PARENTÉS ATLANTIQUES (1/6)

Parti de Neuville-sur-Vanne, Paul de Chomedey de Maisonneuve

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Champagne pour la fondation de Montréal



À l’occasion du 375e anniversaire de Montréal, Le Devoir est allé humer l’air du temps d’un côté et de l’autre de l’Atlantique, histoire de fouiller les liens que nous entretenons avec les villes de France étroitement associées à l’époque de Ville-Marie et de la Nouvelle-France. Comment ces villes françaises honorent-elles cette part de notre histoire qui est aussi la leur ? Quelles sont les résonances de ces filiations ici ? Aujourd’hui : sur la route de Paul de Chomedey de Maisonneuve.





On y accède par une petite route perdue du département de l’Aube, tachetée de peupliers, de chênes et de hêtres. Plat pays où coule la Vanne, affluent de la Seine, qui alimente Paris en eau. Il faut demander une fois, deux fois, où est Neuville-sur-Vanne, qui n’apparaît pas sur les cartes. « Là, là, fait un camionneur, vous y êtes presque ! » Tout à coup, surprise ! Au beau milieu des champs, on débouche sur la rue Ville-Marie, on croise les rues du Québec, du Mont-Royal, du Lac-Saint-Jean, des Laurentides.


  

Neuville-sur-Vanne est une toute petite commune de 450 habitants située dans la Champagne, à deux heures de Paris vers l’est. Pas dans la riche Champagne des vins effervescents et des bulles fines, non, le vignoble commence un peu plus loin, mais dans une Champagne plus ouvrière. C’est dans ce bourg, aujourd’hui recroquevillé autour de son église, de son école, de sa mairie et d’une usine de charpentes métalliques désaffectée, qu’a grandi Paul de Chomedey de Maisonneuve, celui qui a cofondé Montréal avec Jeanne Mance en 1642.

 


 

Deux oies énormes, aux cris métalliques, m’accueillent dans la cour du château où Paul a vu le jour en 1612, un peu à l’écart du centre du village. Je n’ose m’approcher trop, mon chemin barré par les deux volatiles belliqueux. Juste à côté du château s’élève un pigeonnier de pierre qui a fièrement traversé les âges. J’imagine un pigeon rapportant la nouvelle de la blessure du soldat Paul sur les champs de bataille de la Hollande. C’est la guerre de Trente Ans entre catholiques et protestants (1618-1648). Blessé au combat, le jeune Paul de Chomedey doit s’astreindre à une longue convalescence, pendant laquelle, détail cocasse, il apprend à jouer du luth.


 

À la conquête des âmes


 

Chomedey se verra bientôt confier par la société Notre-Dame, créée par Jérôme Le Royer, la charge d’aller établir une colonie missionnaire, avant tout destinée aux Amérindiens, sur l’île de Montréal, dont Le Royer a acquis la propriété. Un fort vent de prosélytisme catholique souffle alors sur l’Europe, en pleine Contre-Réforme, en réaction à la Réforme protestante. Il faut conquérir des âmes. Voilà donc Chomedey embarqué pour la Nouvelle-France, le 9 mai 1641.


 

La traversée se passe très mal, contrairement à celle de Jeanne Mance. Partis tous deux le même jour du port de La Rochelle, mais sur des navires différents, elle franchit l’Atlantique en trois mois, sans histoire, sur des eaux qualifiées de « bonasses », tandis qu’il lui faut presque cinq mois, de peine et de misère, pour parvenir au but. Paul de Chomedey doit s’y reprendre à quatre fois tellement l’océan est mauvais. Rien ne va. Une partie de l’équipage, de peur et de découragement, lui fausse compagnie lors des retours en France. Il doit trouver au pied levé de nouvelles recrues, toujours difficiles à convaincre. Qui veut aller recommencer sa vie à zéro dans une contrée redoutable, à l’autre bout du monde ? Et qui veut aller rendre tripes et boyaux sur un bateau de pitié, y attraper le scorbut ou la dysenterie, être mangé vif par les poux et les vers ? Un passager sur dix n’arrivait jamais à destination et mourait sur la mer.


 

Route du patrimoine québécois


 

Mais revenons à Neuville-sur-Vanne, minuscule commune certes, mais qui a la mémoire vaste. Le 16 mai dernier, nous sommes une trentaine à casser la croûte à la mairie pour célébrer le 375e anniversaire de la fondation de Montréal par le héros de l’endroit. Des élus, des enseignants, des responsables culturels, mais aussi de simples citoyens ont apporté charcuteries, fromages, desserts. Quelques bouchons de champagne sautent, dont une Cuvée 375e « avec un goût légèrement iodé, celui des terres de l’Aube, pas de la montagne de Reims », précise Jacques Cousin. On trinque aux exploits du célèbre personnage et à l’amitié franco-québécoise.




