Cinéma

Le cinéma français en «déclin» au Québec

Actualité québécoise



Ces dernières années, il a souvent été question dans les médias du déclin de la présence du cinéma français au Québec. Si j'écris ces lignes, ce n'est pas pour critiquer, mais, tout simplement, pour exprimer une opinion sur un sujet qui est très important pour la culture cinématographique au Québec.
Tout le monde sait que le cinéma français, à part quelques grosses pointures, est en perte de vitesse chez nous. Cette situation a commencé dans les années 1980 et s'est accélérée dans les années 1990 et 2000. Il y a plusieurs raisons pour cela, dont voici quelques-unes.
1. On ne peut pas parler du film L'artiste, qui connaît une belle carrière au Québec, comme étant un film typiquement français. C'est un film fait avec de l'argent français, des acteurs principaux français, et réalisé par un Français, mais c'est un film tourné en anglais (au départ), pour rendre hommage au cinéma hollywoodien d'une certaine époque.
D'ailleurs, il n'est pas nouveau cet engouement des Français pour le cinéma américain. La Nouvelle Vague française était aussi admirative de la façon américaine de faire du cinéma. «De l'action, toujours de l'action», disait Truffaut. C'est Truffaut lui-même qui a su, le premier, reconnaître au cinéma d'Hitchcock une signature d'auteur. Chabrol s'est aussi énormément inspiré du cinéma d'Hitchcock. Dans À bout de souffle de Godard, Jean-Paul Belmondo est admiratif devant une affiche sur laquelle on voit Humphrey Bogart.
Les plus grands réalisateurs de la Nouvelle Vague se sont inspirés des films de Howard Hawks sans avoir réussi à produire de véritables films d'action à l'américaine. Qu'on le veuille ou non, c'est la Nouvelle Vague française qui a détruit le système de studios français. Or ce sont ces studios qui produisaient des films moins «intellectuels» pour le grand public et étaient très concurrentiels du cinéma américain.
2. C'est vrai que les films français sont plus «bavards» que les films américains, mais cela s'explique par des raisons culturelles: l'énorme influence littéraire et théâtrale dans le cinéma français qu'on ne retrouve pas dans le cinéma américain, qui est basé avant tout sur le divertissement. Le français est une langue analytique alors que l'anglais est une langue synthétique. Mais quand les films français sont bien faits, cela ne dérange pas le public cinéphile québécois. Même notre plus grand cinéaste, Denys Arcand, se rattache à cette tradition du dialogue (Le déclin de l'empire américain, Les invasions barbares).
3. Le cinéma français, comme le cinéma américain, a toujours été lié aux vedettes. Malheureusement, aujourd'hui, les vedettes au cinéma doivent être aussi très connues à la télévision, comme c'est le cas des vedettes québécoises chez nous. Or les nouvelles vedettes françaises, n'apparaissant pas souvent à la télévision québécoise, demeurent inconnues ici. Elles sont donc étrangères à notre public. Nos jeunes sont exposés quotidiennement aux vedettes américaines. Cela a un effet pervers: la culture cinématographique universelle est en chute libre.
4. Au moment où le cinéma québécois a commencé à émerger, cette émergence s'est faite aux dépens du cinéma français, car nos gens étaient plus proches de leurs vedettes et de leurs propres réalités traitées au cinéma. C'est aujourd'hui le cas de toutes les cinématographies à travers le monde. Il y a le cinéma national et le cinéma américain et, entre les deux, il y a une sorte de no man's land pour les autres cinémas.
5. Il ne faut pas oublier non plus que la loi 109 sur le cinéma n'a pas aidé le cinéma français. Dès qu'on a forcé les majors américaines à sortir la version doublée en français de leurs films en même temps que la version originale anglaise, c'était le commencement de la fin de la distribution indépendante du cinéma international sur nos écrans et le déclin accéléré du cinéma français sur nos écrans. J'ai déjà écrit dans les pages de La Presse que ce serait catastrophique pour d'autres cinématographies d'exister au Québec si on procédait à l'application de la loi sur le doublage des films américains. Hélas, le temps a justifié mes craintes. Auparavant, nos distributeurs avaient six mois pour faire la promotion du cinéma français et international avant la sortie des versions doublées en français des films américains. La version doublée d'un film est la pire chose pour la culture cinématographique.
