Bernard GENSANE- Dans le numéro de novembre 2010 du Monde Diplomatique, Serge Halimi salue « le réveil français » : « Jamais la France n’a connu semblables manifestations depuis quarante ans. La personnalité de M. Nicolas Sarkozy, son arrogance, son souci d’écraser l’« adversaire » ont permis que se rassemble contre lui un très large front. Mais la houle et les foules ne sont pas enfantées par les foucades d’un homme. Elles répondent à un choix de civilisation injuste opéré, au prétexte de la crise financière, par des gouvernements européens dont la palette partisane va de la droite décomplexée à la gauche qui capitule. En Italie, M. Silvio Berlusconi ne fait ni davantage ni pire que les socialistes Georges Papandréou en Grèce ou José Luis Zapatero en Espagne. Tous mettent en danger les services publics et la sécurité sociale. Tous, pour complaire à des agences de notation, prétendent faire payer aux salariés ce qu’a coûté au pays le saccage perpétré par les banques. Lesquelles continuent de se repaître, préservées de toute obligation de se montrer « courageuses » et solidaires des générations à venir.
Ce n’est pas « la rue » qui s’ébranle, c’est le peuple français qui remonte en scène. Aucune légitimité des gouvernants ne saurait être opposée à sa protestation. L’Assemblée nationale a été élue dans la foulée d’une campagne présidentielle au cours de laquelle M. Sarkozy a dissimulé ses intentions relatives à une réforme des pensions, présentée après coup comme le « marqueur » de son quinquennat. « Le droit à la retraite à 60 ans doit demeurer », proclamait-il quatre mois avant d’être élu. Un an plus tard, évoquant l’éventuel report de ce droit, le nouveau président de la République insista : « Je ne le ferai pas (...). Ce n’est pas un engagement que j’ai pris devant les Français. Je n’ai donc pas de mandat pour faire cela. Et ça compte, vous savez, pour moi. » Déjà gouvernés par un traité constitutionnel européen qu’ils ont rejeté massivement par référendum et que les élus de droite (épaulés par quelques socialistes) ont alors imposé par voie parlementaire, les Français manifestent également contre l’autoritarisme méprisant du pouvoir.
Les jeunes ont compris ce qui les attend. À mesure que le capitalisme enchaîne les crises, il durcit sa logique. Pour qu’il tienne, la société doit craquer davantage : évaluations permanentes, concurrence entre les salariés, fatigue au travail (lire « “Métro, boulot, tombeau” »). La dernière mouture du rapport Attali recommande désormais le gel du salaire des fonctionnaires jusqu’en 2013, le transfert sur les malades d’une partie de la charge financière des affections de longue durée (cancer, diabète), le relèvement du taux de la TVA ; le tout bien sûr en conservant le « bouclier fiscal ». « Nous avons devant nous dix ans de rigueur », a promis avec gourmandise l’ancien conseiller spécial de François Mitterrand, qu’à coup sûr la rigueur épargnera. »
Une réflexion marxiste de Slavoj Zizek qui donne quelques pistes pour « sortir de la nasse » : « À Madrid, Athènes, Bucarest ou Paris, la colère populaire témoigne d’une exaspération sociale, d’un profond désir de changement. Manquent encore la stratégie politique permettant de le faire aboutir et l’espérance qu’il adviendra. Faut-il prendre le risque de laisser passer l’occasion au motif que les conditions de sa réalisation n’existent pas encore ? Ou faire le pari que parfois « l’impossible arrive » ? Les mouvements de protestation qui déferlent en Europe cette année contre les politiques d’austérité – en Grèce et en France, mais aussi, dans une moindre mesure, en Irlande, en Italie, en Espagne – ont donné le jour à deux fictions. La première, forgée par le pouvoir et les médias, repose sur une dépolitisation de la crise : les mesures de restriction budgétaire édictées par les gouvernements sont mises en scène non comme un choix politique, mais comme une réponse technique à des impératifs financiers. La morale, c’est que si nous voulons que l’économie se stabilise, nous devons nous serrer la ceinture. L’autre histoire, celle des grévistes et des manifestants, postule que les mesures d’austérité ne constituent qu’un outil aux mains du capital pour démanteler les derniers vestiges de l’Etat-providence. Dans un cas, le Fonds monétaire international (FMI) apparaît comme un arbitre ayant à cœur de faire respecter l’ordre et la discipline ; dans l’autre, il joue encore une fois son rôle de supplétif de la finance mondialisée.
