance et des matières premières. Cela signifie que les transactions en dollars des entreprises et des particuliers, qui se trouvent à l’extérieur des États-Unis, passent par les comptes de correspondant des banques américaines. Les informations sur les transactions et leurs participants sont accumulées dans les bases de données des banques commerciales et des banques de la Réserve Fédérale des États-Unis. Pour compléter le tout, une puissante base de données du Ministère des Finances des États-Unis a été créée, destinée à recevoir des informations non seulement des banques américaines, mais aussi des compagnies d’assurance, fonds de pension, autres sociétés et organisations financières. Au début de 2013 les médias on fait savoir que, pour assurer la sécurité et les «intérêts des États-Unis», tous les services de renseignement américains – la CIA, le FBI, la NSA et d’autres, auront accès à cette base de données.
La construction rapide de la plateforme d’informations financières dans les intérêts des banksters et des services de sécurité américains force les autres pays à chercher des moyens pour se protéger contre le contrôle oppressif du «Big Brother». Aujourd’hui on parle beaucoup de la nécessité de passer du dollar à d’autres devises dans les règlements internationaux. Typiquement, une telle transition est considérée comme un moyen pour ne pas dépendre des États-Unis du point de vue financier et économique. C’est exact. Cependant, un tel changement permettrait aussi d’échapper à la surveillance globale.
Valentin Katassonov
Traduit par Olga pour Réseau International
Sources :
http://politikus.ru/articles/30881-swift-kak-sovmestnoe-predpriyatie-frs-i-cru.html
http://www.fondsk.ru/news/2013/07/12/mir-pod-informacionnym-kolpakom-amerikanskih-specsluzhb-i-bankov-21550.html
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé