Stora en quête de la terre natale

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L’incontournable géant Benjamin Stora

Avec la douceur d'une langue qui mêle élégance et beauté, comme chez Kateb Yacine, originaire lui aussi de Constantine, vieille cité de ponts suspendus, bâtie sur un rocher à 600 m d'altitude, Benjamin Stora livre avec émotion les images de son enfance. Lui, le grand historien de l'Algérie, auteur de l'Histoire de l'Algérie coloniale, la Guerre d'Algérie expliquée à tous, Voyages en postcolonies ou Histoire des relations entre juifs et musulmans des origines à nos jours avec Abdelwahab Meddeb, retrouve les clés de son enfance, qui ouvrent la mémoire et le passé familial, l'entrée de l'histoire dans la vie intime. « C'était le 20 août 1955. J'avais 4 ans et demi. Il faisait très chaud ce jour-là dans notre petit appartement de Constantine. Et puis, brusquement, des soldats sont entrés. » Comment la guerre d'Algérie se cache-t-elle dans les plis d'une mémoire ? Comment les langues, l'arabe, l'hébreu et le français, se mêlent-elles pour constituer l'univers d'un jeune garçon ?




En 2013, Stora découvre la boîte d'archives de son père, et ses souvenirs : facture d'achat du réfrigérateur Admiral en 1958, copie du diplôme du baccalauréat paternel passé en langue arabe, vieux livre de la Haggadah, le récit de la Pâque juive, carnet personnel sur la guerre et son unité en 1940. Stora reconstitue l'histoire d'un bloc d'enfance : personnages pittoresques du quartier juif, comme Lilo, le meilleur vendeur de sandwichs de merguez, ou Chouailem, le marchand de bonbons si affable ; promenades sur le vertigineux pont de Sidi M'Cid ou l'écho des ritournelles des maîtres de la musique maalouf (arabo-andalouse) comme Raymond Leyris, Tahar Fergani ou Sylvain Ghrenassia ; la vie quotidienne, pleine de joie et d'entrain. « Des dizaines de cafés, d'où partout s'échappait de la musique. »




Comment les langues - l'arabe, l'hébreu et le français - se mêlent-elles pour constituer l'univers d'un jeune garçon ?Le Jacky Bar, où Benjamin découvre les chansons d'Elvis Presley, explose de joie lors de la victoire du boxeur Alphonse Halimi, « un enfant de chez nous », qui gagne le championnat du monde des poids coq à Londres, en 1960. C'est aussi la découverte de l'Amérique par la magie du cinéma, le Pont de la rivière Kwaï, les westerns ou les Dix Commandements. « J'allais avec les copains au Vox où régnait un brouhaha permanent et réjouissant », se souvient Stora, qui décrit l'animation des ruelles, les petits métiers (le repasseur de couteaux, les marchands ambulants, les vitriers), l'ambiance à l'approche des grandes fêtes juives, Kippour, Pessah ou Roch Hachana, ou musulmanes, le Mouloud ou l'Aïd el-Kebir. C'est aussi l'atmosphère de sensualité de la plage et de la Méditerranée. « A l'approche de l'été, il faisait une chaleur terrifiante la journée. Mais, dès que le soir tombait, la fraîcheur arrivait, et très vite les gens sortaient. » Stora décrit avec sensibilité la déambulation des promeneurs, ce paseo un peu italien ou espagnol. « Le quartier juif était imbriqué dans le quartier arabe. » Rencontre des cultures, prières et chants se mêlent, psalmodies des versets du Coran et de l'Ancien Testament. Avec un amour indéfectible de la France républicaine chevillé à l'âme. « Je voyais autour de moi une vie judéo- musulmane », conclut Stora, qui parle arabe avec sa mère et se régale de beignets brûlants, de zlabias et de makrouds, gâteaux enveloppés dans du papier journal, dont il livre la saveur, au cœur des souvenirs.






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