Le Bloc est mort, vive le Bloc!

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Pourquoi tout mettre sur les épaules de Mario Beaulieu

En juin 2014 Mario Beaulieu est élu chef du Bloc québécois et depuis la chaîne de catastrophes est lancée : Jean-François Fortin, démissionne avec violence, Claude Patry doute, mais ne rompt pas, tout en annonçant qu'il quittera la vie politique en 2015, Lucien Bouchard explique que le Bloc n'aurait jamais dû survivre au-delà de 1995, comme cela était convenu à l'origine, et un sondage terrible donne le Bloc au fond du trou, à 13% des intentions de vote. Et tout ça à cause de Beaulieu le « radical » qui effraie les électeurs en parlant d'indépendance. C'est du moins ce que l'on explique un peu partout avec une mauvaise foi et des troubles de la mémoire assez étonnants.
Le Bloc va mal, c'est indubitable. Personne ne dira que le départ d'un de ses rares députés et un sondage donnant de tels résultats sont de bonnes nouvelles. Mais il semble un peu facile de faire porter le chapeau à un homme qui n'a jamais fait que reprendre la barre d'un bateau déjà bien perturbé par des éléments avec lesquels il n'a rien à voir : la catastrophe électorale de 2011, l'exclusion de madame Mourani (et ses reniements) ou encore le départ de Daniel Paillé. Depuis quatre ans le Bloc a été réduit à quasiment rien au Parlement, en un cycle infernal où peu d'espace entraîne peu de visibilité et les seules fois où les médias ont parlé du parti c'était lors des troubles cités plus haut. Il faudra plusieurs années pour s'en remettre, ou pour disparaître c'est selon, mais en tous cas ce n'est pas à seul un homme de porter le chapeau.
On peut trouver la stratégie de Beaulieu stupide, c'est un droit, mais dans un tel moment de crise aller chercher d'abord à resserrer les troupes, le cœur du parti, qui est tout de même sensé être les indépendantistes, semble assez logique. Le reste c'est beaucoup de travail, de pédagogie, pour développer l'option vers l'extérieur. Quand on l'écoute, Beaulieu s'en sort d'ailleurs plutôt bien. Loin de la caricature d'un virulent combattant le couteau entre les dents, il donne des arguments économiques, culturels, avec un ton bonhomme et plutôt sympathique. Le problème est qu'il est aujourd'hui perpétuellement réduit à devoir se justifier de tout et de rien. Alors, voyons les événements en question...
Le départ de Jean-François Fortin, un coup dur assurément, quand on a un caucus de quatre députés en perdre un a de graves proportions. Mais quand on voit que ce dernier est simplement effarouché par l'idée d'indépendance et qu'il imaginait la création d'un parti fédéral où cette idée n'existerait pas ne peut-on pas simplement imaginer qu'il s'était trompé de parti ? N'y avait-il pas un problème quelque part ? Il ne s'agit pas de faire la chasse au « mous » contre les « purs et durs », certainement pas, mais simplement de rappeler le premier paragraphe des statuts du Bloc québécois : « Le Bloc québécois est un parti politique souverainiste, implanté exclusivement au Québec. Il sera présent sur la scène fédérale jusqu'à la réalisation de la souveraineté du Québec. »
Ce projet peut-être tout à fait inclusif, mais y croire, même sur le long terme, semble quand même utile pour représenter le parti. Jean-François Fortin, comme Madame Mourani en 2013, s'est en quelques semaines découvert fédéraliste. Il ne s'agit pas d'un problème interne de ligne de parti, mais d'hypocrisie ; et à ce titre je dois dire que son départ ne me fâche pas trop. On dit souvent que quand le bateau va mal, les rats quittent le navire, c'est ce qui se passe et le plus regrettable reste les dégâts infligés à la cause indépendantiste.
Plus dur encore, le départ tout récent d'André Bellavance. Il ne s'agit rien de moins que de l'ex-adversaire de Beaulieu, celui qui voulait diriger le parti, et voilà qu'il le quitte, effrayé. Il faut lui admettre plus d'honnêteté que Jean-François Fortin dans le discours, il ne tourne pas le dos à l'indépendance, etc. Mais qu'en dire ? C'est atterrant et terrible à la fois. Je le répète, on ne peut pas faire comme si de rien n'était, mais que faire ? Beaulieu a été élu sur un programme clair et il faudrait, pour d'évidentes raisons d'égo, qu'il y renonce ? André Belavance dénonce une chasse aux sorcières des « purs et durs» contre lui, notamment sur les réseaux sociaux. Je suis très sceptique, d'abord car je ne crois pas aux purs et durs (que sont les autres, des mous impurs ?), ensuite parce qu'il ne s'agit là que d'appliquer le programme de base, enfin car si je ne nie pas des possibles attaques sur les réseaux sociaux il suffit de passer outre : « déconnecte-toi de Facebook et viens avancer avec nous », avais-je envie de lui dire... Encore une fois il ne faut pas faire comme si de rien n'était, ce départ est un coup dur - un de plus -, un coup violent. Avec plus que deux députés, le Bloc abordera les élections fédérales plus qu'affaibli, d'autant que la désormais moitié du caucus mérite aussi son paragraphe...