Anne Gervais et André Grimaldi expliquent pourquoi l’hôpital public en France est aujourd’hui « à vendre » : « Le cri d’alerte est venu du professeur Bernard Debré [qui se situe pourtant à la droite de la droite : on n’est pas pour rien le fils d’un chantre de l’Algérie française] : “ C’est l’hôpital public qu’on assassine ”, a-t-il lancé. […] Il a suffit d’un arrêt de travail de trois infirmières pour que l’hôpital Tenon soit contraint de fermer son service des urgences pendant tout un week-end. […] La politique du gouvernement vise à mettre progressivement les hôpitaux en déficit pour les obliger à supprimer des emplois, quitte à diminuer leur activité au profit des cliniques commerciales – lesquelles sont jugées moins coûteuses pour la Sécurité sociale, même si elles le sont beaucoup plus pour les patients (en 2007, les ménages payaient de leur poche 400 millions d’euros de dépassement d’honoraires dans les cliniques privées). […] En Allemagne, les CHU de Hambourg et Marburg oint été vendus au privé. Chez nous il est prévu l’introduction de cliniques commerciales dans les hôpitaux. Jean-François Copé, [fils d’un grand proctologue qui a fait toute sa carrière dans le public avant de devenir comédien professionnel] réclame la fin du monopole de la Sécurité sociale. »
Au Québec, nous dit Benoît Bréville, « La révolution tranquille n’a pas eu lieu » : « Comme nombre de pays subissant la domination de leurs voisins ou de puissances impérialistes, le Québec a tenté d’associer nationalisme et transformation sociale. Cette Révolution tranquille, qui ne se fit pas dans la rue mais dans les bureaux, a débuté il y a tout juste cinquante ans. Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? »
Isabelle Saint-Mézard s’intéresse à l’alliance insolite entre l’Inde et Israël : « Les deux capitales ont tissé un réseau dense de relations, notamment dans le domaine militaire. New Delhi étant par ailleurs un partenaire important de Téhéran. »
Pour Michel Galy, la Côte d’Ivoire semble sur la bonne voie : « Si le vote pour l’élection présidentielle ne signifie pas que tous les problèmes sont résolus, il ouvre la voie à une consolidation du régime et de la démocratie. »
« Mais où est passée l’Égypte », demande Sophie Pommier ? « Condamnées à ressembler aux précédentes – fraude massive et reconduction de la confortable majorité du Parti national démocratique du président Moubarak –, les élections législatives égyptiennes de l’automne 2010 ne consolideront pas la légitimité du pouvoir. Pour y parvenir, M. Moubarak entend réaffirmer la place du Caire sur la scène régionale. »
« Emirates veut faire redécoller Dubaï » (Jean-Pierre Séréni) : « La compagnie Emirates a inauguré une liaison aérienne directe entre Dubaï et Dakar. La Sénégal est ainsi devenu la 19è destination africaine de la compagnie, qui dessert déjà plus de soixante pays. À l’heure où l’émirat traverse une grave crise financière, Emirates, qui vient de commander 62 longs courriers gros-porteurs pour vingt milliards de dollars, sera-t-il le remède miracle permettant d’en sortir ? »
Christophe Ventura explique comment les immigrés en Calabre sont dans « les rets de la mafia » : « Avec l’arrivée de la saison agricole, la petite ville italienne de Rosarno se prépare à celle des travailleurs saisonniers. Ceux-là même que les émeutes de janvier 2010 avaient chassé de la ville. Les médias avaient alors dénoncé le racisme de la population. Mais il y d’autres raisons à cette violence. À noter que 95% des ouvriers sont recrutés de manière irrégulière, qu’ils perçoivent comme salaire la moitié de ce que perçoit un travailleur régulier local.
« Cinq Cubains à la Une », un article sur une bien sombre histoire : « Si l’influence des mafias sur la vie politique n’échappe plus à personne, le procès de cinq agents cubains infiltrés dans les milieux de l’exil anticastriste aux États-Unis illustre leur emprise dans un autre domaine : la justice ».
