« Les scénaristes n’osent plus. » (Roger Frappier)

Nos cinéastes nationalistes s’autocensurent

Tribune libre

     En prévision de la sortie du livre écrit par le politologue Denis Monière, Roger Frappier. Oser le cinéma québécois, le producteur de La Grande Séduction et d’Un zoo la nuit a déclaré : « On est le seul domaine où les institutions se mêlent du contenu. En littérature, les institutions financent les éditeurs sans demander à regarder les livres avant leur publication. En musique, elles financent les maisons de disques aussi directement. Est-ce qu’on verrait un fonctionnaire de la SODEC dire à Daniel Bélanger : “Ton refrain n’est pas bon sur telle chanson, il faut que tu le changes, sinon on ne finance pas ton disque” ? » 1 C’est ce que j’ai toujours pensé.


     Le film Chien blanc 2, tiré du roman éponyme du Français Romain Gary, a obtenu le concours financier de Téléfilm Canada et de la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC). Son sujet – le racisme antinoir aux États-Unis – est certes dans l’air du temps depuis la mort de George Floyd 3, mais en quoi peut-il intéresser tout particulièrement le Canada et le Québec ? Les États-Unis ont promu l’esclavagisme à grande échelle, créant des fractures au sein de leur population qui perdurent encore aujourd’hui à des degrés divers, mais rien de tel au Canada et au Québec. Pour la pertinence, donc, il faudra repasser (et savait-on que Samuel Fuller avait déjà réalisé un bon film en 1982 tiré du même roman ? 4).


     Le journal Intelligence & National Security a révélé récemment qu’une cellule secrète avait été mise sur pied au début des années 1970 à Ottawa avec l’approbation du ministre Marc Lalonde et de son patron, le premier ministre en personne, Pierre Elliott Trudeau, pour infiltrer et déstabiliser le Parti québécois, notamment 5. Les manœuvres illégales déployées à cette époque par les politiciens québécois dans la capitale fédérale pour refroidir la ferveur indépendantiste feraient un savoureux scénario, mais croyez-vous que Téléfilm Canada contribuerait financièrement à un tel projet ? Posez la question à Justin Trudeau, pour voir.


     Le défunt historien Frédéric Bastien a consulté des documents dans les archives du Foreign Office à Londres qui révèlent que deux juges de la Cour suprême du Canada, Bora Laskin (juge en chef) et Willard Estey, ont transmis des informations confidentielles aux gouvernements canadien et britannique afin d’aider les politiques à obtenir le changement constitutionnel espéré par Trudeau père. Suis-je le seul à penser que s’il était adapté pour le cinéma, le livre de M. Bastien, La Bataille de Londres 6, ferait un palpitant scénario ? Cela dit, croyez-vous que Téléfilm Canada accepterait de participer au financement du film de magouilles qui en résulterait ? Poser la question, c’est déjà y répondre.


     La totalité des films que nous produisons au Québec avec l’appui de Téléfilm Canada ne nuisent pas à l’unité nationale (ceux traitant de la question autochtone sont parfois gênants pour Ottawa, mais rien de plus). N’est-ce pas la preuve que le système actuel est idéal pour les fédéralistes et catastrophique pour les nationalistes ? Pourtant, les Québécois contribuent à la cagnotte de Téléfilm Canada et 36 % d’entre eux diraient oui à l’indépendance du Québec 7. C’est un miracle que Téléfilm Canada ait accepté de subventionner le film du défunt Pierre Falardeau, 15 février 1839 (soit dit en passant, il avait d’abord été refusé à… cinq reprises 8).


     M. Frappier, le producteur derrière l’acclamé Déclin de l’empire américain, a encore confié : « L’intervention des institutions dans la scénarisation fait en sorte que le cinéma québécois est de plus en plus middle of the road. Les scénaristes n’osent plus. » 9 C’est précisément cela, les producteurs, cinéastes et scénaristes nationalistes attirés par les sujets politiques s’autocensurent.


     L’idéal serait que les organismes subventionnaires ne se mêlent plus du contenu des films, pour reprendre la formule de M. Frappier, mais tant qu’ils le feront, il n’y a pas trente-six solutions. Les producteurs québécois dont les projets sont refusés à Ottawa pour des raisons suspectées politiques doivent voir leur part de financement à la SODEC augmenter de manière à ce qu’ils deviennent malgré tout tournables, quitte à laisser tomber d’autres projets. Bien entendu, pour que cela advienne, il faut que les gouvernements en place à Québec nomment des responsables à la SODEC qui ne soient pas tous des fédéralistes convaincus ou tous membres de minorités ethnoculturelles, qui sont, comme nous le savons, plus souvent fédéralistes.


     Une telle politique de financement au Québec ferait en sorte que les producteurs, réalisateurs et scénaristes sympathiques à la cause indépendantiste ou simplement nationalistes ne s’interdiraient plus dorénavant d’écrire des scénarios de film qui leur viennent du cœur et qui prennent aux tripes.
















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