Le virus à venir et le retour à l’anormal

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Les erreurs sont la norme, pas l'exception


Dans les années 2000, nous nous sommes intéressés aux laboratoires militaires de recherche

biologique, au bioterrorisme et aux attaques bactériologiques (2). Nos lecteurs se souviennent

sûrement avec nostalgie du CRSSA, le Centre de recherche du service de santé des armées de

La Tronche, près de Grenoble, et des deux autres labos P3 de notre technopole, des attentats à l’anthrax commis à l’automne 2001 avec des souches issues du laboratoire militaire de Fort Detrick, du plan français Biotox, du programme russe Biopreparat à base de peste, de variole et de fièvres hémorragiques, du labo P4 hautement sécurisé de Mérieux à Lyon et de ses clones, conservant et manipulant virus et bactéries mortels.




Une possible fuite de virus d’un laboratoire chinois ces jours-ci nous ramène dans les

laboratoires biologiques. Délaissons cette fois les projets militaires, l’édition génétique à coups de ciseaux Crispr-Cas9 ou la biologie de synthèse et ses micro-organismes à l’ADN artificiel. Pour ce qu’on en sait ce 26 avril 2020, aucune de ces prouesses n’intervient dans l’épidémie de Covid-19 qui cloître la moitié des terriens. Ceux qui n’auront pas eu leur frisson d’épouvante se reporteront à nos enquêtes sur ces sujets (3).


Le Covid-19, ou SARS-CoV-2, s’est-il échappé d’un laboratoire chinois qui l’étudiait ?




« On ne peut pas écarter l’hypothèse que le SARS-CoV-2 provienne de leur collection et se soit échappé à la suite d’une contamination accidentelle, mais, à moins d’avoir accès à leurs cahiers de laboratoire, on n’en saura jamais rien (4)», répond Etienne Decroly, spécialiste des virus émergents au CNRS.




D’où l’euphémisme d’Emmanuel Macron dans le Financial Times : «Il y a manifestement des choses qui se sont passées qu’on ne sait pas».  Que peut-on savoir ? D’abord, le Covid-19 a les caractéristiques des virus de sa famille, y compris son originale animale – les chauves-souris (5).


Il n’a pas été fabriqué en laboratoire.


Le récit du gouvernement chinois sur l’origine de l’épidémie – un marché vendant des animaux sauvages en décembre 2019 – n’est qu’un nouveau mensonge d’une des dictatures les plus opaques du monde. Exemple : le nombre de condamnés exécutés chaque année (des milliers) y est « secret d’État».




Karine Lacombe, chef du service des maladies infectieuses de l’hôpital Saint-Antoine : « On pense que ça a commencé dès septembre 2019, pas en novembre ou décembre. (…) On pense qu’il y a eu plutôt 50 000 morts en Chine  (6).» La revue The Lancet a montré que le premier patient identifié le 1er décembre n’avait aucun lien avec le marché aux animaux – lequel ne vend pas de chauves-souris – tout comme 13 autres cas parmi les premiers identifiés. La Chine a mis son veto à la communication d’informations sur les origines du virus, et «des chercheurs et journalistes qui enquêtaient ont disparu (7)», rappelle le Washington Post.


L’actualité ne nous informe pas, l’histoire nous informe Histoire/enquête : le même mot en grec.


Comment nous avons armé la Chine.


Le premier SRAS (le grand frère du Covid-19) parti de la région du Guandong tue

800 personnes en 2003. L’OMS critique Pékin pour sa dissimulation de l’ampleur de

l’épidémie – le problème a été depuis réglé, la Chine ayant mis la main sur l’OMS.

Le premier ministre français, le sinocéphale Jean-Pierre Raffarin – devenu depuis le meilleur

agent de Xi Jinping – déclare depuis la Chine : «Contre les grandes pandémies, l’alliance de la

France et de la Chine est nécessaire (8)». Formule annonçant l’ouverture de l’Institut Pasteur de

Shangaï (inauguré par Chirac en octobre 2004 et consacré à la lutte contre les maladies

infectieuses émergentes), et la coopération française pour la construction du premier

laboratoire P4 chinois à Wuhan, en discussion depuis quelques années.


