Le patriotisme orthodoxe peut-il assurer à Poutine une participation honorable ?

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La Russie post-soviétique retourne à un conservatisme religieux

Assuré d’une large victoire (71,3 % des votants selon un sondage effectué récemment par l’institut Vitsom), le président russe Vladimir Poutine, qui s’apprête à briguer le 18 mars un quatrième mandat, est confronté à un ennemi sournois, difficile à cerner et encore plus à combattre : l’abstentionnisme. 


Conscient qu’une participation insuffisante aurait des conséquences sur sa crédibilité tant à l’intérieur du pays qu’à l’international, le locataire du Kremlin a eu l’idée de mettre un peu de piment dans la campagne en créant deux adversaires : les candidats Xenia Sobtchak puis Pavel Grudinin. Cette initiative a, un temps, redonné quelques couleurs à une campagne électorale bien terne. Mais l’intérêt est bien vite retombé… Reste une dernière solution : jouer à fond la carte du patriotisme orthodoxe en espérant que l’Église et ses fidèles inciteront les indécis à se rendre aux urnes.


Le président Poutine se projette en bon chrétien respectueux des traditions et ne dédaigne pas de payer de sa personne pour le prouver. Dans la nuit du 18 au 19 janvier, fête de l’Épiphanie selon le calendrier russe, le président, torse nu, entouré de popes et d’icônes comme le veut la tradition, s’est immergé trois fois en faisant le signe de la croix dans les eaux glacées du lac Seliger situé au nord-est de Moscou. La scène retransmise par tous les grands médias a fait l’objet sur les réseaux sociaux de commentaires souvent ironiques. 


Mais c’est son interview à la chaîne Russia 1, quelque temps auparavant, qui a littéralement enflammé la Toile. Le président russe y a comparé la momie du père de la révolution d’octobre aux reliques des saints. « L’idéologie communiste est issue des postulats de la religion. (…) Tenez, on a mis Lénine dans un mausolée. En quoi cela diffère-t-il des reliques des saints orthodoxes, et même des saints chrétiens, tout simplement ? » s’interroge Vladimir Poutine, provoquant des commentaires outrés tant sur Facebook que sur Twitter.


Seul le secrétaire général du Parti communiste, Guennadi Ziouganov, s’est félicité publiquement des propos du chef de l’État. Quant à la hiérarchie orthodoxe, qui n’a pas bronché après les déclarations de M. Poutine, elle ne perd pas une occasion pour rappeler au pouvoir laïc qu’elle est la seule détentrice des valeurs traditionnelles.


Une nouvelle « symphonie byzantine » 


Lors de l’assemblée interépiscopale qui s’est tenue courant janvier à Moscou, le patriarche Kirill, répondant à l’allocution de Dimitri Medvedev qui comparait les relations entre l’Église et l’État à « la symphonie byzantine », avait rappelé au chef du gouvernement que l’Église est « l’unique descendante légitime de l’Empire russe et en même temps le dernier rempart du monde russe ».


C’est le président Boris Eltsine qui avait initialisé le rapprochement avec l’Église pour combler le vide abyssal laissé dans la société russe par l’effondrement du communisme, vide qui se traduisait par une flambée des maux de la société et de la criminalité. Au cours de ses deux premiers mandats présidentielles et de mandat de Premier ministre, Vladimir Poutine a continué prudemment sur la lancée de son prédécesseur. 


C’est en 2012 qu’un tournant a eu lieu. Échaudé par les manifestations de masse inspirées par les printemps arabes, Vladimir Poutine, qui vient tout juste d’être réélu, décide de s’appuyer plus résolument sur les valeurs traditionnelles portées par l’orthodoxie en renforçant le rôle de l’Église dans la société. L’Église orthodoxe qui n’attendait qu’un feu vert s’engouffre dans la brèche. Elle investit l’école, l’armée, les hôpitaux, les maisons de retraite. Les prêtres sont de toutes les manifestations officielles : ils bénissent les fusées, les nouveaux centres commerciaux, les nouvelles autoroutes. Les fonctionnaires et les hommes d’affaires mariés civilement s’empressent non seulement de faire bénir leur union mais de le faire savoir. Par ailleurs, l’Église entre dans les maisons pour imposer la morale chrétienne dans la vie privée. Enfin, récemment, elle s’attaque à l’art tentant de faire interdire les productions artistiques non conformes aux valeurs chrétiennes.


Reste à se demander si le patriotisme orthodoxe peut avoir un impact sur le comportement électoral de la population. Pour le chercheur Fédor Krachennikov, rien n’est moins sûr : « Certes les couches populaires peu éduquées sont fortement conservatrices, mais cela ne signifie pas qu’elles sont réellement croyantes et encore moins pratiquantes. » Et de rappeler qu’en 2017, sur les 147,7 millions d’habitants que compte la Russie, seulement 4,3 millions ont assisté à l’office de Pâques.