Photo: Monique Durand Le Devoir
Mémorial dédié à la mémoire de Paul de Chomedey, Jeanne Mance et Marguerite Bourgeoys à Neuville-sur-Vanne

 

Jacques Cousin, attaché depuis des décennies à perpétuer la mémoire de Chomedey, travaille à mettre sur pied une Route historique du patrimoine québécois en Champagne. Car Chomedey n’est pas le seul Champenois à avoir occupé l’avant-scène de l’histoire de la Nouvelle-France. Ils sont plusieurs : Jeanne Mance de Langres, Marguerite Bourgeoys de Troyes, Jean Talon de Châlons-en-Champagne, Lambert Closse de Mogues, Claude de Ramezay de Lagesse, tous ayant vécu au XVIIe siècle.


 

Comment expliquer ce fait étrange que des gens d’une région sans accès à la mer aient joué un si grand rôle ? Venir de régions maritimes comme la Normandie, la Bretagne ou la Charente, d’accord, mais de la Champagne ? La contribution champenoise au peuplement de la Nouvelle-France fut « limitée, mais de qualité », écrit le spécialiste Hervé Faupin. « La Champagne est une province anciennement rattachée à la Couronne, c’est-à-dire une province dont les natifs fournissent des cadres à l’État royal aussi bien en France qu’en Amérique. »



Une femme fondatrice ?


 

Montréal a été fondée à vrai dire par un trio de copains champenois formé par Paul de Chomedey, qui en deviendra le premier gouverneur, Jeanne Mance, la première infirmière, et Marguerite Bourgeoys, la première institutrice. Louise, la soeur de Paul de Chomedey, était une amie de Marguerite Bourgeoys. Tous avaient entendu parler de la Nouvelle-France par les Relations des jésuites. Ils rêvaient de faire voile vers cette étoile inconnue, ce nouvel ordonnancement du monde, laissant derrière eux une Europe à feu et à sang, des villes détruites, des campagnes retournées sens dessus dessous, des blessés, des éclopés, des pestiférés.


 

Ma question est délicate en ces lieux : Paul de Chomedey a-t-il pris ombrage de l’addition, en 2012, d’une cofondatrice ? « La reconnaissance de Jeanne Mance comme fondatrice de Montréal au même titre que Chomedey a été un élément un peu perturbateur, avoue Jacques Cousin. Une femme ne pouvait, au XVIIe siècle, avoir fondé une ville. » La controverse s’est évanouie, le dossier est maintenant clos, toutes les plaques commémoratives ont été mises à jour : Paul de Chomedey de Maisonneuve n’est plus fondateur, mais cofondateur de Montréal.


 

Soupe aux trois soeurs


 

Après le repas à la mairie, nous sommes conviés dans un atelier où sont exposées des maquettes d’élèves de l’école primaire qui ont oeuvré toute l’année à représenter le héros Chomedey arrivant par le Saint-Laurent jusqu’aux pieds du mont Royal. On fond devant la montagne en chiffon, le fleuve en papier de soie, les nuages en ouate, paysages et personnages minutieusement bricolés, collés, peints. « Les enfants sont au coeur de notre projet », explique David Bécue, un enseignant dans la quarantaine, qui préside le Comité Paul de Chomedey de Maisonneuve à Neuville-sur-Vanne. « Connaître son histoire, c’est comprendre le présent et pouvoir éviter les erreurs du passé, fait-il. Et puis cet accès à l’histoire, à la culture et à l’art ouvre nos jeunes à des valeurs d’humanisme. »




Photo: Monique Durand Le Devoir
David Bécue

 

Les élèves ont aussi appris à préparer des crêpes au sirop d’érable et la soupe aux trois soeurs. Les trois soeurs ? Maïs, courge, haricot, les légumes que l’on mangeait en Nouvelle-France, au temps de Chomedey. « Neuville-sur-Vanne a la chance d’avoir abrité une personne illustre, poursuit David. On a dû s’inventer des compétences nouvelles pour être à la hauteur de sa stature. On a tissé des liens internationaux, avec le Québec tout spécialement. »


 

Le soleil descend sur la Champagne. Des champs montent les odeurs du soir. Jacques Cousin caresse le rêve de s’installer six mois par année en Mauricie ou en Gaspésie. « Chomedey, c’est un frère, glisse-t-il, c’est un peu moi. J’appartiens comme lui à la terre du Québec. » L’heure est douce, comme les conversations. Il me semble soudain voir Paul de Chomedey sortir son luth. Il joue une vieille ballade champenoise.


 
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