Ces derniers jours, on n’a pas cessé de se moquer, dans les médias comme dans les réseaux sociaux, des bourdes commises par des inspecteurs de l’Office québécois de la langue française (OQLF) face à l’emploi de mots d’origine anglaise ou italienne dans des restaurants de Montréal et de Québec. En raison de l’étroitesse d’esprit et du manque de jugement qu’elles trahissent, ces sottises bureaucratiques ont fait grand bruit dans tout le Canada et ont même attiré l’attention de la planète entière. Il est à craindre que l’énorme publicité entourant ces déplorables événements aient des incidences désastreuses sur toute la question de la protection du français au Québec. L’Office doit donc impérativement s’amender.
D’entrée de jeu, rappelons que les événements rapportés ne sont nullement attribuables au gouvernement actuel du Parti québécois, puisque certains cas ont eu lieu sous le gouvernement libéral de Jean Charest. C’est seulement l’OQLF qui a la responsabilité de ce que d’aucuns ont appelé plaisamment le «pastagate», en référence à cette recommandation incongrue d’un de ses inspecteurs de remplacer le mot pasta figurant sur le menu d’un restaurant italien par le mot français pâte. Qu’il soit donc bien entendu que cette fâcheuse affaire provient entièrement de l’Office, de sa direction et de son personnel, et nullement de la société québécoise francophone ni du gouvernement, de quelque obédience politique que ce soit.
Un bon nombre d’interventions de l’Office révèlent que cet organisme erre dans sa manière de remplir sa mission, qui est de promouvoir la francisation de la société québécoise. L’affaire récente des restaurants en est une illustration frappante. En quoi le français serait-il menacé si, dans le menu d’un restaurant italien, on trouve des mots italiens comme pasta, antipasti ou calamari? Pourquoi faudrait-il traduire ces termes sur le menu du restaurant alors qu’ils renvoient à la tradition culinaire dans laquelle s’inscrit l’établissement? De même, quelle raison valable peut-on invoquer pour masquer les mots on et off sur les appareils électroménagers dans les cuisines d’un restaurant? Croit-on véritablement que ces quelques lettres qui passent inaperçues pour le personnel au travail vont contribuer à son anglicisation? Tous ces exemples qui ont choqué autant les francophones que les anglophones ne sont que des vétilles sur lesquelles ne devrait pas s’attarder un organisme linguistique ayant une vision cohérente du statut et du fonctionnement des langues. Les anglophones ont ainsi beau jeu de ne voir dans l’OQLF qu’une «police de la langue» pointilleuse, bornée et inutile.
Un autre exemple de la dérive de l’OQLF concerne la vaine croisade juridique qu’il mène contre des multinationales (Costco, Walmart, Gap, etc.) pour les obliger à modifier leur nom de manière à y inclure des termes génériques français. Ces raisons sociales correspondent à des noms propres auxquels les locuteurs de n’importe quelle langue associent sans problème un référent précis, de la même manière qu’ils le font pour un nom de ville comme Ottawa ou un nom de personne comme Lincoln. En toute rigueur, il est insensé d’avancer que ces raisons sociales d’origine anglaise, que l’on trouve partout dans le monde, y compris en France, constituent une entrave à la survie du français au Québec. Avec un pareil manque de discernement face à la présence de l’anglais, il faudrait faire fi de l’histoire et éliminer tous les toponymes anglais du territoire québécois sous prétexte qu’ils altèrent l’image française du Québec!
Un dernier exemple illustrant bien les errements de l’OQLF renvoie à l’incohérence que l’on peut observer sur de nombreuses fiches composant son Grand dictionnaire terminologique (GDT). Les censeurs de l’Office recommandent le nom smoking, qui s’entend en France, mais déconseillent tuxédo, qui s’emploie beaucoup plus au Québec, sous prétexte que ce dernier est un anglicisme, comme si smoking n’en était pas un... Toujours méfiant face aux formes anglaises, l’OQLF propose de traduire le nom hot chicken par sandwich chaud au poulet; certes, cette traduction française apparaît maintenant dans bon nombre de menus de restaurants, mais à l’évidence la grande majorité des Québécois continuent à commander et à manger des hot chickens. En fait, le GDT ne tient pas toujours compte de l’usage québécois standard ou il le décrit mal. Ainsi il privilégie le genre masculin pour le nom trampoline, qui est pourtant largement utilisé au féminin au Québec, tant par les locuteurs très scolarisés que par ceux qui le sont moins.
