La mission militaire canadienne contre l'État islamique

Sur les sentiers de la guerre

Tribune libre

Les autochtones de l’Amérique du Nord, nos « Amérindiens », ont une expression imagée pour parler de leur entrée en guerre contre une tribu rivale : déterrer la hache de guerre. Sans débat démocratique préalable, sans détailler les coûts de la prochaine mission de combat des militaires canadiens en Irak et en Syrie, le gouvernement canadien a déterré la hache de guerre et décrété que nous participerions bon gré mal gré à des activités militaires sans, faut-il le souligner, que la sécurité canadienne ne soit directement menacée.

Ceux qui s’opposent ou simplement questionnent la guerre comme mode de résolution des conflits nationaux et internationaux sont, règle générale, taxés d’hurluberlus, d’inconscients, de rêveurs idéalistes ou pire encore, d’antipatriotes insensibles et lâches face aux sacrifices des militaires en mission et des civils volontairement ou involontairement conscrits. De tels reproches sont-ils justifiés ?

D’abord, le choix de la carrière militaire comporte des risques que doivent assumer en connaissance de cause ceux qui font ce choix de carrière, tout comme les policiers. En qualité de gardienne des frontières nationales et de police territoriale, les forces armées jouent un rôle essentiel que les corps policiers réguliers ne peuvent assumer et que les civils, accaparées par leurs activités de reproduction et de production ne peuvent remplir. L’armée professionnelle vient avec les frontières et le drapeau. C’est un mandat que tous peuvent accepter sans trop rechigner. Toutefois, lorsqu’il s’agit de porter la guerre à des milliers de kilomètres des frontières nationales, la population civile devrait avoir un droit de regard, sinon un droit de veto.

Un Québec, même souverain et pacifiste, ne pourrait y échapper ; il devra disposer des militaires de Valcartier, gérer l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN-1949) et le North American Aerospace Defense (NORAD-1958) en les reconduisant ou en s’en retirant. L’article 17 du projet de loi no 1 intitulé Loi sur l’avenir du Québec, déposé à l’Assemblée nationale le 7 septembre 1995 par le premier ministre, Jacques Parizeau, quelques semaines avant le référendum du 30 octobre 1995, reconnaissait pleinement cette réalité en préconisant «…de participer aux alliances de défense [l’OTAN, NORAD] dont le Canada est membre ». Ainsi, la personnalité internationale du Québec souverain ne pourra faire l’économie des réalités politiques de l’Amérique du Nord et ne sera en définitive pas tellement différente de ce qu’elle est aujourd’hui.

Selon Jules Dufour, géographe et professeur à l'Université du Québec à Chicoutimi, « Le Québec appartient au complexe militaro-industriel de l’Amérique du Nord. Il lui est irrémédiablement greffé par son espace et son économie et il est même devenu, au cours des ans, fort dépendant de la logique de guerre que préconisent les Alliances militaires occidentales. Dans le processus de réorientation de la politique de la défense nationale, il réclame sa part des dividendes qui lui reviennent et veille à ce qu’elles lui soient octroyées …. Le Québec militaire est l’un des éléments fonctionnels de ce complexe en raison des traités que le Canada a signés avec l’OTAN et le NORAD (Jules Dufour, Le Québec militaire, www.mondialisation.ca, 7 avril 2008).

Est-ce que ces traités internationaux, auxquels semblent tenir même les souverainistes, ont véritablement contribué à la paix mondiale au cours du dernier siècle (1914-2014) ? De fait, est ce que le monde a jamais connu la paix, la hache de guerre a-t-elle déjà été enterrée ?

En réalité, après les deux guerres mondiales, l’état de guerre n’a jamais cessé et s’est poursuivi par la Guerre froide de 1947 à 1991, une longue et tragique période de tension et de confrontations idéologiques et politiques entre les deux superpuissances que furent les États-Unis, l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS) et leurs alliés respectifs. La volonté des Occidentaux d’endiguer l’idéologie communiste a mené à la Guerre de Corée (1950-1953) et à la deuxième guerre du Vietnam (1957-1975), après l'échec de la France pour reconquérir l'Indochine en 1954, suite à la victoire décisive du Viêt-Minh à la bataille de Diên Biên Phu. La première guerre d'Afghanistan (1979-1989) entre l’URSS et les moudjahiddin ou « guerriers saints », qui a fait 1,2 million de morts, dont 80 % de civils afghans, et qui a forcé à l’exil ou déplacé à l’intérieur des frontières 30 % de la population afghane, est considérée, du fait de l'implication en sous-main des États-Unis, comme une des dernières crises de la Guerre froide.

Le monde allait-il enfin connaître la paix après l’effondrement du mur de Berlin en 1989 et de l’URSS en 1991 ? Pas encore ! Outre la Guerre des Balkans de 1991 à 1999 (en Croatie, en Bosnie et au Kosovo) et les guerres civiles en Afrique (au Rwanda, au Darfour, au Kivu…), la Guerre au terrorisme a pris le relais de la Guerre froide, à partir de l’Afghanistan et de l’Irak avec, en toile de fond, une reprise récente en Ukraine et en Syrie de la Guerre froide avec la Russie.

Devant un tel tableau historique, les boutefeux qui croient que la guerre est la solution pour régler les conflits et mener les peuples à une paix définitive ont le devoir de démontrer la valeur de leur option et certainement l’obligation d’expliquer pourquoi le monde ne connaît jamais la paix et vraisemblablement, ne connaîtra jamais la paix en recourant à la guerre. Ainsi, douter de la pertinence de la guerre pour résoudre les conflits mondiaux est plutôt une tentative honnête d’en comprendre les limites afin d’éviter l’avènement de nouveaux conflits qui se traduiront nécessairement par de terribles hécatombes humaines, compte tenu des arsenaux militaires contemporains fabriqués et disséminés sans discernement.

