La SQ soupçonne un saccage environnemental à grande échelle

C8793cbbff951313bb94b149dad73fdd

Des sols contaminés dispersés aux quatre vents

L'ombre d'un saccage environnemental à grande échelle plane sur des chantiers de construction du grand Montréal. Les autorités québécoises soupçonnent une importante firme de décontamination d'avoir empoché des millions en faisant disparaître illégalement dans la nature des milliers de tonnes de terre contaminée et des produits toxiques, a appris La Presse.
Une enquête criminelle de la Sûreté du Québec (SQ) est en cours, menée par la Division des enquêtes sur l'infiltration de l'économie, avec l'aide d'experts des ministères du Revenu et de l'Environnement. Mais la police refuse de discuter des détails de l'affaire. «Vous le savez, on ne commente pas les enquêtes en cours», a indiqué le capitaine Guy Lapointe.
Au terme d'entrevues menées depuis octobre avec une douzaine de sources issues de l'industrie, de groupes environnementaux, d'agences chargées de faire appliquer la loi et du monde municipal, La Presse a pu retracer l'histoire de ce nouvel acteur qui s'est accaparé une partie importante de la gestion des sols contaminés dans la région depuis deux ans : Gestion OFA Environnement, dont l'acronyme signifie «Opportunité, Fiabilité, Avenir».
Des acteurs connus des policiers
L'entreprise a été enregistrée en mars 2014 par Hermel Couture, ferrailleur de Saint-Esprit, dans Lanaudière. Au siège social, à Anjou, le responsable des opérations est le neveu de M. Couture, Jean-François Boisvert, 38 ans, condamné pour extorsion en 2009 et toujours en attente de procès dans une affaire de fausses factures dans l'industrie de la construction.
M. Boisvert s'était adjoint jusqu'à récemment les services d'un consultant très branché dans l'industrie de la construction : Louis-Pierre Lafortune, ancien partenaire d'affaires des Hells Angels, actuellement en appel d'un verdict de culpabilité pour complot en vue de recycler les produits de la criminalité. En juillet dernier, lorsqu'il a été libéré de prison dans l'attente de l'audition de son appel, M. Lafortune a dû s'engager devant la cour à ne pas entrer en contact avec des gens ayant des antécédents judiciaires ou des causes criminelles pendantes, «sauf dans le cadre de son emploi chez Gestion OFA Environnement».
Plusieurs sources de l'industrie se disent impressionnées par la croissance fulgurante de l'entreprise et sa capacité à casser les prix de plus de 50 % (OFA conteste vigoureusement ce chiffre, mais dit effectivement offrir de meilleurs prix que la concurrence). Certains concurrents, placés en difficulté par la perte de contrats importants, auraient été contactés pour vendre leur entreprise à OFA, qui participait à plusieurs chantiers importants, dont celui du nouveau pont Champlain.
Exportation vers l'Ontario
L'entreprise affirme que le secret de ses bas prix repose sur un système innovateur : au lieu de payer à prix fort pour disposer des sols dans des sites accrédités au Québec, elle les exporte en Ontario, notamment dans la région de Hawkesbury, directement de l'autre côté de la rivière des Outaouais, où les règles environnementales permettent d'en disposer pour une fraction du coût. Le seuil de contamination devant faire l'objet d'un permis du Ministère est beaucoup plus élevé en Ontario.
«Au Québec, on a le droit de presque rien faire avec des sols contaminés. En Ontario, c'est plus libéral par rapport à des sols qui, ici, ne peuvent même pas être utilisés comme remblais. La décision économique de ma cliente de faire affaire en Ontario permet des économies d'échelle», explique Me Karl-Emmanuel Harrison, avocat de l'entreprise.
Ce modèle d'affaires ne fait pas l'unanimité.
En 2015, dans le cadre de la reconstruction de l'école Baril, dans Hochelaga-Maisonneuve, OFA était responsable de la réhabilitation environnementale des sols et des matières résiduelles.
Le surveillant du chantier a déposé une poursuite pour forcer la firme à se débarrasser de la terre dans un site accrédité au Québec plutôt qu'en Ontario. Le surveillant, qui possède lui-même des centres de décontamination au Québec, alléguait que l'exportation empêchait de suivre ce qu'il advenait vraiment des terres contaminées à terme.
«Comme la défenderesse a disposé des sols dans un lieu non autorisé, la demanderesse expose qu'elle ne peut retracer ces sols et ne peut émettre l'attestation de conformité de la disposition», affirmait la poursuite.
Mardi dernier, le juge Jean-Jude Chabot a donné raison à OFA à ce sujet : «Comme les sols ont quitté le Québec, ils ne sont plus alors assujettis à la loi québécoise, mais à la loi du lieu où ils sont acheminés, en l'espèce la loi ontarienne», dit-il.
Déversements sauvages
Selon des sources proches de l'enquête ainsi que des témoins interrogés par les policiers, la SQ croit qu'OFA a profité de la difficulté à retrouver les terres qu'elle dit envoyer en Ontario pour, en fait, les rejeter en secret dans la nature, au Québec, de façon illégale. Des systèmes de traçage GPS ont été apposés en catimini par les policiers sur des camions. L'enquête concerne des milliers de tonnes de terres contaminées et des contrats de plusieurs millions.
Une vague de perquisitions a eu lieu en septembre, dans l'entourage d'OFA et d'une entreprise associée, Remblais ATL. Plusieurs personnes ont été interrogées par les enquêteurs. Certains ont évoqué un enfouissement illégal de terres parfois contaminées par des produits toxiques.
«Il y avait des sols pleins de goudron. Des sols tellement pleins d'essence que des chauffeurs étaient étourdis par l'odeur. Mais on leur dit que tout est correct, papiers à l'appui, alors ils y vont pour gagner leur croûte», a déclaré une source bien au fait de l'enquête.
À Sainte-Sophie, dans les Laurentides, des citoyens confirment avoir reçu la visite de la SQ, qui avait mobilisé un hélicoptère pour observer les sites de déversement. Un résidant a évoqué en entrevue avec La Presse des «centaines et des centaines» de chargements de terre litigieux.
Au lendemain de son interrogatoire par les policiers à ce sujet, un surveillant de chantier d'OFA, Éric Hamel, s'est suicidé. «Il a été arrêté à 5h30 puis cuisiné tout le matin. Ç'a été long. Il s'est plaint que les policiers l'avaient fait craquer», avait expliqué Me Karl-Emmanuel Harrison lorsque La Presse avait révélé l'affaire, en octobre.
Sur le chantier du viaduc Monette, à la sortie du pont Mercier, l'entrepreneur général Groupe TNT a eu recours aux services d'OFA, qui devait disposer de la terre excavés dans un site ontarien près de la frontière québécoise. «Assez rapidement, les gens du ministère des Transports ont manifesté qu'il y avait peut-être une problématique liée à la disposition des sols contaminés. Nous avons fourni les documents d'OFA, mais le Ministère n'a pas voulu payer», explique Yannick Tardif, vice-président aux opérations de Groupe TNT.
Au Ministère, un porte-parole a refusé de commenter l'affaire en raison du litige sur le paiement des travaux. Une source proche du dossier a toutefois expliqué qu'un camion avait été suivi secrètement alors qu'il se rendait vider son chargement dans les Laurentides plutôt qu'en Ontario.


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé