Dans un article intitulé « Enbridge contredit les opposants » paru le 21 septembre, le porte-parole d’Enbridge, Éric Prud’homme, se veut rassurant à propos de l’inversion du flux de la Ligne 9b vers le Québec et conteste les résultats d’une note socio-économique dont nous sommes les auteurs.
Cette note, rappelons-le, démontrait que :
• Le transport de pétrole issu des sables bitumineux provenant de l’Alberta était plus polluant que l’importation de pétrole conventionnel provenant de l’Europe ou de l’Afrique du Nord ;
• L’augmentation de l’exploitation des sables bitumineux participait aux dépassements des limites dites sécuritaires par l’Agence internationale de l’énergie en injectant 7,9 mégatonnes de nouvelles émissions de GES annuellement calculées selon les coefficients reconnus en Amérique du Nord ;
• Les retombées économiques étaient marginales.
Le porte-parole d’Enbridge allègue que les plans de l’entreprise sont d’acheminer « en grande partie » du pétrole de schiste provenant du gisement Bakken et non du pétrole provenant de l’Alberta. Il ajoute que, selon lui, le refus d’inverser le flux de l’oléoduc Ligne 9b pourrait diminuer la compétitivité des raffineries québécoises, ce qui aurait un rôle dans le maintien de 4000 emplois au sein de l’industrie pétrochimique.
Analysons ces deux affirmations : sur la question du pétrole des sables bitumineux, bien qu’Enbridge veuille se faire rassurant, rien ne garantit qu’une fois le projet approuvé, le pétrole sera en majorité du pétrole léger ou même qu’il sera destiné aux raffineries québécoises. Enbridge, en tant que transporteur, aura la totale liberté de boucler son carnet de livraison selon ses clients les plus offrants. Rappelons qu’Enbridge demande à l’Office national de l’énergie (ONE) la permission de transporter du pétrole des sables bitumineux, et qu’en raison de la mise en veilleuse des projets Northern Gateway par la Colombie-Britannique et Keystone XL aux États-Unis, l’effet de goulot des sables bitumineux s’amplifie, ce qui accentue la pression pour exporter ce type de pétrole. Sachant que les estimations de l’Institut canadien de recherche énergétique (CERI) indiquent que la production de pétrole provenant des sables bitumineux excédera, en 2013, 2,5 millions de barils par jour, on se doute que l’Alberta devra écouler cette offre de pétrole. En ce sens, la phase suivante du projet d’oléoduc Ligne 9b qui reliera Montréal à Portland (MA) pourra permettre d’atteindre l’océan Atlantique et permettra l’exportation internationale par les oléoducs d’Enbridge.
Notons également que le rail représente des avantages concurrentiels importants pour le pétrole de Bakken qui profite de la flexibilité de ce mode de transport pour atteindre les marchés les plus rentables et que rien n’indique que le marché canadien sera le plus intéressant pour cette industrie. Par ailleurs, les puits de cette région ont une durée de vie éphémère ce qui laisse présager que rapidement Enbridge devra se tourner vers d’autres produits que le pétrole de schiste pour être rentable à moyen ou long terme. Il est donc faux de prétendre que le pétrole transporté sur le territoire québécois par la Ligne 9b sera en vaste majorité du pétrole conventionnel. Il est toutefois certain que cet oléoduc participera à l’augmentation massive de GES dans l’atmosphère.
Sur la question des retombées économiques, il suffit de se fier aux données de Statistique Canada et à l’affirmation de l’industrie pour comprendre que ce projet n’aura pas de répercussions constructives à long terme. Au mieux, une centaine d’emplois seront créés. Pour ce qui est du maintien de 4000 emplois, cette affirmation tient pour acquis que, sans l’inversion de la Ligne 9b, le commerce du raffinage du pétrole québécois serait en danger et disparaîtrait. Une telle affirmation n’est fondée sur aucune étude sérieuse et ressemble plutôt à une stratégie de relations publiques ayant pour but de provoquer la peur.
N’oublions pas qu’Enbridge, après avoir inversé un oléoduc dans des circonstances similaires à celles du projet d’oléoduc Ligne 9b, s’est rendu responsable du plus grand déversement terrestre en Amérique du Nord dans la rivière Kalamazoo au Michigan avec des coûts estimés à plus de 1 milliard de dollars en nettoyage. Au final, le projet de la Ligne 9b est avant tout un projet qui aura des retombées environnementales et sécuritaires dommageables importantes, et cela, en contrepartie des retombées économiques marginales.
Bertrand Schepper - Chercheur à l’IRIS et Renaud Gignac - Chercheur associé à l’IRIS
Oléoduc d’Enbridge - Des risques et peu de retombées
Bertrand Schepper, Renaud Gignac
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