Un solide coup de barre s’avère nécessaire pour que l’OQLF remplisse pleinement sa mission qui est de défendre et de promouvoir la langue française au Québec. Le purisme tatillon et artificiel qui y règne depuis sa création et qui, on l’a vu avec l’affaire du «pastagate», a dégénéré en intégrisme linguistique doit être éliminé. La direction et le personnel de l’OQLF doivent à la place s’inspirer d’une compréhension beaucoup plus ouverte, plus large et plus pertinente des enjeux liés à l’avenir du français au Québec. Au lieu d’ergoter sur le vocabulaire des menus de restaurants ou de lutter contre des moulins à vent comme des raisons sociales, ils doivent s’attaquer prioritairement à des problèmes d’importance tels que l’usage du français dans les commerces du centre-ville de Montréal (entre les employés comme dans les relations avec les clients), le recrutement et la formation de la main-d’œuvre dans les entreprises ainsi que l’intégration culturelle, linguistique et professionnelle des immigrants. En ce qui a trait à son rôle de normalisation linguistique, s’il abandonnait la position inconfortable et improductive qu’il a adoptée, à cheval entre la hantise de l’anglicisme et un alignement inconditionnel sur la variété hexagonale du français, l’OQLF serait davantage en mesure d’offrir des propositions terminologiques appuyées sur l’usage standard d’ici, et, par là, plus susceptibles d’être entérinés par les usagers. Une telle légitimation de la variété standard québécoise amènerait les Québécois francophones à mieux se reconnaître dans ses avis et elle serait en outre de nature à atténuer leur sentiment d’insécurité linguistique, si néfaste à leur affirmation culturelle et politique. Espérons que nos dirigeants politiques sauront faire en sorte que cette réforme essentielle soit engagée dans les meilleurs délais.
Claude Simard, linguiste, professeur retraité de l’Université Laval
Les dérives de l'Office québécois de la langue française
Tribune libre
Claude Simard11 articles
Claude Simard, Professeur retraité de la faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
3 commentaires
Archives de Vigile Répondre
9 mars 2013Bonsoir,
J'ai travaillé 25 années à l'Office. En tout respect pour les opinions exprimées, je crois que l'on connaît mal l'Office 1) son mandat, ses orientations et son travail en francisation des milieux de travail depuis plus de 50 années, 2) la compétence, la créativité, la ténacité et la passion des professionnels de l'Office, linguistes et terminologues qui sont les auteurs du Grand dictionnaire terminologique (un ouvrage en réécriture constante internationalement reconnu dont l'envergure et la richesse en font le pus grand ouvrage de type lexicographique jamais produit au Québec) 3) le très délicat contexte sociolinguistique et politique dans lequel agit cet organisme voué à l'application de la Charte de la langue française.
Gaston Bergeron, linguiste
Co-auteur de l'Atlas linguistique de l'est du Canada
Co-auteur des Parlers français de Charlevoix, du Saguenay, du Lac-Saint-Jean et de la CÔte-Nord.
Archives de Vigile Répondre
3 mars 2013Le commentaire d'Alain Maronani est pour le moins déconcertant. De tout évidence, M. Maronani n'a rien, mais absolument rien compris au texte de M. Simard.
Alain Maronani Répondre
3 mars 2013"l’usage du français dans les commerces du centre-ville de Montréal (entre les employés comme dans les relations avec les clients)"
Totalement faux. Vous n'habitez pas Montréal...dans le centre ville je suis servi partout en francais, désolé, pas à Parc Extension, dans certains commerces, pas a Darcy McGee, et oui, je suis servi en francais a Westmount...
"Le recrutement et la formation de la main-d’œuvre dans les entreprises (enseigner le francais ?)."
Ce que les entreprises ne veulent pas faire...et ne feront pas...de toute facon. J'ai déjà, à de multiples reprises communiqué des listes d'entreprises qui ne feront rien à ce sujet...et qui ont les moyens de pressions nécessaires pour faire ce qu'elles veulent.
C'est simple et brutal. Les emplois ici, en travaillant en partie en anglais, ou pas d'emploi...
Faites donc des référendums chez;
CGI
Bombardier Aerospace
CAE
Matrox
SNC-Lavalin
Heroux-Devtek
etc...
Pour avoir une bonne idée regardez a www.jobboom.com (déjà un anglicisme), appartient maintenant a Quebecor, et cherchez pour certains secteurs, les postes pour lesquels l'anglais n'est pas demandé...bonne chance !!!
Vous êtes retraité, à Laval, et vous bénéficiez des avantages, retraites, etc, du système public.
C'est facile d'expliquez et de dire, aux gens qui doivent travailler à l'international et sont soumis à une compétition constante, salaires, performances, qualités des produits, ce qu'ils devraient faire et accepter...
De toute facon il y a une partie des résidents québécois qui n'accepteront jamais le fait de vivre en francais, nous le savons.
Je ne comprends pas cette référence "hexagonale" ou je la comprends trop...le francais est comme la majorité des langues un assemblage hétéroclite d'italien, d'arabe, de grec, d'espagnol, d'anglais, de latin, etc...pas différent dans l'hexagone ou en Belgique ou en Suisse. Les langues ne sont pas figées, elles évoluent librement, commissions de toponymie ou pas.
Pour l'OLF, la représentante syndicale des inspecteurs a répondu que les inspecteurs n'étaient pas là pour comprendre et interpréter..., mais pour appliquer la loi, tout un programme.