Matteo Salvini : le nationaliste italien qui contribue à remodeler l'Europe

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« Incontestablement, Matteo Salvini a modifié le visage de l’Europe. »

Matteo Salvini a tout pour plaire aux Italiens – mais pas à la classe politique. Réussira-t-il à revenir au premier plan ? Docteur ès-lettres, écrivain, spécialiste de l'histoire de l'enseignement en France, Yves Morel explique.

Matteo Salvini est la grande révélation politique de l’Europe occidentale en ce début du XXIe siècle. Dans la force de l’âge (il a 46 ans), vice-président du Conseil et ministre de l’Intérieur depuis un peu plus d’un an (juin 2018), il fait figure d’homme fort de l’Italie, beaucoup plus que le président du Conseil, Giuseppe Conte. Et ce d’autant plus que son parti, la Ligue (Lega) a obtenu 34% des voix aux européennes de mai 2019, cependant que le Mouvement Cinq étoiles (M5S), populiste de gauche (sorte d’amalgame italien de notre France insoumise et de nos Gilets jaunes) n’en glanait que 17%, ce qui a inversé les poids respectifs des deux partenaires, puisqu’aux législatives de mai 2018 le M5S atteignait 33% cependant que la Ligue plafonnait à 18%. Ce renversement de situation vient du charisme exceptionnel de Salvini et des succès de sa politique de contrôle rigoureux et intransigeant de l’immigration. Il s’explique également par son habileté politique.

Matteo Salvini a imposé une politique nationale à l’Europe

Matteo Salvini a su faire preuve d’un réalisme salutaire. En premier lieu, il a su renoncer à la lubie « padaniste » qui caractérisait la Ligue du Nord d’Umberto Bossi, et la plombait en faisant d’elle l’ennemie de la nation italienne. La Ligue, sous sa direction, est devenue un parti nationaliste attaché à la défense de l’identité, de la souveraineté et de la prospérité de l’Italie. Et, quoique hostile à la prépondérance de l’Europe, il a su concevoir et faire accepter par son parti une politique économique (largement fondée sur une réforme fiscale décisive) compatible avec les exigences bruxelloises, et une politique de défense de l’identité italienne en contradiction avec le credo ouest-européen, mais en accord avec les pays est-européens, notamment l’Autriche, la Hongrie, la Pologne, la Slovaquie et la Roumanie. Et, de concert avec les partis étrangers de droite nationale, ceux du groupe europarlementaire « Europe des Nations et des Libertés », spécialement avec Marine Le Pen, Nicolas Bay, Marcel De Graaf et Gert Wilders, il est parvenu à ébranler la double hégémonie libérale et sociale-démocrate sur notre continent, et à opposer au fédéralisme européen des libéraux et des socialistes de tout poil, l’idéal d’une Europe des nations libres et souveraines.

Une saine politique migratoire

C’est surtout sa politique migratoire qui a suscité les oppositions de la France, de l’Allemagne, de l’Espagne et des pays ouest-européens en général, celle qu’il a directement mise en œuvre en tant que ministre de l’Intérieur. Dès son entrée en fonctions, il a fait adopter le décret-loi « Immigration et Sécurité » (29 novembre 2018), qui restreint notablement le droit d’asile et rend plus aisée qu’auparavant l’expulsion des clandestins. Ce décret-loi remplace les permis de séjour humanitaires d’une durée de deux ans, et largement accordés, par des permis plus ciblés, de validité temporelle étroitement limitée, comme le permis de « protection spéciale » (pour les réfugiés politiques), valable un an, ou le permis de séjour lié à une catastrophe naturelle dans le pays d’origine, délivré pour une durée de six mois, ou encore des permis accordés (pour une durée de six mois à deux ans, à déterminer au cas par cas) aux « victimes d’une exploitation grave du travail », ou connaissant des « conditions de santé d’une gravité exceptionnelle ». Il exclut les titulaires de ces divers permis du système national de santé, réservé, pour les migrants, aux bénéficiaires d’une protection internationale, liée au statut de réfugié, notamment. Il institue une procédure d’urgence permettant l’expulsion rapide de réfugiés jugés dangereux ou à risques pour la population italienne, et le regroupement temporaire des demandeurs d’asile dans de grands centres d’accueil, la durée maximale de ce séjour passant de 90 à 180 jours.

Corollairement, Matteo Salvini, fort de sa popularité toujours croissante, a imposé – peu après l’adoption de ce décret-loi (que le très européen président de la République italienne, Sergio Mattarella, n’a pas osé refuser de promulguer) – au président du Conseil Giuseppe Conte, et à ses partenaires et collègues ministres du M5S, la décision du gouvernement italien de ne pas signer le pacte de l’ONU sur les migrations (Global compact for Migration), revenant ainsi sur l’engagement en sens inverse pris en septembre 2016 par le ministère Renzi (de gauche) et approuvé par 190 pays (dont, en Europe, la France, l’Allemagne et l’Espagne, mais pas l’Autriche, la Hongrie, la Slovaquie et la Pologne), favorable à l’organisation et à la répartition de l’immigration, considérée comme un fait incontournable. Enfin, Matteo Salvini a fait adopter par le parlement italien, le 5 août dernier, une loi (dite anti-ONG), qui permet d’intercepter préventivement un navire susceptible de favoriser l’immigration clandestine, et prévoit, pour les contrevenants, des amendes pouvant atteindre un million d’euros, et des sanctions pénales pouvant s’élever jusqu’à dix ans de détention.