Malgré les réticences de responsables français craignant la fabrication d’armes biologiques, le

chantier démarre. Sans attendre la livraison, l’Académie des sciences médicales de Chine

commande dès 2004 cinq laboratoires P3 mobiles à Labover, une boîte de Montpellier (9).

Le P4 de Mérieux, piloté par l’Inserm, assure les transferts de technologies et la formation des

équipes chinoises à Lyon. Pourquoi la France transfère-t-elle des technologies dangereuses?


Pour des raisons sanitaires, afin d’«aider les Chinois à bloquer H7N9, H5N1, SRAS ou un

prochain coronavirus», explique un expert à l’AFP en 201410. Apparemment, il y a eu une

petite complication. Ensuite, pour rester dans la compétition mondiale. La santé, c’est la vitrine ; l’important, c’est

la guerre : si la France ne va pas à Wuhan, d’autres iront. Enfin, par naïveté. Selon le même

expert, les Français pensent que les Chinois respecteront l’accord : «L’accueil de Français à

Wuhan est de nature à rassurer sur ce qui s’y passe». Là aussi, il y a eu une petite

complication.


Avril 2013. François Hollande est en visite d’État en Chine. A ses côtés, la grenobloise

Geneviève Fioraso, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, ex-adjointe au maire techno-socialiste Michel Destot, issue comme lui du Commissariat à l’énergie atomique, tout comme son compagnon Stéphane Siebert, directeur du CEA-Grenoble.


La représentante du techno-gratin dauphinois signe avec ses homologues chinois 11 accords

de partenariat dans les domaines de l’enseignement, de la recherche et de l’innovation. Elle

assiste à la signature de protocoles d’accord entre l’Institut Pasteur de Shangaï et des

partenaires, dont BioMérieux, représenté par son patron Alain Mérieux (11).

Retour de politesse l’année suivante. Xi Jinping est en visite à Lyon. Laurent Fabius et

Geneviève Fioraso reçoivent le président chinois en compagnie d’Alain Mérieux. Fioraso

accueille aussi des experts franco-chinois pour « renforcer les partenariats » dans six

domaines privilégiés : «le développement durable, la chimie verte, la biodiversité et la

gestion de l’eau, les maladies infectieuses, les technologies numériques, et les villes

intelligentes (12)».


Nostalgie grenobloise. En décembre 2004, nous occupons avec quelques opposants aux

nanotechnologies une grue du chantier Minatec, « premier pôle européen de

nanotechnologies » en construction à Grenopolis. L’adjointe Fioraso nous répond dans la

presse. «[Elle reconnaît] les préoccupations légitimes que l’on peut avoir sur certaines

utilisations de la recherche, mais il vaut mieux développer cette recherche dans des

pays démocratiques : les développements se feront, mais en France, ils sont

encadrés (13)».




A Grenoble, nous appelons ça les «théorèmes de Fioraso». Celui-ci n’a rien d’original : il

reprend l’argumentaire de la bombe atomique démocratique plus propre et encadrée qu’une

bombe atomique nazie. Il n’a pas fallu dix ans et plus d’un poste de ministre pour voir l’éthique Fioraso se réjouir des

transferts de biotechnologies à la grande démocratie chinoise. Soyez certains que même

confinée par un coronavirus, la nouvelle responsable de l’Institut de recherche technologique

Saint-Exupéry de Toulouse n’éprouve ni regrets ni remords, et même plus sûrement, cette

fierté mêlée de morgue qui suinte des techno-furieux, grenoblois ou non.