Des outils de paix

La signature de la charte des Nations unies (ONU) à San Francisco le 26 juin 1945 est en quelque sorte l’acte de naissance de l’Organisation créée au lendemain de la Deuxième guerre mondiale précisément pour éviter de futurs conflits tout aussi sanglants. L’ONU est le seul outil valable dont dispose l’humanité pour poursuivre sa route d’humanisation et de civilisation des nations. Sans cette institution, fleuron du patrimoine mondial, il s’en faudrait de peu pour que l’humanité ne revienne à un état de barbarie généralisée. La scène politique internationale suggère actuellement la possibilité de telles dérives.

Malheureusement, l’Organisation, tout au long de son histoire mouvementée, a souvent été paralysée par le droit de veto exercé par l’un des 5 membres permanents du Conseil de sécurité, soit les États-Unis, la Russie, la France, la Grande-Bretagne et la Chine. L’opposition de l’une ou l’autre de ces grandes puissances, au nom de leurs intérêts nationaux ou pour des questions de géopolitique, a nui au travail effectif de l’ONU en empêchant l’application des résolutions adoptées démocratiquement par les pays membres. Dans les faits, le droit de veto s’accorde mal avec les principes démocratiques dont tous se réclament. Il est peut-être temps de revoir cette disposition en rendant souveraine et décisionnelle l’Assemblée générale des Nations unies.

Mais l’ONU ne peut remplacer la consciente des peuples, les premières victimes des conflits. Seule l’implication politique indéfectible de la population civile peut arrêter la logique de guerre et mener à un changement de comportement durable. Il est inconcevable qu’une poignée d’individus puissent entraîner l’humanité dans des conflits dont l’issue est imprévisible. Au Canada, depuis l’élection fédérale du 2 mai 2011, le parti politique au pouvoir est souverain à la chambre des communes avec aussi peu que 40 % des votes exprimés en sa faveur. Cette fiction démocratique lui permet d’impliquer les forces armées canadiennes dans des conflits internationaux dont la légitimité démocratique, éthique ou morale est questionnable.

Qui plus est, depuis la crise financière de 2008, nos gouvernements, fédéral et provinciaux, font une fixation sur l’équilibre budgétaire des comptes publics. Il n’y aurait plus d’argent neuf pour la santé, l’éducation et les autres missions à vocation sociale, mais tout à coup, comme par magie, des fonds seraient disponibles pour aller en guerre et porter la mort à des milliers de kilomètres. La population canadienne ne doit pas être dupe ou complice de telles dérives, car c’est elle au final qui va payer la facture, en espèces sonnantes et trébuchantes et en vies humaines.

Le contrôle démocratique de la politique extérieure, incluant la remise en question des traités internationaux qui peuvent entraîner notre nation dans la guerre contre son gré et le contrôle démocratique de la production et de la commercialisation des armes doivent revenir de droit aux citoyens. Vous aurez noté qu’aucune élection générale ne porte jamais ou qu’exceptionnellement sur de tels enjeux.

Sans jeu de mots, le nerf de la guerre est évidemment la production et la vente d’armes à des fins civiles et militaires. Le registre canadien des armes à feu, créé en 1995, mais finalement aboli le 5 avril 2013 était l’embryon d’une démarche politique qui aurait pu mener à l’étatisation de la production et de la commercialisation d’armes sur le territoire canadien et servir de modèle à d’autres pays. Savoir qui produit quoi, à qui est vendue cette production et pour quelle fin aurait été un pas décisif vers la démocratisation des engagements militaires internationaux.

Faut-il rappeler l’implication des forces armées canadiennes dans le cadre des missions de paix des Nations unies ? Lester Bowles Pearson (1897-1972) fut un grand premier ministre canadien adulé par tous, y compris par les québécois, en raison justement du rôle constructif qu’il fit jouer aux militaires canadiens sur la scène internationale. Mais le Canada ne pourra de nouveau jouer un tel rôle sans que ne soit réformé le Conseil de sécurité de l’ONU. Ses membres permanents sont les plus grands fabricants et commerçants d’armes, ce qui ne leur confère pas l’objectivité et l’indépendance nécessaires pour arbitrer et résoudre des conflits qu’ils contribuent à armer !

Dernier outil de paix trop peu souvent invoquer serait le rôle que puisse jouer le mouvement féministe mondial dans le processus de paix. À titre de porteuses de vie et de gardiennes de la vie sur terre, à quoi servirait autrement le lourd investissement personnel des femmes dans la procréation de l’espèce, si c’est pour voir tuer ses pères, ses frères, ses fils et ses filles dans des guerres absurdes ? Il ya ici une prise de conscience essentielle qui peut contribuer puissamment à changer les mentalités et arrêter la logique de guerre. Le déficit démographique de nos sociétés occidenatles vieillissantes découle des millions de vies de jeunes hommes en pleine santé et en âge de procréer qui ont été sacrifiées au cours des multiples guerres du dernier siècle (1914-2014). Nous nous en prenons maintenant à des peuples jeunes, peuplés d'une jeunesse sans avenir et sans espoir qui représente un terrau fertile pour tous les extrémismes.
Nos sociétés vieillissantes n'ont pas fini de trembler...

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Yvonnick Roy60 articles

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