Le parti de la peur

Tribune libre

Le peuple a parlé. Pauline Marois est élue et Jean Charest vient d'annoncer sa démission. Pour la première fois, une femme dirigera le Québec, deux chefs de parti sur quatre à l'Assemblée nationale seront de sexe féminin, et un jeune homme de 20 ans siègera parmi les élus. Un parti fondé il y a à peine 9 mois, la Coalition de François Legault, a même réussit à faire élire 19 députés un peu partout dans la province. Il n'en faillait pas plus pour que certains parlent d'un paysage politique québécois nouveau, changé, rajeunit. On a même entendu des gens dire que les Québécois ont finalement mis leur point sur la table! Vraiment?
Le gouvernement facilement le plus usé depuis Maurice Duplessis peut se flatter d'avoir sauvé et les meubles, et la maison! Le Parti libéral a non seulement réussit à se maintenir à l'opposition officielle, mais il est parvenu contre toute attente à faire élire 50 députés. Il a réussit à aller chercher 31% du vote populaire! Jean Charest avait bien raison de dire qu'il a encore une fois fait mentir tous les sondeurs. La recette? D'abord, un vote anglophone et allophone assuré, année après année, mandat après mandat. Et dans des proportions digne des régimes totalitaires: dans Jacques Cartier, le candidat libéral l'a emporté avec 73% des voix. Dans D'Arcy-McGee , c'est 85% des électeurs qui ont voté PLQ! Évidemment, il s'agit de circonscriptions où moins du quart de la population est francophone... C'est quand même paradoxal quand on se souvient de toutes les fois où les Canadiens-français ont été accusés d'avoir une mentalité de troupeau. Allez trouver une circonscription francophone où l'appui à un candidat dépasse les 75%!
Vrai: des centaines de milliers de francophones ont aussi voté libéral. Malgré les scandales, malgré la mafia, malgré la collusion et la corruption. Aucun gouvernement n'est parfait mais le parti de Jean Charest a quand même repoussé les limites pour ceux qui tiennent à exercer leur capacité de pardonner. C'est troublant. Presqu'incompréhensible, pour qui considère l'être humain fondamentalement bon. Ça l'est moins pour qui le considère foncièrement égoïste.
Mais, et la CAQ? C'est du nouveau ça? Parlons-en de la Coalition. François Legault est un politicien de carrière qui n'a rien d'un modèle de sang neuf. Il a siégé plus de dix ans comme député. Sans compter que la moitié de son équipe parlementaire a simplement retourné sa veste pour obtenir sa carte de membre. Adéquiste convertis? Péquistes déçus? Ça suffit! Faut que ça change! Et les idées? Réduction du fardeau fiscal des entreprises? Moins d'impôts pour les contribuables? Réduction de la taille de l'État? C'est du nouveau ça? Non seulement le discours est un verre d'oreille tellement on le chante partout sur la planète, mais il domine l'Assemblée nationale depuis Lucien Bouchard.
Non. Le véritable vainqueur de ces élections ce n'est pas le parti québécois, et encore moins le changement: c'est le parti de la peur. La peur appuyée aux bras de l'opportunisme et, disons-le, de l'ignorance. Une veine bien exploitée par les partis durant la campagne. Et à ce niveau, Jean Charest récolte la palme, en brandissant le référendum et la rue comme deux cavaliers de l'Apocalypse. Les médias ont pris le relais, et hop! Pauline Marois a dû se défendre jusqu'au 4 septembre de vouloir commettre ce qui semblait presque un crime: donner la parole à la population en lui demandant, à travers un référendum, ce qu'elle souhaite pour son avenir.
C'est facile de commenter des élections comme une partie de hockey. Bien des analystes en ont fait une spécialité. C'est encore plus facile de se faire croire que les Québécois se sont comportés en bons citoyens raisonnables. Mais 50 députés libéraux à l'Assemblée nationale, après 9 ans de gouvernement marqué par tant de scandales qu'on ne les compte plus, c'est tout sauf un témoignage de bon sens. Pire: on serait tenté de donner raison à Baudelaire lorsqu'il disait que la démocratie est la tyrannie des imbéciles!
Reste que tous les partis n'avaient qu'un mot en bouche durant les élections: le changement. Et ils ont été des masses à se joindre à la danse. Oui, faut que ça change! Non, ça plus de bon sens! Combien de fois avez vous entendu votre oncle répéter que les politiciens sont tous pareils? Qu'il est temps de faire le ménage? Et combien de faiseurs d'opinion ont parlé du désenchantement du peuple face à sa classe politique?
Des mois de sainte colère et regardez le résultat: le PQ formera un gouvernement minoritaire, le PLQ sera à l'opposition avec 4 députés de moins et la CAQ - héritière légitime de l'ADQ- aura la balance du pouvoir. Québec Solidaire? Deux députés malgré une performance historique de Françoise David au débat des chef. 3 mois de casseroles pour ça?
Sans la peur, sans l'opportunisme et sans l'ignorance, le paysage politique serait cette fois complètement différent au Québec. Les politiciens de carrière ne mentaient pas durant la campagne électorale lorsqu'ils se pavanaient en parlant du désir de changement des Québécois. Mais pour la plupart d'entre eux, c'est bien la dernière chose qu'ils veulent voir, un véritable changement. Le système actuel, où ils s'échangent gentiment le pouvoir, se renvoient l'ascenseur, travaillent dans les mêmes conseils d'administration d'entreprise et reçoivent les mêmes dons des mêmes corporations, ce système là, il leur convient parfaitement.
Un véritable changement, sans peur, aurait été l'élection d'un nouveau parti à l'opposition officielle. Au moins 2 députés d'Option nationale; 15 de Québec solidaire. Suffit la complaisance! Sans la peur, la filature d'Eddy Brandone ne se serait jamais terminée, et Antonio Accurso se serait déjà expliqué au juge. Et oui, sans la peur, les Québécois et les Québécoises n'auraient jamais accepté que Jean Charest les regarde dans les yeux et leur dise pendant 3 ans, sans sourciller, que le Québec n'a pas besoin d'une commission d'enquête.
Celles et ceux qui rêvent d'autre chose pour le Québec devront revoir leur stratégie. Il leur faudra aller plus loin; être plus audacieux. Leur adversaire est terriblement efficace: il connaît le talon d'Achille du peuple -la peur- et il ne se gêne pas pour le frapper. La force des conservateurs et de la droite en général repose d'ailleurs en grande partie sur cette faiblesse des électeurs.
Hélas, en démocratie, ce ne sont pas les plus valeureux qui ont le dernier mot dans l'isoloir. C'est pourtant là que se joue l'avenir du pays.


