Grèce

« Nous retournons aux années 1950 »

Géopolitique — Union européenne

Panagiotis Grigoriou - Blogueur associé - La Grèce entre neige et feu. Aussi bien le climat atmosphérique que politique. Pendant que la Troïka cherche un avenir au pays, les Grecs ont déjà les yeux rivés vers le futur car le temps presse. Misère, précarité, affrontements entre policiers et manifestants, le drapeau allemand brûlé... Panagiotis Grigoriou revient sur les grands événements de ces derniers jours. Hier déjà à Athènes, c'était le déluge. Les cieux se sont ouverts en attendant la clôture du Mémorandum II, entre la Troïka et les « nôtres ». Et la clôture se fait encore officiellement attendre. Mais il y a eu des… acquis sur lesquels nous allons pouvoir nous reposer, comme le salaire minimum à 592 euros brut et le dérèglement de ce qui reste des conventions collectives. Alors, il faut… désespérer… un accord mercredi soir. Entre temps, nos manifestants ont bravé la pluie, la Troïka et les CRS grecs devant le « Parlement ». Lundi soir, puis le lendemain. Vers 13h, et après avoir couvert le monument du soldat inconnu d'un drapeau grec, certains manifestants ont aussitôt brûlé le drapeau de la Bundesrepublik Deutschland et celui du Reich nazi. Les deux ensemble. Action spontanée ? Provocation comme diraient certains ? De toute façon, le symbole à lui seul suffit, il passe si facilement. Ensuite, il y a eu les lacrymogènes, la bastonnade. Et pour en finir, de nouveau la pluie, sur ce pétard mouillé qu'est devenu notre vie politique. Pour l'instant. Une heure après, la photo d'un CRS grec piétinant (volontairement ?) un morceau du drapeau allemand brûlé ou alors d'un autre drapeau allemand, a aussitôt fait le tour de l'Internet grec, accompagné par l'instantané d'un autre CRS, venu ramasser ce qui restait de ce pauvre drapeau, « pour ne pas créer d'incident diplomatique avec l'Allemagn e», selon les commentaires. Donc déluge et feu ensemble. Comme ces dernières déclarations du couple Merkozien, sous forme d'ultimatum à la Grèce. Comme de l'empressement chez eux, pour aller vite, nous les comprenons. Plus longtemps nous résisterons ici, au petit coin du continent, meilleures alors seront les chances pour que les opinions publiques en Europe puissent enfin suivre du regard… le futur. Donc nous sentons que nous allons quelque part. Personne ne sait où à vrai dire. Ni même la Troïka et encore moins les économistes. Sauf que les plans bancocrates existent, seulement, et indépendamment du protocole. Comme pour toute expérience, l'ensemble des effets disons pervers n'est peut pas être prévu. Les Papadémiens, n'en parlons plus. Une fois le carnaval terminé, ils seront rangés dans le placard de l'histoire, tout comme les masques. Ainsi les Troïkans s'apprêtent à administrer directement leur baronnie. Et qui sait, quoi d'autre encore ? La situation ne sera pas prévisible je crois, car tout simplement, l'histoire ne l'a jamais été. De surcroit, dans une situation inédite : la faillite financière d'un État se trouvant, à l'intérieur d'un système monétaire certes d'occupation étrangère, mais dont certaines élites, bien locales, en profitent autant. Une monnaie qui ne tiendra pas apparemment, ou sinon comme offrande funéraire, dans le rituel de la mise à mort lente des peuples d'Europe. DES CITOYENS CONTRE DES CITOYENS ? Donc entre temps, chez nous tout peut se jouer… à la grecque. Dans un rapport récent de la police, alors présumé connu de la presse, les officiers se déclarent très inquiets car ils se disent incapables de contenir la foule, durant les émeutes à venir, soulevant même désormais le manque de volontarisme de leurs subordonnés dans leur besogne. Les hauts gradés de la police se disent persuadés que le temps des révoltes est proche. Ils notent avec désarroi qu'il n'y a plus « en face » un mouvement organisé, syndicaliste, ou alors politiquement connu et balisé - celui de la gauche communiste par exemple. Ni même celui des indignés, comme durant l'été dernier. Donc il peut y avoir autre chose. Les policiers font également partie de la société. Ils ont des amis, des parents, alors ils sentent ce qui pourrait se passer. Ils se disent très préoccupés des éventuelles réactions brusques de ces citoyens ayant perdu tout revenu, tout repère et tout espoir, finalement en moins de deux ans. Ces gens qui en 2010 encore, promenaient leurs enfants au jardin botanique, s'occupaient de leurs courses et de leurs loisirs, sans être les habitués des manifestations ou des grèves. Mardi soir à la télévision, au journal du soir (chaîne Ant1), le représentant syndicaliste des policiers s'est dit également préoccupé par autre chose : « Si on touche encore une fois à nos salaires, pour] nous enlever par exemple encore cent euros, alors pour nous c'est la guerre ». Décidément la guerre est d'actualité partout. Ce mardi, en réunion d'urgence entre les représentants des ordres d'avocats, de ceux des médecins et également des architectes, il a été décidé « la mise en place de mesures d'urgence ». La première étant le boycottage des produits allemands : [« un minimum afin de