Philippe de Villiers : «Le pouvoir n'a plus de pouvoir : c'est une clownerie»

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Le témoignage extraordinaire d'un politicien repenti


LE FIGARO. - Votre livre est un triomphe public qui rappelle un peu celui du Suicide français d'Eric Zemmour. Comment l'expliquez-vous? Ces succès d'édition cachent-ils un phénomène de société?

Philippe DE VILLIERS. - Cette lame de fond s'explique par l'immense désarroi des Français lucides, désemparés, submergés par un sentiment de dépossession d'eux-mêmes et qui craignent le pire. Mais le désarroi n'est pas une explication suffisante, il y a aussi une soif de connaître, depuis la coulisse, les cheminements et officines qui nous ont conduits au désastre. Beaucoup de gens veulent savoir comment ont été descellées les pierres d'angle, comment la machine à décerveler les pensées justes a procédé pour vitrifier les esprits libres, comment se sont imposées la terreur et la haine de soi jusqu'à faire perdre à la France son âme et à la mettre en danger de mort.

Mon livre est un témoignage qui propose plusieurs clés de compréhension. Ma conscience civique s'est éveillée en mai 1968. J'ai vu derrière le grand chambardement, se profiler le boboïsme, l'idéologie en fusion du bourgeois-bohème, libéral-libertaire. J'ai connu de l'intérieur le creuset de l'ENA, cette couveuse à crânes d'œuf qui fabrique en série les «ingénieurs sociaux». J'ai regardé comment le système produisait des poulets de batterie hors sol à la Juppé-Fabius, choisissant au hasard leur emballage de sortie, leur étiquette. J'ai vu comment la grande broyeuse à apparatchiks confisquait les talents et les passait au micro-ondes pour qu'ils soient, comme la viande attendrie, aseptisés et nourris à la pensée chloroforme.

Les hasards de la vie m'ont amené à côtoyer dans leur intimité les grands fauves, Giscard, Mitterrand, Chirac, puis les lapins-tambours Duracell et ludions électroniques du Sarkhollande, qui clignotent comme des néons. J'ai vu comment ils pirouettent et toupillent non plus au service de la France, mais «de leur parcours», en pratiquant l'hédonisme politicien. Tous ces gens propres sur eux plaisaient à M. Bertin de Ingres et à la bourgeoisie française qui se voulait «anationale» comme le disait de Gaulle. Ils promenaient leurs accents de gravité, ils savaient poser la main sur le cœur, ils portaient le costume trois-pièces du VIIème arrondissement des assureurs qui rassurent. En fait ils ont coulé la France, c'étaient des naufrageurs en cravate.

Ce succès ne vous donne-t-il pas envie de remonter sur le ring politique?

Je n'en ai pas envie et cela me paraît, dans les circonstances actuelles, inutile. En effet, nous ne sommes plus dans un système démocratique, nous avons basculé dans un système oligarchique protégé par une médiacaste mondialiste: la potestas est partie à Bruxelles et à Washington et l'auctoritas chez Ruquier. Impossible de survivre plus de cinq minutes quand on joue au rodéo de la vérité dans cette cabine de maquillage: on vous déstabilise, on vous déséquilibre, on vous peinturlure en paria, on vous rend grotesque, et vous terminez dans la sciure sous les sifflets playback. Seule la parole agréée est filtrée par le tamis idéologique de la pensée conforme.

Aujourd'hui, pour faire de la politique, il faut avoir beaucoup d'argent pour acheter les sondages, car ils sont prescripteurs et structurent l'offre. Et il faut accepter de participer au simulacre, au risque d'y perdre son honneur.

Les hommes politiques ont encore aujourd'hui le culot d'expliquer aux Français ce qu'ils feront demain, alors qu'ils savent parfaitement qu'ils n'ont plus le pouvoir. Or quand le pouvoir n'a plus le pouvoir, la parole n'est plus que gesticulatoire ; c'est une clownerie. Hollande, c'est René Coty avec son pot de fleurs dans les bras qui se produit au Plus Grand Cabaret du monde de Patrick Sébastien. Du pot de fleurs sort un bouquet d'étoiles, les étoiles du drapeau américain.

Ma parole d'homme politique était suspecte quand j'avais des mandats. Maintenant que je ne quémande plus de picotin de popularité, elle est écoutée et enfin reçue comme authentique.

Si vous êtes un homme politique et que vous voulez avoir de l'influence, quittez donc la scène politique, remontez sur l'Aventin et alors, vous serez entendu. C'est dire à quel point le système politique est en voie de décomposition puisque toute parole publique sur fond de mandat est discréditée. Les hommes politiques pratiquent tous ensemble et en même temps le «mentir vrai» d'Aragon: «Moins il y aura de frontières, plus il y aura de sécurité. Plus il y aura de mosquées, moins il y aura d'islamistes. Plus il y aura de migrants, moins il y aura de chômeurs. Plus on aidera al-Qaida en Syrie et les «salafistes modérés» - Laurent Fabius disait il y a encore un an d'al-Nosra qu' «elle faisait du bon boulot» - plus vite se réglera le conflit syrien. Etc.». A force de proférer ce genre de paradoxes ludiques, les hommes politiques ont changé de catégorie, dans l'esprit public. Ils sont passés à la rubrique «comédie-spectacle» où s'affichent Brutus et Yago.

Vous-même n'avez-vous pas participé à ce système? Pourquoi avez-vous rejoint Nicolas Sarkozy en 2009?

Non, je ne l'ai pas rejoint. J'ai commencé ma vie politique dans la partitocratique classique. Où j'ai fait très vite entendre ma différence. Marie-France Garaud m'avait prévenu très tôt: «Méfiez-vous, car ce système est une sorte de manège avec des forces centripètes et des forces centrifuges. Quand on s'éloigne du centre, on est irrémédiablement aspiré à l'extérieur, dans les marges.» J'en suis sorti au bout de deux ans seulement à la suite de mon combat contre la corruption et le traité de Maastricht. J'ai alors guerroyé de l'extérieur pendant des années. En 1995, je me suis présenté à l'élection présidentielle contre Jacques Chirac et Edouard Balladur. En 1999, avec Charles Pasqua, nous avons affronté le RPR aux Européennes. En 2007, je me suis porté candidat contre Nicolas Sarkozy. A un moment donné, je me suis dit qu'en concluant une paix des braves avec lui, je serais peut-être plus efficace. Mais quand j'ai vu de près durant quelques mois ce qu'était le cloaque Sarkozy-Fillon, j'ai pris les jambes à mon cou et me suis éloigné de la piscine sanguinolente où les caïmans se mangent entre eux.

Peu d'hommes politiques quittent la scène. Je suis parti car, à force de croiser le mensonge, on finit par se sentir contaminé, on a l'âme blessée, et on devient, à son corps défendant, une sorte de mensonge ambulant par omission. Dans la tradition française, immémoriale, le pouvoir est un service, pas une consommation. Du premier au dernier jour, la politique ne peut être que sacrificielle. Quand on sert son pays, à quelque époque que ce soit, on fait le sacrifice de sa vie. Ma famille a payé l'impôt du sang depuis 1066. C'est avec cette idée que je suis entré en politique et que j'en suis sorti. Aujourd'hui, la parole politique n'a plus de crédit, à l'inverse de la parole métapolitique, guettée, sollicitée.

Face à ce discrédit de la politique, certains imaginent des scénarios improbables comme la candidature d'Éric Zemmour à la présidentielle soulevée par Geoffroy Lejeune dans son livre, Une élection ordinaire. Croyez-vous à ce type d'hypothèse?

Tout est possible aujourd'hui. En additionnant vingt Fabius, trente Juppé et cinquante Fillon, on ne ferait pas un seul Zemmour, c'est-à-dire un homme cultivé et courageux! Avec cent poulets de batterie, on ne fera jamais un coq gaulois. Eric Zemmour est un ami. Et en tant qu'ami, je lui souhaite de rejoindre le statut de Raymond Aron plutôt que monter dans le train des petits Deschanel qui s'en vont errer dans les rues de Bruxelles, à la quête de leurs consignes.

Votre livre ausculte quarante ans de décomposition du système politique. Comment en est-on arrivé-là?