Au fait, Fioraso est la marraine politique d’Olivier Véran, son ex-suppléant à l’Assemblée

nationale. On comprend mieux pourquoi le futur ministre de la Santé vantait les mérites de la

Chine en janvier 2020 :


«La Chine a pris ses responsabilités en mettant en place des mesures de

confinement et d’isolement très rapidement ». (…) Des propos polémiques

interprétés comme un soutien à la dictature communiste. Du pain béni en tout cas

pour le régime de Xi Jinping  (14)», selon Le Daubé.




Le 23 février 2017, le premier ministre Bernard Cazeneuve, se rend à Wuhan pour

l’accréditation officielle du laboratoire. Le directeur du P4 lyonnais, Hervé Raoul, annonce une coopération avec une cinquantaine de chercheurs français, sous l’égide de l’Inserm (15). Le

patron du labo de virologie lyonnais VirPath, Bruno Lina, se félicite de la disponibilité, à

Wuhan, de singes pour tester des vaccins (16) – sans les emmerdeurs de la cause animale. Si le

nom de Bruno Lina vous dit quelque chose, c’est normal : il fait partie du «conseil

scientifique» monté par Macron pour le guider dans la crise du Covid-19.

Cette ouverture n’enchante pas les Américains. Eux-mêmes construisent à tout va des

laboratoires de haute sécurité sur leur territoire, passant de 465 à 1295 entre 2001 et 2014. La

compétition avec la Chine s’accélère. Le biochimiste Richard Ebright, expert en biosécurité

de la Rutgers University (New Jersey), rappelle alors que «le SRAS s’est échappé de

laboratoires de haute sécurité de Pékin à de multiples reprises (17)».




Si le nom de Richard Ebright ne vous est pas étranger, c’est normal : il estime ces jours-ci qu’une fuite accidentelle de Covid-19 d’un labo de Wuhan est de l’ordre du possible. «Des preuves documentées indiquent qu’un projet sur les nouveaux virus de chauve-souris du Centre de prévention et de contrôle des maladies de Wuhan et de l’Institut de virologie, employait des standards de biosécurité et d’équipement de protection individuelle qui poseraient un haut risque d’infection pour le personnel du laboratoire (18)».




Inquiète, l’ambassade des Etats-Unis en Chine visite le laboratoire de Wuhan et envoie dès janvier 2018 des câbles alarmés au gouvernement américain. Les visiteurs font état de

manquements de sécurité, d’un nombre insuffisant de techniciens formés et recommandent de

fournir une assistance aux Chinois (19). Ça, c’est l’histoire racontée par le Washington Post en

ce mois d’avril 2020, qui donne le beau rôle à des Américains empêtrés dans le Covid-19

comme des amateurs. Voilà des câbles diplomatiques ressortis à point nommé, dans la guerre

froide sino-américaine. Qu’en est-il vraiment ? Demandez aux Chinois.


Ce storytelling en rappelle un autre, avec le général Colin Powell en vedette

américaine, brandissant devant l’ONU et les caméras des échantillons de supposées armes

biologiques irakiennes. C’était en février 2003, l’année du premier SRAS.

En ce même mois de janvier 2018, à l’occasion de sa visite d’État en Chine, Emmanuel

Macron signe avec Xi Jinping des accords de coopération. Leur déclaration commune

souligne : «la Chine et la France conduiront des recherches de pointe conjointes sur les

maladies infectieuses et émergentes, en s’appuyant sur le laboratoire P4 de Wuhan (20)».

C’est sous-estimer le partenaire. D’après un fonctionnaire français cité par le journaliste

Antoine Izambard dans son livre France Chine, les liaisons dangereuses (21) :

«Nous leur avons demandé ce qu’étaient devenus les P3 et ils nous ont répondu

que certains, situés dans une région proche de l’Himalaya, avaient gelé durant

l’hiver et que d’autres avaient disparu. C’était assez déroutant.»