protester par les actes, du manque de solidarité de la part de l'Allemagne. La deuxième mesure, se résume en l'élaboration d'un plan de sortie de crise mais de manière réaliste, par une croissance retrouvée, seulement sur d'autres bases. » Mon ami Sakis l'instituteur a aussitôt ironisé : « Il fallait y penser bien avant espèce de bougres, maintenant que les médecins ont tous acheté des Mercedes, les avocats des BMW et les architectes ces deux marques à fois, le pays ne produit plus rien, ils n'ont plus de clientèle et ainsi ils souffrent aussi …. qu'ils aillent crever dans leurs bagnoles …. ! » Mais il y a d'autres sujets d’actualité qui ne se prêtent pas à l'ironie. Lundi dans la journée, Panagiotis Lafazanis, député Syriza - formation de gauche, un parlementaire très apprécié pour son sérieux, a déclaré au micro d'une radio locale qu'au Nord du pays « des réservistes viennent d'être mobilisés pour former des unités de la Garde nationale [appellation des formations par ce type de recrutement]. Ce qui étonne c'est que ces hommes reçoivent, selon nos informations, à la fois des instructions sur la gestion des intempéries, ce qui est normal puisque nous savons que cette région comme d'autres en Grèce en subissent trop en ce moment, mais ils reçoivent aussi des instructions sur la gestion des foules et des manifestations qui peuvent dégénérer. Je souligne que des fusils viennent d'être distribués à ces réservistes, alors va-t-on utiliser ces citoyens contre d'autres citoyens ? [De quoi ont-ils alors peur, nos gouvernants ? » « NOUS N’AVONS PLUS DE VIE SOCIALE » Sinon, pluie et encore pluie sur de la neige fondue. De nos campagnes, le regard porte bien sur Athènes. D'autres, le regard épuisé, n’ont finalement que leurs yeux pour pleurer. Certaines régions au Nord et dans le Péloponnèse subissent des inondations sans précédent. La mer Égée est déchainée, les ferrys amarrés, aussi parce que les marins sont en grève. Puis, lundi encore, deux Cyclades, Tinos et Andros, ont été privées d'électricité. « Nous retournons aux années 1950 » disait Vangelis, mon cousin agriculteur, ce matin. Il vient de s'acheter d'occasion, un semoir en ligne, conventionnel, et il m'a demandé de lui traduire la notice. « Je l'ai acheté pour presque rien, si on compare son prix avec il y a peu de temps. Tout le monde brade tout... Je ne sais par contre même pas si je m'en servirais car il faut mettre du gasoil dans le tracteur... Nous ne sortons plus. Oublié le café du village, nous n'avons plus de vie sociale. Comme du temps des nos grands parents, nous attendons les mariages, les baptêmes et les enterrements pour se retrouver. Enfin… des mariages et des baptêmes, il n'y en a plus tellement, mais pour les enterrements ça y va ! Déjà que nous nous sommes retrouvés ainsi la semaine dernière, pauvre Aristide, emporté d'une crise cardiaque… Il a laissé une femme touchant la retraite agricole, et deux enfants au chômage… Donc lui au moins... ». Ensuite, nous avons fait le tour de la machine dans le hangar. De la mécanique en somme robuste, origine France, constructeur… 77130 Montereau. Allons-nous semer au moins un autre avenir pour nous et pour les autres peuples d’Europe ? L’EUROPE N’A JAMAIS ÉTÉ UNE AFFAIRE SIMPLE L'EUROPE SAIGNE LA GRÈCE POUR SAUVER L'EURO ATHÈNES: LES CASSEURS AU SERVICE DES BANCOCRATES HÉBERGEMENT D'URGENCE: DEUX EX-SDF CRÉENT LE 115 DES PARTICULIERS En attendant, la Troïka durcit encore plus ses positions. A Berlin, les journalistes grecs questionnent les responsables allemands sur la consistance de cette fameuse caisse « grecque », transférée en Allemagne ou à Bruxelles : « Vous y placerez le prêt et les autres aides pour la Grèce, en mettant en réalité l'ensemble de ces sommes à destination des marchés, autrement dit des banques. Mais est ce que vous y placerez également de l'argent en provenance de l'assiette fiscale du pays ? ». Eh bien, silence. Donc nous imaginons le prochain cauchemar. Les officiels du pays de Goethe se sont empressés de préciser que la « cagnotte grecque » était une idée de Nicolas Sarkozy, bien appréciée par Madame Merkel. Nous remercions donc Nicolas Sarkozy, lui demandant d'aller jusqu'au bout de son idée, nous envoyant pour bientôt Bernard Kouchner et ses sacs de riz, plus l'Eurocorps afin de nous tenir calmes. Pendant que la Troïka menace prétendument de quitter Athènes, une deuxième bonne nouvelle nous vient enfin depuis l'Allemagne. Les syndicalistes de IG Metall, demandent au patronat des augmentations de 6,5 %, « pour que les travailleurs puissent en recevoir leur part dans la croissance économique, seulement Angela Merkel fait de la stagnation des salaires un principe de base de son orientation politique ». Mais mon cousin ne comprend pas trop bien pourquoi nous devons nous réjouir des revendications des mettalos Allemands. « Après tout, ils n'ont même pas fabriqué ma machine, t'as bien vu elle est française », a-t-il ajouté. Finalement l'Europe n'a jamais été une affaire simple. Sauf pour les bancocrates. Retrouvez Panagiotis Grigoriou sur son blog.



Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé