Qui suis-je pour décider du sexe de mon enfant à naître ?

Lettre au ministre

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Une logique détraquée (interdiction de rire) : « Je suis un futur papa, et ce, même si je n’ai pas de pénis, chose qui pour vous semble un organe déterminant. »


Monsieur le Ministre de la Justice,


Aujourd’hui, j’ai le cœur gros, car jeudi dernier, vous vous êtes immiscé dans ma vie privée, plus précisément, dans ma boîte de courriel, alors que plusieurs personnes m’ont fait part de leurs détresses lorsqu’elles ont lu certains articles du projet de loi no 2. Ceci, exactement un mois avant la date de naissance de mon premier enfant, un mois avant que la mention «père» précède mon nom choisi sur son certificat de naissance.


Selon l’échographie, je serai père d’un enfant qui sera considéré comme un garçon. Cependant, si mon enfant naît intersexe, on demandera à ma conjointe et moi de choisir son sexe. Qui suis-je pour décider de cet aspect fondamental de mon enfant alors il n’a même pas encore conscience d’être au monde? En ce moment, même si les démarches sont ardues, je pourrais attendre qu’il grandisse, qu’il prenne conscience de son identité avant de décider pour lui, m’évitant alors de prendre une décision basée seulement sur des organes génitaux. 






Décision


Cependant, l’article 24 de votre projet de loi nous obligerait à prendre une décision binaire (fille ou garçon) «dès que possible». Ce choix, fait «à la va-vite» l’amènera rapidement à devoir se conformer aux normes binaires instaurées par la société alors qu’il n’aura pas encore conscience de son environnement. Il devra alors vivre toute sa vie avec les répercussions de cette décision hâtive que nous avons prise en raison de vous. À un mois de vivre cette belle expérience que d’être parent, je me sens triste de ce recul de notre société. 


Il y a trente-trois ans, je suis né «fille». Il y a trois ans, j’ai pris la décision de faire ma transition de changement de genre. Cette décision a changé ma vie de manière positive. Je me suis priorisé, pour la toute première fois. Grâce aux lois progressistes votées en 2013 et en 2016, j’ai pu tracer ma route. J’avais le choix de faire les étapes dans l’ordre que je le désirais. 


Qu’en est-il de mes ami.e.s qui n’ont pas encore pris cette décision? Iels sont effrayés, iels ont peur sans arrêt que leur vie soit chamboulée par ce genre de projet de loi qui faire reculer nos droits. 


L’article 23 du projet de loi no 2 prévoit que le changement de la mention de sexe à l’État civil sera possible qu’après une chirurgie «impliquant une modification structurale de ses organes sexuels et destinés à changer ses caractères sexuels apparents de façon permanente». Prévoir législativement la mutilation d’organes génitaux est barbare et indigne de la société québécoise. Obliger une personne à subir quatre à cinq opérations pour être légalement reconnue est insensé. D’ailleurs, savez-vous que le nombre de chirurgiens au Québec pratiquant ces chirurgies se compte sur les doigts d’une seule main? Savez-vous que la liste d’attente pour ce type de chirurgies est de plusieurs années? Avez-vous conscience que ces chirurgies ne sont pas désirées par toutes les personnes trans, car elles sont risquées, elles ont un impact sur le bien-être physique, psychologique et sexuel? Prenez-vous en considération que cela obligerait un bon nombre de personnes à subir ces chirurgies alors qu’elles n’en ressentent pas le besoin fondamental? 


Pour ajouter l’insulte à l’injure, le Gouvernement a décidé de différencier le sexe et l’identité de genre sur les documents gouvernementaux, créant ainsi une distinction qui favorisera la discrimination. Ces modifications législatives vont créer un climat de peur, de jugement et d’incompréhension, entre les personnes cisgenres et les personnes trans. 


Personne trans


Je suis une personne trans, je suis un amoureux, je suis un ami, je suis un collègue, je suis un frère, je suis un fils, je suis un futur papa, et ce, même si je n’ai pas de pénis, chose qui pour vous semble un organe déterminant. Je ne peux pas concevoir que mon enfant vivra dans une société où les organes génitaux définiront qui nous sommes. Je donnerai toujours les outils à mon enfant pour qu’il se sente bien, qu’il se sente reconnu, aimé, soutenu. Nous lui apprendrons l’inclusion, la force, la résilience et le respect des autres d’abord et avant tout. 


À toutes les belles personnes au cœur de la communauté trans: nous ne sommes pas seul.e.s. Nous ne le serons jamais. Nous ne passerons pas sous silence. À vous nos allié.e.s, il est le temps de parler haut et fort et de nous accompagner dans ce combat pour l’inclusion. À vous, Monsieur le Ministre, j’aimerais vous parler de cœur à cœur. J’aimerais vous parler de ce que notre communauté vit tous les jours et de nos enjeux actuels. En tant qu’élu, vous avez la responsabilité de vous informer de notre réalité avant de légiférer, manifestement, vous n’avez pas fait vos devoirs.


Alexandre Bédard, Un futur papa inquiet, Conseiller aux enjeux trans – Alliance Arc-en-ciel de Québec




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