Essais québécois

Pierre Falardeau : la liberté et rien d'autre

Le pamphlétaire ne sera jamais de tout repos. Quand sa hargne se transforme en haine, il flirte avec l'égarement. Sa voix, qui lutte contre l'insignifiance satisfaite qui guette les siens, reste pourtant nécessaire.

Livres 2009 - Arts - cinéma - TV - Internet

Lire Pierre Falardeau, pour les âmes sensibles, est une épreuve. Non pas parce que le cinéaste écrit mal ou ennuie. Il possède, au contraire, une saisissante verve de pamphlétaire et un remarquable sens de la langue. Et il s'en sert, justement, selon ses propres mots, pour dépasser sans cesse les bornes, pour heurter effrontément les amateurs de bons sentiments. Sa rage, tout entière animée par la conviction que «la liberté est un bien en soi», est telle qu'elle fait parfois frémir même ses alliés.

Recueil de textes militants parus principalement dans Le Couac et dans Le Québécois, Rien n'est plus précieux que la liberté et l'indépendance -- un titre tiré d'une citation de Ho Chi Minh, «le grand patriote vietnamien» et, ajouterais-je, leader communiste au bilan démocratique peu reluisant -- reprend les thèmes principaux de l'oeuvre du père d'Elvis Gratton: nécessité de l'indépendance, considérée comme une question de vie ou de mort, dénonciation virulente des adversaires de ce projet, critique acerbe des mous qui tergiversent et temporisent, et défense d'un engagement culturel créateur de sens, qui refuse ce nouvel opium du peuple qu'est le divertissement.
On ne peut pas parler de Falardeau sans aborder franchement la question de ses outrances langagières. Faisant souvent un capitaine Haddock, version indépendantiste québécoise, de lui-même, le pamphlétaire en rajoute dans l'insulte. Le résultat est parfois croustillant -- qu'on pense à Yves Boisvert, dépeint en «coiffeur pour dames de La Presse», à Pierre Thibault, rédacteur en chef d'Ici, dans lequel écrit maintenant Falardeau, et à ses «chiures de mouche» ou, dans un registre plus corsé et limite, aux Jacques Godbout, René-Daniel Dubois, Laurier Lapierre, Marcel Trudel et André Pratte, qualifiés de «vieilles plottes entretenues et morpionnées» -- et parfois carrément scabreux. Était-il nécessaire, par exemple, que Falardeau, pour exprimer son violent désaccord avec la pensée et l'oeuvre de Claude Ryan, se réjouisse de la mort de ce dernier et le qualifie de «pourriture»? La formule «petit politicien, mesquin et provincial» aurait suffi. «Malheureusement, se désole le pamphlétaire, on a réduit le débat à une question de vocabulaire.» Mais, justement, à qui la faute? Faut-il fournir aux adversaires de l'indépendance les arguments pour noyer le poisson?
Pour rassembler
«J'aimerais parfois trouver un ton plus rassembleur, avoue Falardeau, mais la passion pour mon pays m'aveugle. J'espère qu'on me pardonnera la rage qui m'habite, le dégoût profond pour tout ce qui peut servir nos ennemis.» Pour accéder à l'indépendance, le militant le sait, il faudra convaincre ceux qui hésitent encore, qui branlent dans le manche. Or on ne saurait emporter leur adhésion en les heurtant de front. C'est là une des faiblesses du discours de Falardeau. Pour «prêcher aux convaincus», ce qui reste nécessaire «car même les convaincus finissent par abandonner si on ne les encourage pas», il n'a pas son pareil, mais pour convaincre les indécis, qui l'insupportent tant qu'il les rejette, il ne brille pas par son sens stratégique. Son irritation devant les Québécois «atteints du syndrome Amable Beauchemin» -- les fatigués constitutionnels -- est compréhensible et légitime, mais elle devient contre-productive quand elle le mène à ne leur offrir que le spectacle de sa colère. Car Falardeau, quoi qu'en pensent ses adversaires, a plus que ça à offrir. Le tranchant de sa pensée lui permet une certaine lucidité que l'abus de nuances, chez d'autres, finit par embrouiller.
À ces vieilles scies du débat linguistique québécois selon lesquelles la connaissance de l'anglais, de nos jours, serait devenue nécessaire et la supposée mauvaise qualité de notre français constituerait le coeur du problème, Falardeau réplique avec raison, premièrement, qu'«il ne s'agit pas de savoir s'il vaut mieux parler une, deux, trois ou cinq langues, il s'agit de refuser de se faire imposer le bilinguisme pour gagner sa vie» et, deuxièmement, que le problème principal, ici, ne concerne pas la qualité du français, mais son statut. Le français, au Québec, doit être nécessaire et suffisant dans toutes les sphères de l'existence; la qualité suivra. Cette vérité politique doit être rappelée.
Lucidité, aussi, que cette prise de position qui consiste à distinguer le projet indépendantiste du projet de société. «L'indépendance, écrit Falardeau, est une base minimale pour le développement et l'épanouissement du peuple québécois.» C'est le choix de la liberté. Ensuite, les Québécois auront tout le loisir de décider s'ils souhaitent élire des gouvernements de gauche ou de droite, mais rendre l'engagement indépendantiste conditionnel à un projet de société prédéterminé relève du corporatisme et est une erreur.
Lucidité, encore, que ce parti pris en faveur d'une culture qui donne du sens à la vie. Il faut Falardeau, en effet, pour rappeler que Céline Dion et le Cirque du Soleil produisent essentiellement «une culture spécialement marketée pour divertir, une culture donc de la diversion», et que «si, désormais, le but de la culture québécoise est de vendre plus de shows de cul, même hypersophistiqués, à Las Vegas, à Miami Beach ou à Disney Japan, aussi bien opter tout de suite pour le suicide collectif et disparaître carrément de la carte».
Quand Falardeau affirme que «60 % des Québécois ont dit Oui» en 1995, certains crient au racisme. Le pamphlétaire, pourtant, ne joue pas sur ce terrain. Il met plutôt en avant une conception culturelle de la nation, semblable à celle de Fernand Dumont, selon laquelle, pour être Québécois, il s'agit de décider de l'être en s'intégrant à la culture de ce groupe. Comment, demande-t-il, considérer comme Québécois ceux qui refusent ce titre en se tenant à l'écart et en se désignant eux-mêmes comme Italiens, Grecs, Haïtiens, Juifs ou autres? La question peut choquer, mais elle reste légitime, et celui qui la pose n'a rien d'un xénophobe.
Le pamphlétaire ne sera jamais de tout repos. Quand sa hargne se transforme en haine, il flirte avec l'égarement. Sa voix, qui lutte contre l'insignifiance satisfaite qui guette les siens, reste pourtant nécessaire.
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louisco@sympatico.ca
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Rien n'est plus précieux que la liberté et l'indépendance
Pierre Falardeau
VLB
Montréal, 2009, 264 pages


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