Montebourg/Varoufakis, sortie de l'euro : le dessous des cartes par Jacques Sapir

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Alliances stratégiques droite/gauche en vue pour contrer la dictature de l'euro



Jacques Sapir dirige le groupe de recherche Irses à la FMSH, et coorganise avec l'Institut de prévision de l'économie nationale (IPEN-ASR) le séminaire franco-russe sur les problèmes financiers et monétaires du développement de la Russie. Vous pouvez lire ses chroniques sur son blog RussEurope.


L'échec d'Alexis Tsipras donne-t-il raison à ceux qui affirment qu'il n'y a qu'une seule politique possible?

L'existence du «plan B» est l'une des preuves qu'une autre politique est possible. Mais, il faut comprendre que cette autre politique implique, à un moment ou à un autre, une rupture avec l'Euro et avec l'Union européenne. Ce que la crise grecque, qui n'est visiblement pas terminée, nous enseigne c'est qu'il n'y a pas d'autre politique possible dans le cadre de l'Euro. Cette évidence est venue frapper avec force ceux qui à gauche, et en toute honnêteté, maintenaient un discours «pro-Euro» et un discours anti-austérité. Ces deux discours sont incompatibles. Soit l'on accepte l'austérité, quitte à en négocier des miettes, le poids des chaînes, et l'on peut garder l'Euro, soit on refuse l'austérité, mais cela implique une sortie de l'Euro .

L'Euro est devenu un obstacle tant à la démocratie (et on l'a vu en Grèce) mais aussi à une politique en faveur du travail et opposée à la finance. Mais, elles n'épuisent nullement le sujet. L'Euro a accentué et généralisé le processus de financiarisation des économies . C'est du fait de l'Euro que les grandes banques européennes sont allées chercher des subprimes aux Etats-Unis avec les conséquences que l'on connaît en 2008. Ainsi, non seulement la zone Euro a entraîné une partie de l'Europe dans une très faible croissance , mais elle ne l'a pas protégée de la crise financière de 2007-2009. Le résultat est donc clair. Si des politiques néfastes pour les économies peuvent être mises en œuvre hors de l'Euro, ce dernier implique des politiques néfastes. En fait, aucune autre politique économique n'est possible tant que l'on est dans l'Euro. C'est l'une des leçons de la crise grecque. Aussi, un démantèlement de la zone Euro apparaît bien comme une tache prioritaire.

Nous avons donc eu, à l'occasion de la crise grecque, une clarification importante du débat.

Comment reconstruire une alternative à la politique européenne actuelle?

Si l'on considère cette alternative comme étant celle d'une rupture avec l'Euro, et je rappelle qu'il ne peut y avoir d'autre politique que sur la base d'une sortie de l'Euro, alors, cette alternative implique d'associer des forces de gauche à des forces souverainistes. On peut noter une évolution importante au sein des forces de gauche, y compris en France si l'on observe bien les évolutions de J-L. Mélenchon, sur ce point. C'est implicitement le sens del'appel de Stefano Fassina*, qui fut un des responsables du Parti Démocrate en Italie, appel qui a été relayé sur le blog de Yanis Varoufakis . C'était aussi le sens de l'article d'Oskar Lafontaine, qui, en 2013, appelait à la dissolution de l'Euro . Mais, cette alternative n'aura de sens que si elle s'élargit à l'ensemble des forces qui, aujourd'hui, appellent à sortir de l'Euro. A partir du moment où l'on se donne comme objectif prioritaire un démantèlement de la zone Euro, une stratégie de large union, y compris avec des forces de droite, apparaît non seulement comme logique mais aussi nécessaire. Vouloir se masquer cela aboutirait à une impasse. La véritable question qu'il convient de poser est donc de savoir s'il faut faire de ce démantèlement de l'Euro une priorité. Et, sur ce point, tant Fassina qu'Oskar Lafontaine et bien d'autres répondent par l'affirmative.