Je me souviens de cet apologue d'un vieux paysan qui était mon voisin et qui me conseilla un jour: «Philippe, quand on est dans l'obscurité, au bord de l'abîme, dans une maison qui s'effondre, la sagesse consiste à chercher les murs porteurs.» Les murs porteurs de la maison France ont été abattus les uns après les autres: le caractère sacré de la vie, la filiation comme repère, la nation comme héritage, la frontière comme ancrage et le rêve français comme fenêtre sur le monde.

La France est en train de mourir parce qu'elle est en même temps submergée de l'extérieur et effondrée de l'intérieur. Cela me rappelle une conversation en 2000 avec Soljenitsyne qui me confia ceci: «Derrière le rideau de fer, les peuples souffraient mais ils ont sauvé leur âme. Ils ont connu l'ablation de la souveraineté, celle que Brejnev qualifiait de «limitée», mais ils n'ont jamais perdu leur identité».

La Pologne est demeurée elle-même et la Hongrie aussi. Elles sont restées, malgré le goulag, des terres chrétiennes. Les résistants, les refuzniks ont jalousement veillé sur cette petite demeure invisible qui se trouve au cœur de chaque peuple, qu'on appelle l'âme d'un peuple. Quand le mur de Berlin est tombé, ces pays ont recouvré leur souveraineté ; ils ont pu se refaire parce qu'ils avaient préservé leur identité. Or ajoute Soljenitsyne, «vous, les Européens, vous vous trouvez dans un gouffre profond, vous vivez une éclipse de l'intelligence. Vos hommes politiques sont en train d'abattre et de transférer la souveraineté de la France en même temps qu'ils sont en train d'en dissoudre l'identité.»

Vous expliquez que les Français n'accordent plus de crédit à la parole politique car ils ont le sentiment que le pouvoir a été transféré à Bruxelles. Quelle a été l'influence de l'Europe dans cette évolution?

Elle a été la matrice de la déconstruction des patries charnelles. Du traité de Maastricht est sortie la grande fracture entre le souverainisme et le mondialisme. Cette ablation de souveraineté au profit de Bruxelles, Francfort et Washington a généré une nouvelle espèce d'animal à sang froid, le manchot cul-de-jatte. Les politiciens qui nous gouvernent n'ont plus ni bras ni jambes et nous disent que la France va encore courir le 100mètres. A grand renfort d'intellectuels de la trempe de BHL, la France est devenue le seul pays au monde que nous n'avons pas le droit d'aimer.

La France qui, selon lui, ne devrait plus exister car elle charrie des vomissures barbares ; il faut qu'elle batte sa coulpe car elle est une tache ignominieuse sur la carte métaphysique des points précieux de la planète. Cette idéologie relayée par l'école, devenue un «lieu de vie», a privé les petits Français de leur France. Nous n'avons plus le droit de parler des Gaulois, de commémorer la mort de Saint Louis, de parler de Jeanne d'Arc, ni d'évoquer Napoléon autrement qu'à travers Trafalgar. Le seul droit qui nous reste est celui de faire passer les Français pour des collabos de la Deuxième guerre mondiale, des terroristes en Indochine et des tortionnaires en Algérie. Voilà l'image de la France que véhiculent l'école et les médias. Un pays qui perd sa souveraineté et son identité est voué à la disparition. Mais tout peut se rétablir. En effet, le mur de Maastricht, ce mur du mensonge, va tomber.

Le rêve européen des élites post-nationales, le rêve d'une fusion des nations européennes s'est évanoui dans le cœur des peuples. Il s'est désintégré parce qu'il était tramé dans un tissu de mensonges: la prospérité, la sécurité, la puissance, la protection. Aujourd'hui, les Français constatent qu'on leur a menti en leur promettant un super-État, une super-puissance. Derrière cette architecture apolitique, il s'agissait bien de détruire les vieilles nations d'Europe mais il n'y avait aucunement l'idée d'en faire naître une nouvelle. Le projet véritable était d'abolir les nations pour installer en leur lieu et place un marché planétaire de masse qui viendrait un jour faire la jonction avec le marché américain: c'était l'idée de Jean Monnet.