Quant aux 50 chercheurs français attendus au P4 de Wuhan – cette coopération qui rassurait

tant lors de la signature de l’accord – ils ne sont jamais venus. Les Chinois font ce qu’ils

veulent, à l’abri des regards dans leur enceinte confinée.Ce que font les chercheurs à Wuhan (pour ce qu’on en sait)

Wuhan ne compte pas seulement un laboratoire P4, le Wuhan Institute of Virology (WIN). La

ville accueille aussi un laboratoire moins sécurisé, de niveau P2 : le Center for Disease

Control (CDC) – centre de contrôle et de protection des maladies. C’est celui-ci qui est

installé tout près du fameux marché aux animaux, et c’est lui, selon le Business Insider, qui

alerte l’OMS de cas de pneumonie grave le 31 décembre.




D’après un ancien chercheur du CDC, Botao Xiao, désormais à l’université de technologie de

Chine du sud, ce laboratoire dispose d’une animalerie avec des chauves-souris et l’un de ses

collègues, Tian Junhua, avait dû se mettre en quarantaine il y a quelques années après avoir

été contaminé par un animal. Quant à Richard Ebright, l’expert en biosécurité, il estime que le

niveau P2 n’assure pas la sécurité nécessaire pour travailler sur des coronavirus (22).




Comme dit Frédéric Tangy, de l’Institut Pasteur :

« Il suffit qu’un chercheur renverse un flacon. Malgré la hotte aspirante, un aérosol

se forme et il est infecté sans s’en rendre compte. À la fin de la journée, il quitte le

laboratoire, et contamine toute sa famille et ceux qu’il croise (23)».

Si un virus s’est échappé d’un laboratoire de Wuhan, c’est plus probablement du P2 du Center

for Disease Control que du P4 du Wuhan Institute of Virology (WIV). On ne le saura sans

doute jamais.




En revanche, on sait que le WIV, dans son enceinte P4, étudie de près ces virus issus de

chauve-souris. C’est lui qui a révélé le lien du Covid-19 avec ces animaux. Plus précisément,

c’est l’équipe de la chercheuse Shi Zhengli, celle qui a démontré que les coronavirus

pouvaient interagir avec un récepteur humain nommé ACE2, et donc contaminer les humains.

Mais ce qui a rendu Shi célèbre dès 2015, ce sont ses modifications génétiques de coronavirus

pour le rendre plus infectieux, selon la méthode dite des «gains de fonction». Tollé général à

l’époque.




«Ces manipulations présentent un risque important, car il y a toujours celui d’une

contamination accidentelle », estime Etienne Decroly (NdR : spécialiste des virus

émergents au CNRS). Selon lui, le seul fait de cultiver des virus dans des cellules

humaines ou de primates soulève des questions. « A la longue, ils peuvent s’adapter

et acquérir une infectiosité pour l’homme qu’ils n’avaient pas« , détaille le

scientifique (24)»


L’indignation n’empêche pas le Wuhan Institute of Virology de poursuivre ses travaux en

collaboration, notez, avec des équipes américaines de Boston, de Caroline du Nord,

d’Arkansas et des chercheurs de Zürich. Ces Docteurs Folamour modifient un virus de type

SRAS, le SHC014-CoV, pour tester sa contagiosité sur des rongeurs (25).


Les « Frankenvirus », ces virus augmentés, voilà une fierté de la recherche et la preuve qu’on

peut faire mieux que la nature. Il ne s’agit pas d’une spécialité chinoise. La compétition entre

chercheurs stimule l’innovation, comme nous le savons. Dès 2011, deux équipes ont lancé la

course, celle du virologue néerlandais Ron Fouchier et celle du Nippo-Américain Yoshihiro

Kawaoka. Les deux ont réussi l’exploit de faire muter le très dangereux virus de la grippe

aviaire H5N1, qui ne se transmet aux humains que par des oiseaux, pour le rendre contagieux

entre mammifères, donc entre humains. En voilà, un « gain de fonction ». Il suffit paraît-il de

cinq mutations pour que le virus devienne transmissible par l’air, comme la grippe. Un furet

qui éternue contamine ses potes. Les furets sont très proches des hommes du point de vue de

la sensibilité ORL.




S’en suit une controverse scientifique musclée, dans laquelle Bruno Lina – membre du

«conseil scientifique» spécial Covid-19 de Macron – défend les virus augmentés, au nom de

la recherche. L’horreur est un objet de curiosité scientifique comme un autre. Ce même Bruno

Lina avait utilisé le P4 de Lyon en 2009, lors de l’épidémie de H1N1, pour étudier «sa

capacité à se recombiner sous des formes plus virulentes (26)».




L’OMS, comme d’habitude, recommande une recherche « encadrée ». Finalement la revue

scientifique Nature publie en mai 2012 la recette de Kawaoka pour rendre H5N1 contagieux,

suivie en juin par sa concurrente Science avec les travaux de Fouchier. On espère que de

nombreuses équipes ont profité de cette ouverture des données. Comme nous le confirme un

spécialiste, «depuis les travaux de Ron Fouchier sur H5N1, il est clair que c’est devenu très

facilement faisable, sans même des techniques pointues de biologie moléculaire» Vive le

progrès. (sic)




Rappelons aussi l’évidence : toutes ces technologies son duales – civiles et militaires.



La guerre bactériologique se prépare dans les mêmes laboratoires que les vaccins. Nos chercheurs grenoblois du feu CRSSA ont rejoint l’un des deux labos militaires P4 de la région parisienne, afin de nous défendre contre une attaque biologique, et chacun comprend ce que signifie cette défense. Leurs homologues chinois – et tous les autres – font de même.



Si l’armée dissimule ? Jugez plutôt : en 2001, le médecin-chef du service de santé des armées

de Grenoble, Alain Jouan, était péremptoire à propos de la fabrication de «supervirus

manipulés» par ingénierie génétique : «La nature est parvenue au maximum de virulence, et

il est très difficile de l’accroître». Ce que nous commentions trois ans plus tard : «Et si

c’était faux ? Si ce spécialiste et ses congénères du Centre de recherches des services de santé

des armées étaient au contraire parfaitement capables d’accroître la virulence des supervirus

et superbactéries, nous le diraient-ils ? (27)».




En 2013, une nouvelle souche aviaire mortelle part de Chine : H7N9. Elle aussi se transmet

des poules aux hommes. Derechef, Kawaoka et Fouchier veulent la manipuler pour la rendre

transmissible entre humains (!?…)  A la fin de l’année, 56 scientifiques écrivent à la Commission

européenne pour l’alerter sur les risques de ces expériences, qui exposent l’humanité à la

possibilité d’une «pandémie véritablement catastrophique», selon l’épidémiologiste

d’Harvard Mark Lipsitch (28).




«Un tel monstre biologique pourrait bien, d’ores et déjà, sommeiller dans un congélateur de

l’université d’Erasmus d’Amsterdam ou de l’université du Wisconsin aux États-Unis (29)»,

relève, blasé, le journaliste du Monde.Lequel note un point intéressant : l’opposition dans cette controverse entre la «prudence» des médecins, épidémiologistes et spécialistes de santé publique, et la «témérité» (en fait, la

volonté de puissance) des virologues et autres biologistes moléculaires – à de rares exceptions

près : on en connaît (salut).


En somme, entre ceux qui considèrent les humains vivant dans leur biotope (devenu un

technotope), et ceux qui ont le nez dans le microscope. Cela nous rappelle une confidence du

biologiste Francis Hallé, explorateur de la canopée, il y a des années de ça. Une jeune

chercheuse l’avait consterné en prétendant étudier la maladie du sommeil transmise par la

mouche tsé-tsé, sans mettre les pieds en Afrique. A quoi bon, elle disséquait le génome de

l’insecte. On trouve ces jours-ci les mêmes querelles entre médecins et écologues d’un côté,

observateurs du terrain (le malade, les causes de l’épidémie, ses facteurs de dangerosité) et de

l’autre, chercheurs en génétique captivés par l’ARN du coronavirus et experts en algorithmes

de modélisation.


«Écoutez les scientifiques !», beuglent les porte-parole du virus. Mais

lesquels ?




On ignore quels monstres chimériques sommeillent dans les frigos des laboratoires de Wuhan.

Pour ce qu’on en sait ce 26 avril 2020, ce n’est pas l’un d’eux qui a déclenché l’épidémie

mondiale de Covid-19. Ses mutations de laboratoire se verraient, disent les biologistes. Quant

à la fuite accidentelle d’un SRAS non modifié, conservé pour étude en laboratoire, elle ne

surprendrait que ceux qui ignorent l’histoire.


L’évasion endémique des virus


Pour s’en tenir au XXIe siècle, la liste des accidents de « biosécurité » dans les laboratoires

manipulant des pathogènes dangereux est intéressante, comme disent les Chinois. Les

Américains sont mieux informés que les Européens de ce qu’ils nomment les «Laboratoryacquired

infections» et les «bio-incidents», grâce au Freedom of Information Act (une loi

qui facilite l’accès de la presse à ces informations). Ce qui les distingue de la Russie, de la

Chine, de la Corée du Nord, entre autres, où les informations sont bien confinées.

Pour ce qu’on sait, voici quelques épisodes de cette série à rebondissements.

En 2003-2004, le SRAS s’évade plusieurs fois de laboratoires à Singapour, Taïwan et Pékin (30).




A chaque fois, le facteur humain. Comme dit Hervé Raoul, patron du P4 de Lyon : «Le plus

difficile, c’est de conserver sa concentration », évoquant les « « dérives comportementales » qui

peuvent naître de la routine (31)».




En 2007, des souches de fièvre aphteuse s’échappent d’un laboratoire P4 anglais (32), sans doute

le laboratoire Merial (filiale de Merck et de Sanofi-Aventis), entraînant l’abattage de

troupeaux de bovins dans le Surrey. On ignore par où sont passées ces souches.

Le 29 avril 2012, un jeune microbiologiste meurt d’un méningocoque contracté dans le

laboratoire californien qui l’employait (33).Un rapport américain paru en janvier 2014 recense une douzaine d’infections accidentelles par des virus dangereux dans les laboratoires P3 américains, et 700 pertes ou évasions

d’agents infectieux entre 2004 et 2010 (34). Comme l’écrit le National Center for Biotechnology

Information, un centre d’information attaché aux instituts de santé américains, dans un article

alarmiste sur les évasions virales des laboratoires : «Ironiquement, ces laboratoires

travaillaient sur des pathogènes pour éviter précisément les épidémies qu’ils ont causées (35)».




On appelle ça des prophéties auto-réalisatrices.


Les scientifiques qui aiment jouer avec les chiffres estimaient en 2014 à 0,2 % par an et par

labo la probabilité d’un accident (36). Et la probabilité d’une pandémie grippale suite à une

évasion d’un laboratoire, entre 0,01 % et 0,1 % par an et par labo. Dix laboratoires travaillant

dix ans avaient donc une probabilité de 1 % à 10 % de provoquer une pandémie grippale (37). En

2019, le chiffre est passé à 0,3 % (38).


«Il y a par ailleurs, déjà eu des infections de laboratoires aux virus du SRAS, Ebola

et de Marburg dans différentes villes du monde, et même une poignée d’ »évasions »,

c’est-à-dire des contaminations en série hors laboratoire. En somme, la probabilité

d’accident est loin d’être négligeable, alors que les conséquences en seraient

vertigineuses (39)».




Exact, confirme le microbiologiste français Patrick Berche à l’occasion d’une péripétie – la

recréation dans un laboratoire américain du virus de la « grippe espagnole (40)» :

«Personne ne peut garantir à 100 % la sécurité de telles expériences. Dans les vingt

dernières années, il y a eu des dizaines d’incidents et d’accidents dans des

laboratoires de niveau P4 (41)».