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5 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    12 septembre 2012

    J'ajouterais que la solution se trouve dans ce que proposait le regretté syndicaliste Michel Chartrand, c'est à dire un revenu de citoyenneté universel et inconditionnel afin que tous les Québécois sans exception puissent vivre décemment et heureux au Québec.

  • Archives de Vigile Répondre

    12 septembre 2012

    "Ça l’est moins pour qui le considère foncièrement égoïste."
    Vous avez trouvé la réponse.
    Le PLQ est le parti des anglophones et des allophones. Et il est le parti des francophones "satisfaits" et "heureux" de la société, c’est à dire de ces francophones qui font partie des classes plus aisées.
    Plus tu penses à défendre tes acquis personnels, ton statut social personnel et ta "belle vie" personnelle, plus tu es porté à voter PLQ; et moins tu es porté à voter pour un projet de société quelconque ou pour améliorer la vie d’un autre de tes concitoyens.

  • Pierre Cloutier Répondre

    12 septembre 2012

    Comme je le dis souvent : la peur et l'ignorance sont les deux mamelles de toute forme de dictature, y compris les dictatures douces comme les sociétés occidentales.
    Le vrai changement se résume en deux mots simples : indépendance et démocratie exemplaire!
    Et la démocratie ce n'est pas nécessairement l'élection. C'est beaucoup plus que cela. C'est la possibilité pour les citoyens de participer directement aux décisions qui les concernent grâce aux nouveaux outils de la démocratie participative (jurys et forums citoyens décisionnels, chambre citoyenne tirée au sort pour des mandats courts et non renouvelables) et ceux de la démocratie directe (référendum d'initiative populaire, législatif, abrogatoire (contre une loi injuste), révocatoire (contre un politicien professionnel corrompu) et constitutionnel (adoption et modification de la constitution).
    Tous ces outils ont comme but de favoriser les débats et plus on favorise les débats, plus on fait reculer l'ignorance et la peur qu'elle engendre.
    On n'est pas sortis du bois, mes amis.
    Pierre Cloutier ll.m
    avocat à la retraite

  • Stefan Allinger Répondre

    12 septembre 2012


    Wow, vous me faites du bien ce matin. Très beau billet bien écrit.
    La peur, maudite peur, criss de peur, la peur d'avoir peur, la peur de l'autre, la peur du pas pareil.
    Stefan Allinger

  • Archives de Vigile Répondre

    12 septembre 2012

    Parlant de démocratie, il faudra bien reconnaître que notre système électoral uninominal à un tour fait aussi très bien l’affaire de ces vieux partis qui, grâce à lui, sont assurés de s’alterner tout les neuf ans. Le rôle joué par la peur serait aussi moins déterminant dans les résultats obtenus si les journalistes avaient été en mesure de faire leur travail librement. Mais tous les initiés savent que le système de concentration médiatique au Québec comme au Canada empêche la diversité politique de s’exprimer. Nous l’avons tous vu avec l’exclusion de Jean-Martin Aussant et de QS du débat des chefs. Le scandale vient de là. J’interpelle chacun de vous personnellement, ici, chers(res) lecteurs(trices) de Vigile. Combien de temps allez-vous encore accepter cette situation et de vivre dans cette démocratie souillée ? Le vrai combat, c’est celui-là ! Sans notre engagement dans cette bataille, nous continuerons à courir après notre queue indéfiniment.