L'histoire de cette utopie politique est celle de la rencontre de Monnet et des démocrates-chrétiens de l'Europe de l'après-guerre. Monnet, salarié de la banque Lazard, un Américain dans l'âme, était le factotum de l'Amérique. Les Américains lui ont demandé de créer ce «machin» pour affaiblir définitivement les Européens et profiter de la culpabilité européenne après la guerre. Monnet a eu l'intelligence diabolique de s'allier avec les démocrates-chrétiens, Gasperi, Schuman et Adenauer, pour concocter son projet. L'homme qui était à l'initiative de la Commission trilatérale née en 1973 - commission qui avait pour objet de réunir les deux libéralismes, le libéralisme économique et le libéralisme sociétal - , a proposé aux idiots utiles social-sacristains, en contrepartie, un symbole, le drapeau. «J'aurai le contenu, et vous le symbole», leur a-t-il dit. Les trois grandes consciences, ces trois grands naïfs, sont revenus dans une nappe d'encens vers leurs cléricatures en mettant en avant la conquête du drapeau, la couronne mariale. De ce troc est né un grand malentendu: toute la bourgeoisie anationale fait la génuflexion oblique du dévôt pressé devant les gnomes de Bruxelles parce que la couronne mariale est sur le drapeau. Cette Europe qui finance les LGBT et la Gay Pride, qui célèbre Conchita Wurst la femme à barbe, est censée incarner le progrès parce qu'elle affiche les étoiles à la Madone. Elle demeure la ligne de mire de la bourgeoisie française cosmopolite, qui folâtre dans le «cercle de la raison» circonscrit par MM. Minc et Attali.

L'Europe dont rêvaient les démocrates-chrétiens est-elle vraiment celle de Maastricht et Schengen?

Bien sûr que non. Beaucoup de chrétiens ont pensé que les portes de Maastricht ouvraient sur la terre de promission. Ceux-là identifient l'universalisme chrétien au dépassement des nations qui seraient un obstacle à la fraternité cosmique. Dans les grands textes bibliques, il y a une harmonie qu'on retrouve chez Aristote et Saint Thomas, entre l'accueil de l'autre et l'enracinement. Le droit d'aimer ses paysages n'est pas un égoïsme mais une oblation, on a le droit de construire là où on a vécu et de transmettre à ses enfants ce que l'on a aimé. Nous sommes comme les plantes, nous avons besoin d'humus et de lumière. C'est le droit naturel.

En mariant les deux impératifs, la charité individuelle se concilie avec la nécessité de garder ses racines. Quand on entend aujourd'hui des autorités morales et spirituelles qui sont prêtes à vider l'Orient de toute sa population, à déporter les chrétiens d'Orient qui sont chez eux depuis 2000 ans, bien avant l'islam et les nouvelles nations que sont le Liban et la Syrie, on est pris de vertige. Tous ces chrétiens qui expliquent que la société multiculturelle va nous permettre d'organiser une coexistence harmonieuse avec des religions qui ne sont pas les nôtre sont irréfléchis. Ils ont perdu le fil de l'unité du vivant. Existe-t-il à travers l'histoire un seul exemple d'une société dans laquelle l'islam a fait irruption sans être conquérant? Quand j'étais à Sciences-Po, les professeurs nous serinaient que le Liban était un modèle de coexistence harmonieuse, un «paradis terrestre». Depuis 1975, on a vu ce qu'il est advenu de cette société multiculturelle. Existe-t-il des sociétés multiculturelles qui ne soient pas multi-conflictuelles? Aucune.

Cette Europe qui est confrontée à la double crise des migrants et de l'euro est-elle condamnée?

Regardons ce qui s'est passé en Russie: pendant la période du goulag, tout le monde là-bas était désespéré, persuadé que l'âme russe était perdue à tout jamais. Quand le rideau de fer est tombé, on a vu réapparaître les «forces morales», retrouvé les valeurs civiques, spirituelles, patriotiques comme si le soviétisme n'avait été qu'une parenthèse de l'Histoire. Nous retrouverons cela chez nous quand le mur de Maastricht tombera. Ce jour est imminent.