Le même Patrick Berche alertait déjà en 2011, pointant

«le risque d’accidents de laboratoires, déjà survenus avec des virus comme ceux du

syndrome respiratoire aigü sévère (SRAS) ou de la grippe : « En 1936 un chercheur

britannique a contracté la grippe par les éternuements d’un furet sur lequel il menait

des expériences » (42)».




Le SRAS fait encore des siennes en ce mois de janvier 2014, quand 2349 échantillons du

virus « désactivé » disparaissent des étagères de l’Institut Pasteur. L’enquête n’a pas

déterminé ce qu’ils étaient devenus (43). Nul furet parmi les suspects.

C’est une souris en revanche qui fait suer de panique des chercheurs des Rocky Mountain

Laboratories (Montana) cette même année. En tenue de cosmonautes, ces héros de la Science

courent durant 24 heures derrière le rongeur qu’ils ont infecté avec le virus de Marburg, proche d’Ebola (44).

Hollywood n’en a pas (encore) fait un remake du Docteur Folamour.

Le 2 septembre 2014 à Rixensart, à 20 km de Bruxelles, 45 litres de solution vaccinale

contenant le virus de la polio rejoignent le réseau des eaux usées, la station d’épuration locale

puis la rivière voisine. Panne mécanique et maladresse humaine au sein de l’usine GSK, géant

de l’industrie pharmaceutique. Les Wallons se rassurent, ils sont vaccinés contre la polio (45).




Un mois plus tard, la Maison Blanche suspend les autorisations de travaux sur les

«Frankenvirus», ces virus augmentés, rendus plus dangereux en laboratoire (46). Motif :

«une succession de bévues en matière de biosécurité intervenues cet été dans les

deux institutions les plus éminentes de l’establishment américains des sciences de

la vie, les NIH et le Center for Disease Control (CDC). En l’espace de quelques

semaines ont en effet eu lieu une manipulation d’anthrax dans des conditions non

sécurisées qui a mis en danger 75 personnes, une contamination par un virus mortel

d’un flacon de virus grippal bénin expédié d’un laboratoire à un autre et enfin la

découverte au fond de congélateurs de flacons de variole, dont la possession est

interdite depuis trente ans par un traité international (47)».




En principe, Gaston Lagaffe ne peut pas être recruté dans un labo P4. En principe.

Le 3 septembre 2015, le secrétaire d’Etat américain à la défense annonce le gel des travaux de

quatre labos de recherche sur les armes biologiques, après la découverte de failles dans le

système de sécurité. Au printemps, des bacilles actifs d’anthrax ont été détectés dans des lots

supposés inactifs expédiés par le laboratoire militaire de Dugway (Utah). Des lots suspects

ont été retrouvés dans 194 laboratoires américains et dans 9 autres pays. Les concentrations

étant trop faibles pour une contamination humaine (48).




Nouvelle suspension des recherches durant l’été 2019, au laboratoire militaire de Fort Detrick

cette fois. Les orages du printemps 2018 ayant endommagé les installations de

décontamination des eaux usées du site, la sécurité n’était plus garantie pour ce laboratoire qui

manipule, comme on le sait depuis les attentats à l’anthrax de 2001, les pires pathogènes. Des

orages, pas des terroristes ni un tremblement de terre. Lors d’une inspection en juin 2018, les

autorités de protection avaient noté que les procédures n’étaient pas suivies de façon

satisfaisante. « Une combinaison de choses » a conduit à l’arrêt des activités, dit poétiquement

une porte-parole. Ah au fait, les recherches avaient déjà été suspendues à Fort Detrick en

2009, quand on s’était aperçu que le laboratoire militaire stockait des pathogènes non

référencés dans ses bases de données (49).




