Qui se cache derrière l’Union européenne ?

Entrevue avec David Mascré

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Géopolitique — Union européenne

« La France ne le sait pas, mais nous sommes en guerre avec l’Amérique. Oui, une guerre permanente, une guerre vitale, une guerre économique, une guerre sans mort … apparemment. Oui, ils sont très durs les Américains, ils sont voraces, ils veulent un pouvoir sans partage sur le Monde … C’est une guerre inconnue, une guerre permanente, sans mort apparemment et pourtant une Guerre à mort » !
Ces mots n’appartiennent pas à un recru du FN. Ils n’appartiennent pas à un retraité adepte du gaullisme, écœuré par les nouveaux maîtres de la France. Détrompez-vous ! Ces mots sont ceux de François Mitterrand. Il les a prononcés quelques semaines avant de s’éteindre. Une guerre sans mort (apparemment !) – je doute qu’il aurait conservé la même formule aujourd’hui, alors qu’UE et OTAN ne sont que très difficilement dissociables, alors que l’OTAN est justement cet instrument vorace, incontrôlable, par le truchement duquel les USA exerce une emprise qui par sa force n’a rien à envier à l’hégémonie pluridimensionnelle de l’Empire romain.
Lorsqu’un certain David Mascré, que j’ai eu l’honneur d’avoir au téléphone la veille, déclare que la crise de l’Europe n’est pas « une crise de crédit, mais une crise de credo », son calambour n’a rien de fortuit. Bien au contraire, il fait remonter à la surface ce malaise inextricable qu’éprouve un corps, une âme, un être vivant dans son ensemble suite à un greffe qui lui est incompatible.
On nous rince régulièrement le cerveau en évoquant des valeurs unionistes européennes. Mais ces valeurs, si l’on se pose rigoureusement la question, peuvent-elles s’accorder si les nations qui tendent à s’entendre oublient leur propre visage, se livrent à un devoir d’amnésie qui rappelle un peu le travail du deuil … situation où l’on veut oublier sans tout de suite pouvoir le faire ? Je me souviens encore de cette réaction si naturelle, si humaine au moment où la France avait tiré sa révérence à la monnaie nationale. Je me souviens encore de cette mode idiote au cosmopolitisme fondé sur des idées vaguement philanthropes et, dans le fond, en oxymores saillantes, profondément intolérantes. Jamais, au grand jamais, je n’ai entendu parler de patriotisme à l’école. En revanche, j’ai plus d’une fois – ma génération a plus d’une fois – entendu dire que le patriotisme était l’apanage de gens arriérés, rétrogrades, voire fascisants. Quelqu’un entretenait adroitement cet amalgame. Qui ? Pourquoi ? C’est là qu’on rentre dans le vif du sujet, qu’on force le côté caché de la construction européenne. Adressons-nous aux faits.
Des documents déclassifiés du gouvernement américain, économiquement rassasié par la défaite et les ruines de l’Europe après la fin de la II GM, montrent que la communauté du renseignement des USA a mené une campagne dans les années 1950 et 1960 visant à favoriser l’unification de l’Europe. Une large campagne de financement est alors lancée qui fera de M. Robert Schumann et de Paul-Henri Spaak, premier ministre belge de l’époque, les bras armés d’une politique démarrée par le gouvernement Truman. Il se fait que les USA voulaient à tout prix intégrer la Grande-Bretagne à une entité qui n’existait pas encore mais que le monde anglo-saxon devait prendre sous sa tutelle idéologique. Le 26 juillet 1950, un document est signé par le Général William J. Donovan, chef du Bureau américain des services stratégiques en temps de guerre qui stipule la fondation d’un parlement à l’échelle européenne. Le projet ne pouvait être cimenté que par un système conceptuel soi-disant universalisable partant du fait que l’idée de nation, le concept d’identité en tant que tel constituait une impasse civilisationnelle dont il fallait se débarrasser au profit de la construction d’un espace sans frontières. Deux moyens avaient donc étaient mis en œuvre :
- Exploitation d’une très vieille contradiction marquant l’Europe depuis le début des Guerres de religion : contradiction entre le supranationalisme de l’entité catholique qui se veut universelle (katholikos = universel) et au souverainisme étatique très terre-à-terre du protestantisme. Il faut en outre tenir compte de l’extrême loyauté de l’entité protestante à l’idéologie anglo-saxonne.
- Lancement d’une opération de vassalisation de la vieille Europe appuyée sur la thèse de son essoufflement après les deux guerres mondiales.
