La géopolitique réserve toujours des surprises inattendues : un axe militaire serait-il en train de s’édifier en coulisses entre la Grèce et Israël ? L'étrangeté a éclaté ce lundi 3 août, dans un communiqué passé inaperçu. L’armée de l’air israélienne se félicitait d’un pittoresque « exercice d’entraînement », de « grande ampleur », s'étant déroulé fin juillet dans le ciel hellène. Onze jours durant, des hélicoptères de l’Etat hébreu ont ainsi joyeusement bourdonné aux côtés des aéronefs grecs, dans le cadre d’une manœuvre conjointe de leurs aviations militaires.
Des hélicoptères israéliens sur le Mont Olympe
Les survols ont été nombreux : il y eut là des jets de surveillance Beechcraft B-200 « Tzofit », des hélicoptères spécialisés, ainsi que des avions de transport C-130. Défi de taille pour les pilotes israéliens, car l’exercice a notamment pris place autour du célèbre Mont Olympe (2 917 mètres), et des chaînes de montagnes avoisinantes. « Des zones montagneuses qui n’existent pas en Israël », a observé le lieutenant colonel Matan, commandant de l’armée israélienne, cité dans le communiqué et apparemment ravi de découvrir un nouveau terrain de jeu.
« Nous comprenons la grande importance d’une activité conjointe avec l’Etat d’Israël, qui contribue à la sécurité de nos deux pays », a déclaré, sans maquiller son enthousiasme, le commandant de la base de Larissa, dans la région de Thessalie, où s’est déroulée l’opération. « Les choses que nous avons apprises ensemble ont contribué à l’amélioration de la coopération entre nos armées. »
Ces détonantes escouades se sont déployées dans l’espace aérien grec des suites d’un important accord militaire, qui s’est conclu à Tel Aviv le 19 juillet dernier, entre le gouvernement israélien de Netanyahu et le gouvernement dirigé par Syriza.
Un pacte similaire à l’accord Israël-Etats-Unis
Pour le moins étonnants, mais d'une importance capitale, ces accords bilatéraux ont été ratifiés à la demande du ministre grec de la Défense, Panagiotis Kammenos, fondateur du parti de la droite radicale Anel, et allié de circonstance de Syriza au pouvoir.
Cosigné avec son homologue israélien, Moshe Ya’alon, membre du Likoud, l’accord confère une immunité légale au personnel militaire grec et israélien au cours de leurs entraînements dans chaque pays. Outre l’immunité, il prévoit également des « entraînements conjoints » entre Tsahal et les forces grecques. D’après le Jerusalem Post, ce pacte n’a pour seul équivalent que celui signé entre l’Etat juif et les Etats-Unis, leur allié héréditaire.
Peur conjointe de l’Iran ?
« Nous apprécions beaucoup votre visite ici durant cette difficile période pour la Grèce, a déclaré Ya’alon lors de la venue de Kammenos. Cela souligne l’importance des relations entre nos pays. » Dans l’agenda de la rencontre entre les deux hommes figurait aussi la « coopération dans le domaine de l’industrie militaire » et la « sécurité maritime ».
Les deux homologues ont soulevé ce qui les rassemble : leur peur commune de... l’Iran. Crainte saillante pour les Israéliens, au lendemain des accords sur le nucléaire iranien, qui ont enclenché l’ire du premier ministre israélien Netanyahu. « Nous percevons l’Iran comme un générateur et un catalyseur central de l’insécurité dans la région, à travers son soutien d’éléments terroristes dans le Moyen-Orient », s’est alarmé Ya’alon. Le leader des « Grecs indépendants » lui a emboîté le pas, au bord de la paranoïa, en affirmant que le Grèce est « aussi dans le rayon des missiles iraniens ». L’Etat perse n’ayant pourtant jamais émis aucune menace à l’encontre des Grecs, la justification s’apparente à un miroir aux alouettes.
Des escadrilles de F-16 israéliens dans le ciel hellène
Ce revirement n'est pas soudain. Déjà en avril et en mai, des escadrilles de F-16 israéliens réalisaient des entraînements intensifs dans les bases militaires hellènes, à la suite d'une invitation à participer à l'exercice annuel de l'INIOHOS.
« La coopération gréco-israélienne a pris de la vitesse ces dernières années, et à la lumière du succès des récents déploiements, les vols mutuels vont probablement continuer en 2016 », a indiqué Tsahal. A en croire aujourd’hui le JPost, des pilotes d’hélicoptère grecs vont aller s’entraîner en Israël dans les prochains mois.
Un accord contre les convictions de Syriza
Cette coopération militaire se poursuit dans une période trouble. Des observateurs pro-palestiniens redoutent désormais que ces échauffements militaires soient employés dans les futurs assauts dans la bande de Gaza.
En parallèle, une commission des Nations Unies a publié une enquête indépendante qui accable Israël de « crimes de guerre ». Le récent rapport d’Amnesty international va dans le même sens, accusant Tsahal d’avoir provoqué des centaines de pertes civiles à Gaza.
Pourtant, Tsipras l’a dit et répété au lendemain de son élection : face à la brutale répression contre les Palestiniens, « nous ne pouvons pas rester passif, parce que ce qui nous arrive aujourd’hui sur l’autre rive de la Méditerranée, peut arriver sur notre rive demain. » Cette signature est d’autant plus étrange que le programme de Syriza, farouche soutien de la cause palestinienne, réclamait la fin des accords de coopération militaire entre la Grèce et Israël. Quel intérêt a Syriza à torpiller ses convictions ?
Un ministre de la Défense roublard
Instigateur de l’accord, le leader nationaliste des « Grecs indépendants » Kammenos est donc dans une drôle de position. Roublard, il a profité de la débâcle des tractations avec l’Eurogroupe pour se rendre à Tel-Aviv, quand la Grèce était prise en tenailles par le poids de la dette.
Sollicité par Marianne, un cadre important de Syriza a avoué ne même pas être au courant de la signature de l'accord.
Lors des pourparlers avec Tsipras pour former la coalition, soucieux de conserver un statut d’électron libre, il avait par ailleurs exigé qu’Anel ait la mainmise sur l’armée. Il serait toutefois douteux de parier que Kammenos soit « indépendant » au point de faire cavalier seul.
Succès personnel de Kammenos, l’accord militaire signé avec Israël n’a pas pu s’effectuer sans un gramme de consentement de la part de Tsipras. Lequel ne peut en revanche retirer aucun profit politique à ébruiter l’affaire.
Un rapprochement voulu par Tsipras ?
Plusieurs indicateurs consolident la piste que l’inflexion est venue, du moins approuvée, par Syriza. Fin janvier, Tsipras avait laissé entendre des signes de rapprochement avec l’Etat hébreu. Autre signe annonciateur, le 6 juillet, le ministre des Affaires étrangères grecs Nikos Kotzias s’est rendu à Jérusalem afin de « renforcer les liens bilatéraux entre les deux pays ». Au terme de la rencontre, Netanyahu s’est engagé à assister le pays en capilotade.
Les deux pays ont intérêt à consolider leurs liens pour contrebalancer l’influence de la Turquie dans la région, hostile à Israël, tandis que Tsipras aspire à réunifier Chypre. Une manière de tisser un réseau d’alliés dans une situation géographique et géopolitique délicate. Mais qu’il y ait des incitations commerciales et financières est à ce stade encore peu clair.
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