Premier rendu, premier servi !

La course aux milliards est engagée.

Tribune libre

C’est à qui ira le premier sonder les richesses fabuleuses en carburant fossiles, ceux-là même qui seraient enfouis dans l’hypothétique gisement nommé Old Harry, situé dans le golfe du Saint-Laurent, sous la frontière maritime entre Terre-Neuve-Labrador et le Québec. Hypothétique, parce que vieil Harry dort sur son secret depuis des millénaires et n’a peut-être pas envie qu’on le réveille.
Le hic, c’est qu’en principe, 60% du magot des redevances d’une potentielle exploitation des hydrocarbures de ce site convoité devrait revenir au Québec, alors que Terre-Neuve et Labrador devrait se contenter de seulement 40%.
Vases communicants 101
Problème : On a affaire à deux petits voisins assoiffés, qui ont chacun une paille pour se désaltérer dans un même bol de limonade posé sur une table. La table, qui se trouve à la limite des propriétés de leurs parents réciproques, déborde à 60% sur le terrain de l’un et à 40% sur le terrain de l’autre.
Question 1 : Quelle quantité du breuvage vont-ils tous les deux pouvoir siroter, en tenant compte de la ligne où passe la clôture ?
- Chacun la part qui lui revient □
- Autant que chacun est capable d’ingurgiter □
Question 2 : Lequel des deux va faire baisser le niveau de limonade le premier ?
- Celui qui a la plus grande capacité d’absorption
- Les deux ex-æquo □
- Ne s’applique pas □
Question 3 : Supposons que, parce que son camarade est gardé en retenue dans sa chambre, l’un des deux enfants peut accéder tout de suite à la limonade ; va-t-il attendre patiemment que l’autre soit autorisé à le joindre pour étancher sa soif ?
- Un arbitre va voir à ce que chacun puisse siphonner la part qui lui revient □
- On s’entend pour laisser la limonade aux p’tits oiseaux et chacun chez-soi va boire un verre d’eau □
- Premier rendu, premier servi □
La réalité : une question de gros sous… pour quelqu’un
Dépêchons-nous les Québécois, car on risque de se faire voler notre indépendance énergétique et, du même coup, notre chance unique d’enrichissement. C’est du moins ce que tentent de nous faire croire nos représentants à l’Assemblée nationale et autres ténors de l’économie marchande à croissance illimitée, sans égard pour l’environnement. Quoi qu’on prétende dans le discours officiel.
Il y a complicité crasse entre nos leaders politiques et économiques pour faire miroiter au bon peuple le mythe de l’enrichissement.
Exemple récent : « Dans une perspective d’indépendance énergétique, les députés considèrent qu’il est important de savoir ce qui se trouve dans cette réserve avant de faire le débat sur son exploitation. Pour le Parti Québécois, cette question appartient aux Québécois. Or, depuis 12 ans, le gouvernement fédéral bloque toute démarche du gouvernement du Québec. » (Communiqué du 16 mars 2010)
C’est le monde à l’envers ! Allons voir d’abord, ensuite on fera le débat pour savoir ce qu’on fait avec l’Eldorado. Comme si, après avoir sondé et éventuellement trouvé quelque chose d’alléchant ($$$), après consultation du bon peuple, les conquistadors bitumineux allaient décider de lâcher le morceau !
Ne pourrait-on pas D’ABORD poser la question : c’est-y ben ça qu’on veut ou bedon c’est autre chose et réaliser ce qu’on aura décidé de faire ?
La ministre actuelle des Ressources naturelles (MRNF) et vice-première ministre, Nathalie Normandeau annonçait en grande pompe, fin juillet 2009, qu’elle mettait de l'avant une nouvelle approche environnementale pour encadrer l'exploration et l'exploitation des hydrocarbures dans le sous-sol de l'estuaire et du golfe Saint-Laurent, précisant que son gouvernement souhaite aller de l’avant, donc a un préjugé favorable, dans son projet de mise en valeur du potentiel en hydrocarbures du Saint-Laurent, mais pas à n’importe quel prix (!). Elle l’a répété, le 30 octobre dernier, devant les membres du comité de travail sur les hydrocarbures de la Municipalité des Îles-de-la-Madeleine, dont je fais partie à titre de citoyen.
Malgré ce beau discours, elle préconise elle aussi qu’on commence par la fin : les Évaluations environnementales stratégiques qu’elle a mises en marche arrivent bien trop tard. Pendant les 5 dernières années, suite au rapport du BAPE de 2004 sur [[Les enjeux liés aux levés sismiques dans l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent]], on s’est affairé à mettre la table pour les promoteurs conquistad’or noir. Et ce, en catimini. Ce qu’elle attend, la Ministre, de ces Évaluations environnementales stratégiques :
« Nous donner une espèce de guide, de recette à suivre pour minimiser les risques en matière environnementale et pour tenir compte des préoccupations exprimées par les citoyens. » Radio Canada, 2009-07-17
Pas de quoi rassurer les environnementalistes des Îles de la Madeleine :