Se prenant pour le nouvel Empire romain, les USA ont fait de l’Europe ce que Jules César a fait de la Gaule. Il lui a volé son âme. Il lui a fait croire que le seul avenir auquel il pouvait aspirer ne pouvait se concevoir en dehors de l’influence bienfaitrice d’un Empire a priori invulnérable. Cela étant, l’Europe n’étant pas la Gaule, il a fallu lui donner l’illusion d’une certaine souveraineté à travers cet organisme fédéral qu’est l’UE.
Ce jalon du problème introduit, je donne la parole à M. David Mascré que j’avais cité plus haut. Docteur en philosophie et en histoire des sciences, politologue, chargé de mission au ministère des Affaires étrangères, M. Mascré n’hésite pas à remonter l’histoire …
La VdlR. Comment voyez-vous la nature et l’avenir de l’UE ? S’agit-il d’une entité qui a encore des chances de s’en sortit ou d’un organisme en phase agonale ?
David Mascré. « C’est une entité qui est en situation de crise institutionnelle et politique grave qui s’enracine dans une histoire longue. La crise politique est évidemment aggravée par la crise économique et monétaire que traverse la zone euro, puisque, en réalité, l’euro était le subterfuge, le prétexte dans la conception des européistes à la construction d’une entité générale dont il devait être la préfiguration et le facteur d’accélération forcé. Donc, si l’euro est remis en cause, c’est un risque majeur pour la conception des européistes par rapport à la marche en avant vers une entité fédérale. C’est un premier point qu’il faut avoir en tête et qui aide à comprendre pourquoi, en réalité, les acteurs de l’UE feront tout, y compris le plus déraisonnable, pour sauver l’euro, n’hésitant pas à rajouter plan de rigueur sur plan de rigueur, imposant sacrifice sur sacrifice aux peuples européens, parce que, en réalité, la mécanique unioniste ne peut pas tolérer une remise en question de l’euro, en tout cas dans sa forme centrale, c’est-à-dire comme monnaie unique permettant l’intensification d’un marché et la constitution d’un glacis qui est à la fois militaire, économique et politique, notamment contre la Russie.
Mais la question en soi est bien plus ancienne. Ce qui se cache derrière la création de l’UE depuis son commencement en 1950 avec la Déclaration Schumann ou le Congrès de la Haye de 1948, c’est une volonté évidente de consacrer en fait la partition de l’Europe et d’empêcher son unification continentale. Cela rejoint des projets beaucoup plus anciens qui ont toujours été soutenus par les anglo-saxons. La hantise de Londres de l’époque napoléonienne, c’était de voir une alliance se constituer entre, notamment, la France et la Russie, entre Napoléon et le Tsar. C’est la raison pour laquelle les anglais, surtout par l’intermédiaire de la Prusse et des financiers de la haute banque allemande, ont systématiquement mis en place, avec tout un réseau d’espions, des mesures qui ont permis de noyauter et de détruire de l’intérieur le projet napoléonien, à partir du moment où Napoléon avait en tête de conquérir l’Angleterre, de contourner l’Empire anglo-saxon, soit par la campagne d’Egypte en bloquant la route des Indes, soit directement en conquérant les provinces unies, donc en faisant ce que lui-même a appelé un « revolver pointé sur la tempe de l’Angleterre ». Et bien, les Anglais n’ont eu de cesse de noyauter les grandes chancelleries européennes pour détricoter de l’intérieur ce rêve d’unité continentale qui était celui dont Napoléon était porteur. C’est la raison pour laquelle ils ont poussé une attaque de rosaire de la Prusse contre la France en 1807, au moment où Napoléon s’apprêtait à attaquer la Grande-Bretagne à partir du Camp de Boulogne, reconstituant un vieux projet de Jules César.
Donc, c’est une entreprise très ancienne, dont tous les acteurs politiques – Bonaparte, Napoléon III, Guillaume II ou bien les différents phares qui ont voulu œuvrer dans une logique de paix et d’unification du continent européen – se sont heurtés à cette volonté anglo-saxonne de division, le divide et impera étant une constante de la politique anglo-saxonne. L’Europe de 1950, s’étant constitué sur les ruines de la II GM, était un moyen d’entériner cette division géopolitique de l’Europe durable et cette sorte de paralysie institutionnelle qui était ancrée dans l’ADN même de l’UE dès sa fondation, dès sa conception ».
On aime aujourd’hui à s’interroger sur le bien ou le mal-fondé de l’eurooptimisme. Il me semble pourtant que, connaissant la vérité, comprenant que l’euro est bien plus la pierre de touche que l’adversaire du dollar, on ne saurait se montrer bien optimiste quant au sort ultérieur d’une entité qui a été fondée à des fins étrangères à ses intérêts, qui, somme toute, a été conçue comme une immense illusion asservie aux USA et détournée d’un allié eurasique prometteur. Eurooptimisme et américanisme, à ce moment-là, vont parfaitement de pair.
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