Deux articles passionnants sur les délires de la droite américaine par Walter Benn Michaels et Robert Zaretski. Pour ces dingues, Obama est un musulman socialiste et des Mexicaines vont mettre au monde leurs enfants aux Etats-Unis, pour qu’ils deviennent des agents dormants qui, ensuite, sèmeront le chaos. Janice Brewer, gouverneur de l’Arizona, affirme que des Mexicains décapitent de bons étatsuniens dans le désert. Quant au chanteur Kinky Friedman, il déclare désormais vouloir voter pour un chien car il n’y a pas d’autre choix (normal pour un hurluberlu qui s’est choisi un prénom pareil).
Moi qui ne connaissais pas l’existence des Terres rares (rare Earths), j’ai été passionné par l’article d’Olivier Zajec « Comment la Chine a gagné la bataille des métaux stratégiques » : Des métaux indispensables à la fabrication des appareils de haute technologie – les « terres rares » –, une production mondiale dominée par la Chine, une restriction des exportations : le « grand jeu » géopolitique commence. Pour asseoir son contrôle sur ces minéraux stratégiques, la Chine a mis en œuvre ce que le capitalisme occidental rejette : une politique industrielle de long terme. On attendait plutôt les exploitations à ciel ouvert de Mongolie-Intérieure, ou les mines profondes du bush australien. Mais c’est en plein cœur des brouillards de la mer de Chine orientale que la problématique des « terres rares », ces métaux à haute valeur ajoutée technologique, a une fois de plus émergé dans l’actualité. Le 7 septembre 2010, un chalutier chinois, hasardant ses filets dans les eaux territoriales japonaises, est cerné par les garde-côtes. Il tente de fuir, et ce faisant éperonne un bâtiment militaire nippon. L’équipage est arrêté. L’incident se déroule non loin de l’archipel des Senkaku (Diaoyu pour les Chinois). Éparpillées à cent soixante-dix kilomètres au nord-est de Taïwan, ces huit îles presque désertes appartiennent à Tokyo, mais Pékin en revendique la souveraineté depuis les années 1970. Revendications autrefois émises recto tono, mais qui s’affirment désormais avec plus d’âpreté, reflétant l’évolution progressive du rapport de force entre une Chine en ascension, à l’étroit dans ses eaux peu profondes, et un Japon sur la défensive. »
Wendy Kristiansen raconte la lutte des musulmans contre les islamistes en IndonésiE : « Début octobre, la police indonésienne a tué cinq membres présumés d’un réseau terroriste à Sumatra. Toutefois, la menace islamiste serait en recul – à la satisfaction des organisations musulmanes qui craignent l’amalgame. De fait, l’Indonésie est plus connue pour ses attentats que pour son élection présidentielle au suffrage universel. »
Excellent article de Danile Linhart (« Métro, boulot, tombeau ») sur l’horreur de la condition ouvrière, et plus généralement salariale, en France, aujourd’hui : la classe dirigeante « détruit les institutions fondées pour rendre vivables nos sociétés. […] Pour asseoir son autorité et tenter de placer les salariés en situation d’auto-exploitation, le management moderne pratique la déstabilisation systématique. Il s’emploie à créer un climat hostile : les travailleurs ne doivent pas se sentir chez eux dans l’entreprise [on se souvient de l’ânerie rocardienne ou aubryenne de l’entreprise « citoyenne », la pédagogie, déjà] ; ils ne doivent pas se trouver en situation de maîtriser leur travail. […] Plus de la moitié des Français répondent aux sondeurs qu’ils redoutent de se retrouver un jour sans domicile fixe. »
Dany Lang et Gilles Raveau reviennent sur l’attribution du (faux) Prix Nobel d’économie par la Banque de Suède : « Les lauréats ont déployé toute la sophistication théorique de la science économique pour démontrer … qu’il n’est pas si facile de trouver un emploi. »
Pierre Grimbert explique comment, à l’occasion du mouvement contre la casse du système de retraites, « la question de la dégradation de s’information s’est invitée sur le terrain politique. »
Enfin, Ignacio Ramonet retrace l’évolution politique de Vargas LLosa, de Castro et de la nécessité de la lutte armée à Thatcher, Reagan, Aznar (« l’un des plus grands hommes d’État de l’histoire » selon le Prix Nobel de littérature, alors que le désormais employé de Murdoch fut sûrement l’un des plus médiocres), Sarkozy et Berlusconi.
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