Un pays qui a perdu ses contours perd en même temps ses conteurs. Mais quand il retrouve ses contours, le rêve revient. Les pierres se remettent à parler. Les âmes expirantes se remettent à chanter.

Aujourd'hui, les voies d'eau se multiplient sur le Titanic des eurocrates. A chaque fois, on voit Juncker, en grand calfateur, essayer de poser des éponges goudronnées, entouré de ses commissaires au charisme de serpillière. Les trous dans la coque se multiplient pendant que les politiciens continuent leur partie de bridge sur le pont du Titanic.

L'euro est mort à Athènes, il est comme un canard dans une basse-cour auquel on aurait coupé la tête et qui, parce qu'il court encore, donne l'impression d'être toujours vivant. Schengen est mort à Berlin: Merkel a donné le coup de grâce puisqu'en rétablissant ses frontières, elle a violé l'article 26 du règlement de 2006 du traité de Schengen, ce qu'on nous cache. Quant à la convergence culturelle de l'Europe qui devait naître de la construction européenne, elle est morte à Budapest. Aujourd'hui on a deux Europe ; celle qui se définit comme chrétienne à l'Est, et la multiculturelle à l'Ouest qui a renié ses racines chrétiennes, qui ferme la porte à Dieu pour mieux l'ouvrir à Allah. L'Angleterre enfin, dont André Siegfried disait «C'est une île. J'ai terminé» en commençant son cours à Sciences-Po», retrouve ses vieux réflexes: le Brexit n'est pas une probabilité, mais une certitude.

Dans votre livre, face à cette Europe «hors-sol», vous proposez de restaurer nos «attachements vitaux». De quoi s'agit-il exactement?

De ce qui nous rattache à nos lignées obscures, à nos souvenirs, à nos paysages intimes. Le temps de l'homme désinstitué va finir. On a fabriqué un homme hors-sol, nomade en ses demeures et en ses sentiments. Dans les écoles de commerce, on adjure les étudiants de préparer leur mobilité, qui consiste à quitter son patron au bout de deux ans pour en trouver un autre. C'est la dissociation de la carrière et de la vie, c'est-à-dire de la fidélité. La mobilité porte en elle la volatilité. Il y a un lien entre la mobilité du travailleur et la financiarisation de l'économie, devenue purement spéculative et qui met les nouveaux prolétaires sous la férule d'un capitalisme sans entrailles.

Poutine m'a confié un jour qu'un des éléments qui divisaient le monde aujourd'hui était la conception de l'économie. D'un côté l'économie spéculative à l'américaine, détachée du réel, de l'autre l'économie réelle, fondée sur les biens matériels et la production effective. Cette économie spéculative met l'homme dans une bulle. Mais c'est une bulle de savon.

Vous ne semblez néanmoins plus croire dans la politique classique. Comment peut-on faire de la politique autrement?

En créant des isolats de résistance, des petites sociétés parallèles. Si on veut demain stopper la décomposition, et faire repartir la France, il faudra rebâtir les murs porteurs. Je raconte dans mon livre les dernières confidences de Soljenitsyne. Il pensait qu'un jour, de la grande catacombe sortiraient de petites lucioles, portées par des dissidents: «Chez nous, les dissidents étaient des jeunes gens qui portaient sous leur pèlerine des samizdats - des analyses critiques du système soviétique. Aujourd'hui les dissidents sont à l'Est, ils vont passer à l'Ouest.» Ils auront deux qualités originales qui les sortiront du lot: le courage et la lucidité. Le courage car ils franchiront le périmètre sanitaire des mots autorisés, ils se moqueront de la judiciarisation des pensées et des arrière-pensées, et accepteront d'aller en prison. Ce seront des objecteurs de conscience. Ils refuseront de payer l'impôt pour des choses qui paraissent contraires à leur ressort vital. Au début, les prisons seront pleines, mais au bout d'un moment, les murs des prisons s'écrouleront, comme s'écroulera le mur de Maastricht. Ce seront des franchisseurs de lignes rouges. Ils oseront dire: «un enfant est le fruit d'un amour entre un homme et une femme», phrase extrêmement dangereuse à prononcer en ce moment. Les laïcards ont inventé un modèle de disparition à l'échéance de deux ou trois générations puisqu'ils organisent leur propre stérilisation. La gestation pour autrui dans les cliniques indiennes et américaines ne suffira pas à produire des enfants pour cette société hermaphrodite. Dire cela aujourd'hui, c'est prendre un risque. Dans quelques années, des centaines de milliers de personnes le diront aussi, par la nécessité de survie de la société. Il y aura partout des isolats de la transmission.