« Vouloir forer dans le golfe du Saint-Laurent, quand on connaît les impacts inhérents et, disons-le, souvent inévitables liés à ce type d'industrie, ça n'a rien d'avant-gardiste et c'est hautement préoccupant, malgré ce que peut contenir le meilleur des programmes d'évaluation environnementale stratégique. Le prix à payer pour puiser des hydrocarbures dans le golfe sera inévitablement trop élevé, et ce, à tous les niveaux
Danielle Giroux, présidente de l’organisation écologiste Attention FragÎles. Citée par Éric Moreault, Cyberpresse : Des Madelinots disent non aux hydrocarbures, 2009-08-06
Et si on cherchait plutôt à réduire notre dépendance au pétrole
Y a-t-il quelqu’un dans l’auditoire qui préconise d’autres perspectives que la production-consommation effrénée d’énergies fossiles, à l’aube du pic pétrolier et dans le contexte planétaire des changements climatiques ?
«…le Québec est particulièrement bien placé, au niveau mondial, pour faire face à la crise énergétique. Notre province est déjà l’un des États les plus verts au monde : près de 50 % de l’énergie consommée sur son territoire est d’origine renouvelable ! Cette proportion est beaucoup importante que dans les pays comme le Danemark ou l’Allemagne, qu’on nous propose pourtant régulièrement comme modèle. En n’utilisant que des technologies disponibles aujourd’hui pour la production d’énergie propre – ce qui ne veut pas dire qu’on doive se contenter des investissements actuels en recherche et développement dans le domaine des énergies alternatives –, le Québec pourrait se sevrer presque complètement de sa dépendance aux hydrocarbures en 10 à 15 ans, et ce, sans difficulté majeure. Il ne manque qu’une direction politique claire et forte pour que la province s’engage résolument sur la voie de l’autosuffisance énergétique. Une direction qui saurait poser le problème correctement tout en engageant une conversation à grande échelle avec la population québécoise sur le sujet. Car l’indépendance énergétique peut se faire de multiples façons et personne ne détient LA solution, LE plan qui fera entrer le Québec de plain-pied dans le XXIe siècle. »
Normand Mousseau, L’avenir du Québec passe par l’indépendance énergétique, Éditions Multimonde, 2009
Et si on se rendait compte que la richesse peut être ailleurs
Y a-t-il quelqu’un dans l’auditoire qui préconise d’autres idéaux que la recherche d’un enrichissement matérialiste unidimensionnel ?
« Il faut revoir notre façon de voir les choses, redéfinir le concept de richesse. On ne peut plus parler de richesse qu’en des termes financiers et matériels. On doit y inclure la santé, le bonheur, le respect de l’environnement. C’est une richesse que de profiter de la nature, de respirer de l’air pu, de manger sainement. Cela peut sembler naïf, mais c’est concret. Si vous habitez près d’un parc, par exemple, vous en apprécierez les bienfaits sur votre qualité de vie. »
Laure Waridel (Espace D de Desjardins, vol 47 no 2, p 23)
Préserver ce qui n’a pas de prix
Nous habitons, nous les insulaires de la Madeleine, au cœur du golfe du Saint-Laurent. Sur un territoire exceptionnel, mais fragile et exposé.
Notre façon d’être – en connivence avec la nature –, notre mode de vie tout autant que nos paysages ont une valeur et une signification non seulement pour nous mais pour les gens qui vous rendent visite.
Notre réputation d’accueil n’est pas surfaite. Beaucoup de gens nous envient pour notre qualité de vie et plusieurs, qu’ils soient originaires ou étrangers, viennent s’y établir après avoir vécu ailleurs.
Nos produits marins de haute qualité sont encore réputés en Amérique du nord et ailleurs dans le monde. Nos produits du terroir sont de plus en plus connus et recherchés.
Elle est là NOTRE VÉRITABLE RICHESSE, elle n’a pas de prix et n’est pas à brader.
Raymond Gauthier
Les Îles de la Madeleine
2010-03-24

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Raymond Gauthier17 articles

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Travailleur social retraité, il a été responsable de l’animation communautaire, de l’alphabétisation et de l’insertion socioprofessionnelle au Centre d’Éducation des adultes (C.S. des Îles). Il est membre fondateur et président du conseil d’administration de la corporation de Développement communautaire Unîle. Environnementaliste de la première heure aux Îles de la Madeleine, il milite depuis plus de 30 ans dans des organisations écologistes et est co-fondateur d’Attention FragÎles. Depuis 2004, il assure une vigilance permanente sur les projets d’exploration-exploitation d’hydrocarbures dans le golfe du Saint-Laurent (terrestres et extra-côtiers), ainsi que sur les dossiers connexes touchant l’énergie à la grandeur du Québec.

Votre région : Îles de la Madeleine





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