La présence de Jean-Pierre Chevènement aux côtés de Nicolas Dupont-Aignan est un premier signe dans cette direction. Mais, très clairement, l'heure n'est plus au sectarisme et aux interdictions de séjours. Même si, et c'est tout à fait normal, chaque mouvement, chaque parti, entend garder ses spécificités, il faudra un minimum de coordination pour que l'on puisse certes marcher séparément mais frapper ensemble.

Il faut cependant avoir conscience que la constitution des «Fronts de Libération Nationale*» pose de redoutables problèmes. Ils devront inclure un véritable programme de «salut public» que les gouvernements issus de ces «Fronts» auront mettre en œuvre non seulement pour démanteler l'Euro mais aussi pour organiser l'économie le «jour d'après». Ce programme implique un effort particulier dans le domaine des investissements, mais aussi une nouvelle règle de gestion de la monnaie, mais aussi de nouvelles règles pour l'action de l'Etat dans l'économie, une nouvelle conception de ce que sera l'Union européenne et, dans le cas de la France en particulier, une réforme générale du système fiscal. On glisse alors, insensiblement, d'une logique de sortie ou de démantèlement de l'Euro vers une logique de réorganisation de l'économie. Un tel glissement est inévitable, et nous avons un grand précédent historique, le programme du CNR durant la seconde guerre mondiale. La Résistance ne se posait pas seulement pour objectif de chasser l'armée allemande du territoire. Elle avait conscience qu'il faudrait reconstruire le pays, et que cette reconstruction ne pourrait se faire à l'identique de ce que l'on avait en 1939. Nous en sommes là aujourd'hui. L'idée de Fronts de Libération Nationale est certainement une idée très puissante, que ce soit en France ou en Italie.

L'échec de la gauche dite radicale ouvre-t-il la porte aux extrémistes?

Ce qui est arrivé n'est nullement un échec de la gauche dite radicale. Ce qui survient en Grèce est, en réalité, une clarification. Mais, si la gauche radicale n'arrive pas à surmonter ses préventions et ses réticences, dont certaines peuvent être justifiées, par rapport aux mouvements souverainistes, si l'alliance des «fronts de libération nationale» dont parle Fassina dans son appel, échoue, alors - oui - le risque est grand que les électeurs dans les différents pays ne se jettent dans les bras de mouvements extrémistes. C'est pourquoi, et j'insiste sur ce point, il faudra laisser le sectarisme, les procès d'intention et les anathèmes au vestiaire.

Yanis Varoufakis rencontrera Arnaud Montebourg ce week-end. Show médiatique ou début d'une alliance prometteuse?

Certainement les deux! On peut compter sur Arnaud Montebourg, comme sur Yanis Varoufakis, pour faire le Show. Ce qui, d'ailleurs, est dans la logique des choses et n'est pas nécessairement un obstacle. Mais, ce serait une erreur profonde de n'y voir qu'un Show. En fait, l'enjeu de cette rencontre est bien réel. Il est d'associer à cette alliance qui est en train de prendre forme des segments des forces socialistes. De ce point de vue, Arnaud Montebourg devra très rapidement clarifier sa position vis-à-vis de l'Euro car, entre cette alliance anti-Euro et les forces sociales-libérales, il n'y aura rapidement plus de place.

* Fassina S., «For an alliance of national liberation fronts», article publié sur le blog de Yanis Varoufakis par Stefano Fassina, membre du Parlement (PD), le 27 juillet 2015

* Expression de Stefano Fassina traduite de l'anglais dans son article Fassina S., «For an alliance of national liberation fronts»

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Jacques Sapir141 articles

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Jacques Sapir est un économiste français, il enseigne à l'EHESS-Paris et au Collège d'économie de Moscou (MSE-MGU). Spécialiste des problèmes de la transition en Russie, il est aussi un expert reconnu des problèmes financiers et commerciaux internationaux.

Il est l'auteur de nombreux livres dont le plus récent est La Démondialisation (Paris, Le Seuil, 2011).

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