Le défi de la réciprocité

2e Conférence internationale sur l'État social comme acteur de transformation



La solidarité internationale s'est développée entre les sociétés civiles du Nord et du Sud au cours des dernières décennies. L'évolution de la conjoncture générale pose cependant des défis de taille aux organisations de coopération internationale (OCI) et à leurs partenaires du Sud. Le nouvel Agenda international de l'efficacité de l'aide (AIEA) défini par la Déclaration de Paris (2005) indique un changement de priorité. Comme le souligne l'Association québécoise des organisations de coopération internationale (AQOCI), l'évolution des politiques canadiennes en fonction de cet Agenda constitue désormais un environnement difficile pour la coopération entre communautés du Nord et du Sud.
Solidarité Nord-Sud
Partout dans le monde, des initiatives misant sur le mouvement des travailleurs, le mouvement coopératif, les organisations paysannes et les entreprises collectives sont en voie de renouveler le développement des communautés. Plusieurs de ces expériences de mobilisation sociale et de solidarité territoriale se sont donné un volet international. Un mouvement citoyen international émerge et revendique une mondialisation qui ne soit pas celle proposée par le néolibéralisme. Selon le mot d'ordre des Forums sociaux mondiaux (FSM), un autre monde est possible.
De nouveaux acteurs
L'influence décisive demeure certes entre les mains des multinationales, des grandes organisations internationales et des États du Nord. Cependant, la solidarité internationale a changé avec l'émergence de nouveaux acteurs. Les ONG et les associations, mais aussi des gouvernements locaux, des diasporas, des organisations paysannes, des syndicats de travailleurs, des coopératives ont développé des formules de coopération de proximité particulièrement favorables à l'arrimage entre enjeux sociaux et enjeux économiques.
Dans le cadre d'un resserrement important de leurs budgets, les gouvernements du Nord ont ouvert, depuis deux décennies déjà, une brèche dans la coopération interétatique, ont misé sur ces initiatives et utilisé leur capacité de mobilisation et leur expertise. En encourageant, dans les pays du Sud, la décentralisation en direction des communes et des régions, la Banque mondiale s'est retrouvée, un peu malgré elle, à créer des espaces favorables. Les OCI ont saisi la balle au bond.
De son côté, la Fédération canadienne des municipalités s'est dotée d'un programme international financé par l'ACDI pour soutenir le jumelage entre villes et villages du Nord et du Sud. Puis, la Société de coopération pour le développement international (SOCODEVI) est née en 1985 d'une entente entre diverses fédérations du mouvement coopératif pour développer des projets de coopération au Sud.
Le Mouvement Desjardins avait déjà au début des années 1970 créé Développement international Desjardins (DID). L'Union des producteurs agricoles (UPA) a créé UPA Développement International (UPA-DI) au début des années 1990 et finance avec l'ACDI des projets dans le Sud. La CSN et la FTQ, membres de la nouvelle Confédération syndicale internationale (CSI), participent à divers programmes de solidarité internationale, surtout au sein de la francophonie syndicale du Sud grâce aussi à ce financement conjoint. Enfin, Développement et Paix, qui existe depuis plus de 40 ans, s'emploie au renforcement de ses 200 partenaires en Asie, en Afrique et en Amérique latine en favorisant leur réseautage, afin que ces groupes du Sud soient les acteurs de leur propre développement.
Le nouvel agenda international des États
La Déclaration de Paris marque un virage majeur. Alors que l'approche de développement des ONG se mesure à l'amélioration de la qualité de vie et aux pratiques de démocratie participative, l'AIEA relève d'une approche gestionnaire qui mise sur la croissance économique et la gouvernance en centrant son regard sur des questions techniques liées aux institutions et outils du développement, tendant ainsi à éviter le débat éminemment politique sur des questions fondamentales de contenu, c'est-à-dire du genre de société que les programmes de développement devraient favoriser.
Si les orientations annoncées se confirment, dès 2010 les deux tiers plutôt que les 20 % actuels de l'aide publique au développement du Canada transiteraient par des programmes inspirés de cette approche. Les fonds destinés aux programmes de coopération subiront un déplacement massif à moins que les pressions des OCI canadiennes ne permettent de bloquer le processus. L'apport des organisations de la société civile du Nord et le soutien au renforcement de la société civile au Sud s'en trouveraient marginalisés au profit d'engagements de gouvernement à gouvernement et de projets sous-traités au secteur privé.
On note déjà un fléchissement des ressources destinées aux projets dont le potentiel d'innovation est pourtant reconnu. La rigidité de ces programmes affaiblirait la capacité des OCI et générerait de la compétition pour des ressources déjà trop maigres. Nombreux sont ceux qui plaident pour qu'une politique d'aide publique internationale à la hauteur des principes déjà reconnus par les pays du Nord soit mise en place.
La philanthropie
La mondialisation néolibérale s'accorde bien aussi avec la philanthropie pratiquée par les grandes fondations. Cela bouleverse non seulement les politiques sociales au Nord, mais aussi l'aide dans des secteurs aussi névralgiques que la santé, l'agriculture ou l'environnement. Les sommes en jeu sont colossales. À titre d'illustration, la Fondation Gates dispose de 68 milliards dont les intérêts annuels pour la seule année 2007, soit 2,8 milliards, ont été plus élevés que les deux milliards dont disposait l'ONU durant la même période pour sa Corporation du Millénaire.
Une poignée d'individus issus du milieu des affaires s'arroge la liberté de définir les priorités sociales. Même au nom du pragmatisme, on ne saurait considérer du même oeil les initiatives d'individus éclairés qui ne sont redevables qu'à eux-mêmes, et les services même bureaucratiques d'un État ou d'une institution internationale. L'aide privée doit compléter l'action publique et non l'inverse.
Réciprocité Nord-Sud
L'expérience québécoise révèle une assez bonne compréhension des exigences de la mondialisation en cours. Elle est néanmoins confrontée aux contraintes interculturelles. La réciprocité est mise à l'épreuve de modes de fonctionnement différents, mais elle est aussi bousculée du fait que le soutien financier vient du Nord. Même entre organisations soeurs (syndicats, coopératives ou organisations paysannes), il n'est pas sans risque d'établir un rapport de dépendance.
Le mouvement international des Forums sociaux mondiaux (FSM) n'y échappe pas. Porteur d'une culture politique qui mise sur des valeurs d'ouverture, de diversité, de démocratie et de solidarité, il n'en demeure pas moins pour l'instant surtout une initiative du Nord et de quelques pays émergents du Sud-Brésil, Inde et Afrique du Sud. La réciprocité même voulue et recherchée demeure difficile voire incertaine. Il y a là tout un défi pour les OCI et les organisations désireuses de s'engager dans des rapports Nord-Sud solidaires.
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Paul Cliche, Développement et Paix
Lucie Fréchette, Professeure à l'UQO
René Lachapelle, Groupe d'économie solidaire du Québec


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