Une popularité en ascension constante, mais une ambition à risques

Ces mesures ont fait s’envoler littéralement la popularité de Salvini. À tel point que ce dernier, cédant à une ambition dévorante, vient de briser net le contrat de gouvernement avec M5S (en régression constante, dans l’opinion italienne, et dont les multiples échecs, notamment à la mairie de Rome, ont sérieusement détérioré l’image), rendant à peu près inévitables des élections législatives anticipées dont il attend de sortir comme le grand vainqueur, ce qui assurerait son accès à la présidence du Conseil. Ce coup d’éclat peut cependant se retourner contre lui. Un revirement de l’opinion italienne est toujours possible dans les urnes (les opposants à Salvini sont tout de même nombreux et très actifs). Malgré son possible succès (les sondages lui accordent 38% des suffrages), il peut aussi se retrouver privé des indispensables alliés pour lui assurer la majorité au parlement.

Le choix d’une politique nationaliste réaliste dans le contexte européen actuel

Mais ce qu’il importe de retenir de l’œuvre présente de Matteo Salvini est que, dans le cadre même de l’Union européenne, une politique de défense de l’identité, de l’indépendance et des intérêts économiques et sociaux de la nation est possible. Salvini, répétons-le ici, a su faire prévaloir, au sein de son parti et du gouvernement une politique économique compatible (certes, non sans difficultés, ni frictions, et non sans d’âpres négociations avec Bruxelles) avec les exigences budgétaires de l’Union ; et il a imposé sa politique migratoire à toute l’Europe, en particulier à ses partenaires occidentaux (France, Allemagne, Espagne) qui s’y sont déclarés hostiles et ne se sont pas montrés économes de critiques acerbes et de menaces à l’égard de l’Italie.

Il a su éviter le danger de l’intransigeance isolatrice, qui menace les droites nationales européennes, danger fondé sur le refus de la monnaie unique et la sortie de la zone euro, projets généralement jugés irréalistes et générateurs de catastrophes, propres à effrayer les électeurs, et que les eurocrates brandissent donc comme des épouvantails. Et, selon sa propre expression, il préfère « changer les choses de l’intérieur » et faire évoluer l’Union dans le sens d’une entente entre nations souveraines capables de s’entendre et de nouer des accords favorables à la défense de leurs intérêts communs, mais toujours soucieuses de leur liberté et de la préservation de leur identité. S’appuyant sur l’entente avec la Hongrie, la Pologne, l’Autriche, la Slovaquie, la Roumanie, et avec les partis nationalistes français, néerlandais et scandinaves, il a tenté de faire évoluer l’Europe dans le sens de l’Europe des nations, naguère souhaitée par le général de Gaulle, dans le sens d’une Europe des peuples souverains, opposée à l’Europe des technocrates, des banquiers, de la Bourse, du marché mondialisé et des multinationales. Et, si les Macron, Merkel, Juncker, les Bolkestein et les Barnier tiennent encore le manche, ils ne sont pas moins ébranlés, dans leur autorité, par ces pays d’Europe centrale et orientale, qui tiennent à leur identité, et dont beaucoup pensent fortement qu’ils ne sont pas sortis du communisme en 1989 pour perdre à nouveau leur souveraineté dans un conglomérat européen ultralibéral, technocratique et décadent.

Les “sauveteurs” humanitaires très surpris que leur routine soit perturbée par des considérations qui ne sont pas les leurs. Plus moyen de respecter les horaires…

Une Europe qui commence à changer de visage

Incontestablement, Matteo Salvini a modifié le visage de l’Europe. Il a fait de son pays (membre fondateur de l’Union européenne) le fer de lance de cette Europe des patries et de la civilisation chrétienne, celle des Kackzyński, des Beata Szydlo et des Morawiecki (Pologne), des Viktor Orban (Hongrie), des Robert Fico et des Pellegrini (Slovaquie), des Sebastian Kurz (Autriche), cette Europe qui ne parvenait pas à s’imposer face à ses grands partenaires occidentaux, et était traitée de haut par eux et par Bruxelles.

Cette Europe est celle de la civilisation, de l’humain et du bon sens, opposée à celle qui nous gouverne actuellement, marquée par le triomphe de la loi du marché et les égoïsmes individuels, de classes, de castes et de lobbies et cartels, sur fond d’un utopisme universaliste délétère.

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