Les mouvements issus de la société civile - Manif pour tous, mais aussi les Bonnets rouges ou plus récemment la colère des paysans ou des policiers - peuvent-ils se traduire politiquement. Comment?

Je me souviens de Georges Pompidou qui était venu, rue Saint-Guillaume, à l'occasion du centenaire de Sciences Po en 1972. Bouffi de cortisone, se sachant condamné, il parlait de la nécessaire indépendance de la France. Les étudiants auraient voulu qu'il leur parlât de Jean-Jacques Servan-Schreiber et du Défi américain, le livre en vogue à l'époque. C'est à ce moment-là que le professeur Raphaël Hadas-Lebel a inventé l'expression de «classe politique», un concept qui n'existait pas auparavant. Les Français toutes catégories confondues, surtout les plus humbles, après avoir espéré, se sont aperçus qu'il y avait donc une «classe politique» répondant aux consignes d'une super-classe invisible, mondialisée, qui profite du système pour écraser les gens, spécialement les plus modestes. C'est cette classe politique qui organise, sur notre territoire, le grand Kosovo. C'est elle qui prépare l'invasion migratoire. C'est elle qui travaille à la désintégration de la France, elle qui installe la mixité sociale, les HLM de l'immigration dans les petites communes pour remplacer le peuple français par un autre. Les paysans, les artisans, les policiers, les petites gens, la France des bistrots se révolteront. J'appelle à cette révolte. Bientôt il faudra cesser de payer l'impôt car il ne faut plus être les idiots utiles de ce système mortifère.

C'est le but de mon livre: le moment est venu pour les Français de se rebeller contre cette classe politique qui vit entre elle de façon endogamique - avec les journalistes français. Ils pensent les mêmes choses, travaillent ensemble, rêvent ensemble, et vivent ensemble.

Au moment du 11 janvier, certains observateurs ont parlé de sursaut. Qu'en pensez-vous?

Le 11 janvier a été détourné de son libellé populaire. Dès le 12, toutes nos élites mondialisées islamophiles ont expliqué que les premières victimes des attentats étaient les musulmans. Les salauds à éradiquer étaient les «islamophobes». A partir de ce moment-là, on a installé la dhimmitude de l'esprit ; il s'agissait d'une inversion logique. Quand l'islamisme frappe, nos élites prennent des mesures pour lutter contre l'islamophobie. Ils sont pétris d'un droit-de-l'hommisme abstrait, et suivent à la lettre les instructions des Plenel de service qui veulent faire disparaître la France des clochers. Ils savourent avec un plaisir de gourmets l'idée exotique selon laquelle la France pourrait devenir la fille aînée de l'islam. Nos élites sont en voie de houellebecquisation. La France de demain verra monter le face-à-face terrible des dissidents qui vont émerger et se battre à mains nues et les dhimmis qui sont des collabos. Les dissidents n'acceptent ni l'ablation de nos pouvoirs, ni le changement de peuple, car ils veulent protéger ce qui reste de gaulois au sens du roman national des hussards noirs de la République. Les dhimmis sont doublement soumis, d'une part à l'américanisation du monde - ils préparent en douce le Traité transatlantique, et d'autre part à l'islamisation de l'Europe. Nos élites mondialisées retrouvent de l'excitation à l'idée de recevoir le fouet de Big Other, un peu rude mais décapant et qui les sort de l'asthénie sexuelle ambiante. Ils sont dans le même état d'esprit que les clercs de Constantinople, le 28 mai 1453 - veille de sa chute - qui se rendront compte le 30 qu'il est trop tard. Ainsi l'hédonisme consumériste va finir sa trajectoire en venant, par une sorte de ruse hypnotique, se fondre dans son exact contraire.


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