6. La perte de la distribution indépendante au Québec, avec les mauvaises politiques de nos agences gouvernementales dans les années 1990, a également nui au cinéma français. À un moment donné, on a voulu subventionner uniquement quatre ou cinq «grands distributeurs» en tuant tout le reste qui vivait surtout du cinéma français (et international) et qui se battait pour sa promotion. Parmi ces quatre ou cinq «grands distributeurs», il n'y en a que deux qui sont restés en activité et qui ont été vendus à des intérêts anglo-saxons (équité), et pour eux, à part les films porteurs, le cinéma français n'est pas rentable.
7. Dans les années 1990, on avait établi un système d'aide par la SODEC par l'entremise d'Unifrance, pour soutenir la promotion du cinéma français au Québec. Certains Français croyaient que c'était l'Eldorado pour le cinéma français au Québec, ce qui était irréaliste. Ils n'ont alors jamais fait de gros efforts financiers pour la promotion de leurs films chez nous. D'après ce que j'ai appris, la SODEC a supprimé cette aide l'année dernière. Grâce à Téléfilm et à la SODEC, le battage publicitaire est énorme pour le cinéma québécois, ce qui n'est pas le cas pour le cinéma français. Or la publicité joue un grand rôle auprès du public en général.
8. Aujourd'hui, nos distributeurs indépendants, et même les deux boîtes importantes, ne peuvent rien contre les Américains, qui font du chantage pour acheter les meilleurs films français (et étrangers) commerciaux pour le Québec. Pour les Américains, le Québec et le Canada font partie de leur domestic market, point. Pour cela, ils ont la complicité totale des agents de vente français: les Américains d'abord, ensuite les «cousins» pour les films marginaux.
Les Américains trouvent toujours un représentant québécois (ou une «boîte postale» québécoise) pour sortir leurs films au Québec, mais les gros morceaux de la tarte, ce sont les Américains qui les obtiennent sur notre propre petit marché. Et pourtant, cette mainmise totale américaine va à l'encontre de l'esprit de la loi 109 et de l'entente Valenti-Bacon, qui doit normalement laisser à nos distributeurs tout le cinéma international et les films français dont les Américains ne sont pas producteurs. La loi 109 est caduque et le gouvernement du Québec doit s'y pencher d'urgence.
9. Il faut aussi dire que le Québec ne contrôle pas les salles de cinéma sur son propre territoire. Les Américains imposent leurs conditions et ces mêmes salles ne peuvent pas résister aux exigences des package deals.
10. Nos télévisions d'État ont pratiquement abandonné le cinéma français et étranger au profit du cinéma américain. Notre gouvernement devrait examiner sérieusement cette question qui va à l'encontre de la culture cinématographique.
11. À cause de toutes les raisons énumérées en vrac, aujourd'hui il y a un autre obstacle qui s'est ajouté: l'ère de l'Internet et du numérique n'aide pas le cinéma français et international à paraître davantage sur les grands écrans du Québec.
Le danger qui nous guette au Québec, si le cinéma français continue à chuter, est de nous retrouver en face du cinéma américain (et surtout de ses gadgets technologiques) et de nos comédies populistes qui marchent mieux que le cinéma d'auteur. Il vaudrait mieux alors trouver un moyen pour assurer la présence du cinéma français en tant qu'allié culturel et naturel que de le perdre.
Finalement, il faut admettre que le seul cinéma, sur le plan international, qui résiste encore au cinéma américain, c'est le cinéma français. Il a donc une valeur culturelle unique et particulière. Ce cinéma nous aiderait aussi à préserver notre spécificité culturelle dans un océan anglo-saxon. Le traité de libre-échange qui protège l'exception culturelle canadienne et interdit le «dumping» des produits étrangers chez nous n'est pas respecté par les compagnies américaines.
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Serge Losique - Président du Festival des films du monde


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