Ce qu’il faut retenir de cet échantillon de la vie quotidienne dans les laboratoires biologiques,

c’est que les virus en sortent comme d’un moulin. Plus il y a de labos, plus il y a d’accidents

de labo. L’évasion du Covid-19 serait tout sauf de la science-fiction.

La question, comme pour le nucléaire, n’est pas de savoir si une catastrophe biologique risque

de se produire. En réalité, la catastrophe est en cours. Le monde est intégralement contaminé par les radiations nucléaires (bombes atomiques, essais, accidents, rejets volontaires, déchets),

la dévastation de la biodiversité fait émerger les virus à un rythme accéléré, et l’explosion du

nombre de laboratoires les manipulant rend certaine leur dissémination.

Chaque fois qu’un technocrate nous chantonne, tel Kaa le serpent, «le risque-zéro-n’existe pas»,

souvenons-nous de ces évasions. Et de l’aveu du généticien Antoine Danchin : «En

virologie, l’accident n’est pas l’exception, mais la règle (50)».



Pièces et main d’oeuvre

Grenoble, le 26 avril 2020





NOTES



1 Le Monde, 5/05/12

2 Voir références en fin d’article.

3 Idem, ainsi que « Innovation scientifreak : la biologie de synthèse », F. Gaillard, in Sous le soleil de

l’innovation, rien que du nouveau ! (L’Echappée, 2013)

4 Le Monde 17/04/20

5 Cf. « The proximal origine of SARS-COV2 », Nature Medicine, avril 2020.


6 Le Daubé, 3/04/20

7 Washington Post, 14/04/20

8 AFP 2014, https://www.masantefacile.com/le-mag-sras-ebola-longue-marche-chine-vers-1erlaboratoire-

p4.php

9 Les Echos, 29/10/04

10 Idem


11 « Science et technologie en Chine », bulletin de l’ambassade de France en Chine, juin 2013

12 https://www.genevieve-fioraso.com/2014/03/27/visite-d’etat-du-president-de-la-republiquepopulaire-

de-chine/

13 Le Daubé, 14/12/2004

14 Le Daubé, 24/04/20


15 Cf. Science & Santé, revue de l’Inserm, n°36, mai-juin 2017

16 Nature, 23/02/17

17 Nature, 23/02/17

18 « Origine du coronavirus : « L’infection d’un employé de laboratoire de Wuhan est plus probable »,

lepoint.fr, 18/04/20

19 Washington Post, 14/04/20

20 french.china.org.cn, 18/04/18

21 Stock, 2019


22 Business Insider, 15/04/20

23 Le Monde, 22/04/20

24 Le Monde, 17/04/20

25 « A SARS-like cluster of circulating bat coronaviruses shows potential for human emergence »,

Nature medicine, déc. 2015.


26 Libération, 17/08/09

27 « Guerre bactériologique : Apibio n’est pas une entreprise d’apiculture biologique », 2004

28 Le Monde, 12/03/14

29 Idem


30 https://www.who.int/csr/don/archive/disease/severe_acute_respiratory_syndrome/en/

31 Le Monde, 6/06/09

32 Cf. Science & Santé, revue de l’Inserm, n°36, mai-juin 2017

33 Le Monde, 12/11/14


34 Le Monde, 12/11/14

35 « The Consequences of a Lab Escape of a Potential Pandemic Pathogen », 11/08/14, sur

https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4128296/#B11

36 Le Monde, 12/03/14

37 Le Monde, 7/01/15

38 Science & Vie, 5/09/19

39 Idem

40 50 millions de morts entre 1918 et 1919

41 Le Monde, 18/06/14

42 Le Monde, 8/12/11

43 Le Monde, 2/07/14


44 Le Monde, 12/11/14

45 Idem

46 sciencemag.org, 17/10/14

47 Le Monde, 22/10/14

48 Le Monde, 9/09/15

49 « Deadly germ research is shut down at Army lab over safety concerns », New York Times, 5/08/19


50 ?