Lâcheté politicienne

On se demande jusqu'où Jean Charest, que l'on croyait libéral au vrai sens du terme, est prêt à aller pour suivre le vent.

Citoyenneté québécoise - Conjoncture de crise en vue


Cela va sans dire, la majorité des Québécois ne sont pas xénophobes. Le problème, c'est que ceux qui le sont occupent tout l'espace parce que leur discours d'intolérance est non seulement répercuté par les médias, mais a été légitimé par nos leaders politiques, au tout premier chef par le premier ministre Charest.



Dans [une lettre ouverte publiée aujourd'hui->9955], ce dernier tente de calmer le jeu. Trop tard. On aura beau dire que Mario Dumont, en parfait petit démagogue, a «surfé» sur la vague d'indignation provoquée par quelques accommodements «déraisonnables», il reste que c'est M. Charest qui était aux commandes quand cette saga a débuté, et que c'est lui qui lui a donné de l'importance, en créant une commission d'enquête qui allait puissamment contribuer à dramatiser l'affaire.
M. Charest, dans son texte, invoque René Lévesque pour mieux s'en prendre au projet Marois, lequel priverait une partie des citoyens de leurs droits politiques. Il est bien vrai que M. Lévesque aurait été le premier à conspuer le péquiste qui aurait osé proposer un projet pareil. Même la loi 101, dans sa version initiale, paraissait trop répressive à René Lévesque. Mais s'il avait été au pouvoir l'hiver dernier, c'est en deux temps, trois mouvements que M. Lévesque aurait mis fin à l'absurde débat lancé à Hérouxville, et l'affaire se serait dégonflée.
Mais évidemment, pour faire cela, il faut avoir de l'autorité morale et des convictions.
On se demande jusqu'où Jean Charest, que l'on croyait libéral au vrai sens du terme, est prêt à aller pour suivre le vent. Le voici maintenant qui promet d'amender la Charte québécoise des Droits pour y inscrire la primauté du principe de l'égalité des sexes sur celui de la liberté religieuse.
Qu'un politicien, croyant sauver sa peau, se permette de jouer avec des droits fondamentaux en griffonnant un amendement sur le coin d'une table est proprement désolant, surtout venant d'un homme qui, jusqu'à cette année, avait toujours été sensible aux droits des minorités. Car ne nous méprenons pas, la minorité visée ici ce sont les musulmanes qui porteraient le foulard, soi-disant signe d'oppression des femmes.
Le constitutionnaliste Henri Brun a même affirmé sans broncher, et sans paraître le moins du monde scandalisé par cette possibilité, que l'amendement de M. Charest pourrait permettre à une entreprise de refuser d'embaucher une femme portant le foulard. (La charte québécoise couvre en effet le secteur privé.)
Dans le même esprit, l'État pourrait décider d'interdire les communautés religieuses catholiques sous le prétexte que les règles du Vatican sont discriminatoires, empêcher les Juifs de porter la kippa parce que seuls les hommes sont dignes du regard de Dieu, etc.
Bien sûr, les cours auraient tôt fait de démolir de pareilles décisions, d'autant plus que, contrairement à la charte fédérale, la charte québécoise n'est qu'une loi comme une autre - la preuve étant que le parti au pouvoir peut la modifier pour de pures raisons électorales à la majorité des voix. Mais le mal serait fait. Un mal qui dresserait les immigrants contre les «vieilles souches», pourrirait le climat social montréalais, et ferait un tort considérable au Québec et à sa réputation (jusqu'ici méritée) d'ouverture.
Quelle mouche vicieuse a donc piqué le Québec, pour qu'on veuille établir, à l'encontre des pratiques internationales, une hiérarchisation des libertés individuelles? La liberté religieuse est proche de la liberté de conscience et de pensée. On ne joue pas avec cela impunément.
J'avais vu cette proposition d'amendement dans le mémoire déposé à la Commission Bouchard-Taylor par le Conseil du statut de la femme. Je n'en avais même pas parlé car jamais je n'aurais cru que ce laborieux échafaudage juridique élaboré par un groupe d'idéologues féministes risquerait d'être repris par le chef du gouvernement.
J'apprends par des voies détournées que la députée libérale Fatima Houda-Pepin, une musulmane qui a courageusement pris parti contre l'extrémisme religieux (notamment en luttant contre les intégristes qui voulaient introduire la charia en Ontario), avait mis son gouvernement en garde dès l'automne 2006 contre l'effet boule de neige que pourrait avoir la crise des accommodements raisonnables.
Elle avait proposé l'émission de directives claires aux autorités locales dans les domaines de l'éducation et de la santé, de même que l'institution d'une commission parlementaire qui aurait calmement étudié la question et lié les trois partis.
Cette approche intelligente et mesurée a été rejetée. Dommage. C'est toute la société qui en paie aujourd'hui le prix.
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