L'épisode Claude Patry est surtout révélateur d'une certaine manière de faire de l'information. On se souvient que Patry a été élu sous l'étiquette du NPD avant de rejoindre le Bloc, une attitude qui me pose problème quand bien même je trouve ses raisons tout à fait légitimes (la position du NPD sur la clarté référendaire). À l'époque de nombreux commentateurs ont d'ailleurs rappelé qu'il avait, sous sa première étiquette, soutenu les projets de lois interdisant les transfuges. Lors de l'élection de Mario Beaulieu, il avait fait part de ses doutes quant à son avenir politique et s'était rallié. Après l'épisode Fortin, La Presse annonce l'« info exclusive » du départ de Patry du Bloc alors que ce dernier est en vacance et n'a pas été contacté. In fine, il n'a pas quitté le parti, mais annoncé qu'il ne se représenterait pas. Ce n'est pas vraiment une surprise tant l'homme a toujours semblé avoir du mal à évoluer dans la politique fédérale, chose qu'il avoue sans fard en expliquant la dureté d'être dans l'opposition. Sa circonscription n'étant pas un fief bloquiste (elle était aux mains des conservateurs avant d'être emportée par le NPD) on peut aussi imaginer qu'il aurait bien eu du mal à se faire réélire, ceci + ceci + ceci ont pu aider sa réflexion. C'est dommage, car ce n'était pas un mauvais député, très investi sur la question des forêts, et un des rares ouvriers du Parlement, mais le moule politique est bien particulier et l'on peut en effet s'y sentir mal.
Quant à la vision de Lucien Bouchard... Mon opinion le concernant est assez négative pour ses positions droitières, que Gabriel Nadeau-Dubois résumait très bien dans son beau livre Tenir Tête : « je n'ai vu que des gouvernements néo-libéraux prendre le pouvoir et, cela va de soi, privatiser les institutions publiques. Le Parti québécois de ma génération, c'est celui de Lucien Bouchard, pas celui de René Lévesque. » Il reste qu'il a été un des porte-paroles de l'indépendance les plus populaires, que c'est le cofondateur du Bloc, un ancien premier ministre du Québec... Autant de choses qui lui donnent un poids inégalé.
Alors quand il dit que le Bloc aurait du cesser d'exister en 1995 il a raison, à l'époque l'indépendance devait être gagnée et le Bloc s'auto-dissoudre. Cela n'a pas été le cas et le Bloc a donc continué son chemin. Le rappel historique est exact et à lieu lors d'un long entretien d'une vingtaine d'heures, il est extrait et monté en épingle comme une attaque contre Beaulieu de manière assez artificielle alors même que le reproche pourrait se faire à tout le bloc de 95 à aujourd'hui. Bizarrement l'idée ne vient pas aux commentateurs qui préfèrent ce contenter de la période récente... Concernant l'existence de ce parti et l'histoire référendaire pas besoin de plus détailler, Jean-François Lisée le fait très bien sur son blogue.
Mais il reste le sondage CROP de la semaine, ce terrible sondage qui place le Bloc à 13% au Québec, juste devant les conservateurs et très loin derrière les libéraux et néodémocrates. S'il s'avérait réel, le score serait terrible : en 2011 le Bloc n'avait eu que quatre députés en obtenant 23,4% des suffrages. Autant dire qu'à 13% le parti serait rayé de la carte, encore qu'avec les bizarreries du scrutin il garderait peut-être des sièges, en tous cas c'est bien trop peu et la plupart des analystes fixent au-dessus de 25% le seuil provincial nécessaire pour obtenir un groupe reconnu à la Chambre des communes (1).
Mais il y a une mauvaise foi évidente à extrapoler les résultats de ce sondage au scrutin de 2015, le parti venant justement de traverser un nombre éreintant de crises qui peuvent légitimement éloigner les électeurs. On peut espérer que cela soit différent l'année prochaine, que Mario Beaulieu aura réussi à calmer ses troupes et que le parti sera en ordre de bataille, sinon en effet ce sera compliqué. Il y a en tous cas une jubilation assez évidente chez la plupart des observateurs à danser sur le cadavre d'une structure pourtant encore bien vivante.
Même avec un parti en difficulté, analyser sur des plateaux télés un sondage à presque un an d'une élection n'a guère de sens, particulièrement sur un territoire où l'électorat est aussi volatil que le Québec : rappelons que quelques semaines avant les élections personne n'avait vu venir la vague adéquiste de 2007, ni la vague orange de 2011 ou qu'en janvier 2014 on promettait à Pauline Marois un gouvernement péquiste majoritaire quand après l'élection les sondages affirmaient que la CAQ serait devenue opposition officielle si la campagne avait duré deux semaines de plus. Bref, on nage dans l'absurde le plus total, bien loin de la prétendue scientificité des chiffres. Mais si cela peut rassurer mes amis québécois, cette absurdité est aussi bien répartie des deux côtés de l'Atlantique, nos chroniqueurs d'ici se déchirant sur des sondages dévoilant les résultats des élections présidentielles d'avril... 2017 !
De quoi se demander, si tout est si joué d'avance, pourquoi l'on s'embête encore à faire de coûteuses élections...
(1) À ce propos on regardera avec intérêt le graphique de Carl Boileau répartissant les résultats de 2011 avec un scrutin proportionnel mixte, à comparer avec ce que ça à donné à la Chambre.


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