Institut Montaigne

La note des agences ne doit plus être une référence

Crise mondiale — crise financière




Claude Bébéar, l’influent président de l’Institut Montaigne, l’un des principaux think tanks français, veut « désintoxiquer » le monde économique des agences de notation financière, ces sociétés qui, évaluant les risques de crédit des États et des entreprises, font la pluie et le beau temps sur les marchés financiers.
Celui que l’on a coutume de voir comme le « parrain » du capitalisme français, mais qui n’a de cesse d’en dénoncer les dérives depuis la crise financière de 2008, part en guerre contre « l’excessive influence » de l’oligopole formé par Moody’s, Standard & Poor’s et Fitch.

Les trois sociétés sont critiquées pour n’avoir pas vu venir la crise et avoir, au contraire, accentué les problèmes en abaissant brutalement les notes de pays déjà fragilisés ou sous aide internationale.
Alors qu’une réglementation européenne devrait encadrer leurs pratiques, fin 2012 ou début 2013, le fondateur de la compagnie d’assurances Axa préconise un aggiornamento financier : « Il faut supprimer la référence aux agences de notation dans les réglementations financières, déclare M. Bébéar au Monde. Les investisseurs doivent comprendre que les notations ne sont pas la vérité révélée, mais un avis parmi d’autres. »

« Les marchés sont moutonniers et obsédés par les notes des agences, poursuit-il. Il est urgent de convertir le troupeau ! » Pour l’ex-homme d’affaires, le fait que les patrons ne se demandent plus si une opération stratégique est bonne pour leur entreprise, mais comment « la vendre » aux agences, constitue le signe d’un grave dysfonctionnement.

L’appel de M. Bébéar s’appuie sur une étude conduite par l’économiste Norbert Gaillard pour l’Institut Montaigne, à paraître dans les prochains jours. Celle-ci propose des pistes de réforme au législateur européen, pour « remettre la notation à sa juste place».

La plus importante consiste à mettre fin à la référence systématique et inconditionnelle aux notes des agences, pour toutes les opérations financières supervisées par les régulateurs (émissions de dette, opérations avec la Banque centrale européenne, etc.).

Cela passe à la fois par une réforme des textes et un changement de comportement, selon M. Gaillard : « La dépendance croissante à l’égard des notations a conduit à une déresponsabilisation des régulateurs et des investisseurs, écrit-il. Les régulateurs ont laissé se développer une logique […] qui a érigé les agences en quasi-régulateurs, transformant leurs opinions en loi d’airain. »

Pouvoir hégémonique
La première réglementation faisant référence aux agences remonte à 1931, aux États-Unis. Édictée après la crise de 1929, elle impose aux banques de valoriser leurs titres selon leur notation.

Le rapport de l’Institut Montaigne encourage également le développement de systèmes d’évaluation des risques et de notation au sein des banques et des compagnies d’assurances. À charge pour les régulateurs d’en vérifier la robustesse des modèles.

« C’est en réinternalisant l’analyse du risque qu’on parviendra […] à re-responsabiliser les régulateurs et les investisseurs », estime M. Gaillard. Une « plate-forme » chargée de compiler les informations sur les émetteurs de dette — et de les comparer — pourrait être rattachée à l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF).

Ainsi, en conclusion d’une étude dont l’intérêt est aussi historique, M. Gaillard propose un retour aux origines de la notation, dont la fonction première était de faciliter l’analyse du risque de crédit.

Son développement, accéléré à partir des années 1970, emblématique des mutations du capitalisme, puis la mise en place de son pouvoir hégémonique, au cours des décennies 1990-2000, en ont dévoyé la mission. « Depuis les années 1980, les notations financières ont été utilisées abusivement […]. La prochaine réforme sera cruciale », avertit M. Gaillard.


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