Lettre de ma bergerie

La liberté dans ses petits souliers

personne dans l’espace public ne s’est porté à la défense d’Amir Khadir et du boycott. Aucun intellectuel, aucun journaliste, aucune personnalité publique : la condamnation est intégrale et sans appel

BDS - Boycott Désengagement Sanctions


L’affaire du boycott du commerce Le Marcheur rue Saint-Denis n'a décidément pas fini de créer de remous. Depuis décembre, toute la kyrielle des porte-paroles de la droite économique et morale ˗ et Dieu sait qu’ils sont nombreux! ˗ s’insurgent contre le député de Mercier Amir Khadir sous prétexte qu’il serait irraisonnable de participer au boycott d’une boutique vendant des produits israélien. Usant de toutes les tribunes de la province, cette droite ˗ pourtant martyrisée par la domination médiatique de la gauche ˗ a réussi à créer l’unanimité dans la condamnation de ce geste pourtant modéré et non-violent. Alors que la campagne visant cette boutique est terminée depuis bientôt deux semaines, le député adéquiste François Bonnardel en a ajouté en présentant une motion affirmant « que l'Assemblée nationale du Québec déplore la campagne de boycott qui se tient depuis plusieurs semaines devant la boutique Le Marcheur de Montréal ».
L’affaire a ainsi pris une ampleur à tout-le-moins démesurée. Certains ont affirmé qu’Amir Khadir était un « fanatique » et un « islamiste », que Québec solidaire était un parti en « opposition radicale à la civilisation » et que les militants du PAJU (Palestiniens et juifs unis) étaient une « gang de malades ». Le Réseau Liberté Québec, avec à sa tête Éric Duhaime, a même organisé un « buycott » afin de soutenir le commerçant victime d’une « campagne de terreur » mise de l’avant par des « extrémistes »; cette campagne a obtenu l’appui de nombreux députés et personnalités publiques.
Alors qu’Israël poursuit la construction de son mur Apartheid (700 km de béton agissant comme un étau sur le pays), contrôle l’accès à l’eau et aux terres cultivables, refuse la citoyenneté aux Palestiniens et multiplie les cas de torture (rapport d’Amnistie Internationale, 2010), le tout sous la bienveillance des plus puissants gouvernements du monde, le simple boycott de cet État est unanimement considéré comme un mode d’expression illégitime. Les militants du PAJU, une petite organisation qui travaille pour « la promotion de la paix au Moyen-Orient », sont pourtant le symbole même de la modération. En aucun cas ils n’ont été violents ou agressifs, leur ligne de piquetage en était une symbolique (jamais il n’a été question d’empêcher les gens de fréquenter le dit commerce) et ils n’ont jamais appelé à défier la loi.
Ce qu’il y a d’inquiétant dans cette histoire, en plus du fait que l’Assemblée nationale va possiblement blâmer une action citoyenne, c’est que personne dans l’espace public ne s’est porté à la défense d’Amir Khadir et du boycott. Aucun intellectuel, aucun journaliste, aucune personnalité publique : la condamnation est intégrale et sans appel; même Françoise David a affirmé que Khadir « avait mis les pieds à un endroit où il n'aurait peut-être pas dû les mettre »!
Mais comment le Québec en est-il venu à être aussi intolérant face à la critique ? Notre régime n’a-t-il pas la liberté et la démocratie pour fondement ? Bien sûr…. Mais cette « liberté » telle qu’elle est entendue par l’idéologie dominante en est une strictement formelle et négative. C’est celle de l’individu abstrait, délié de la nature et de la communauté. C’est la liberté d’un individu de ne pas être limité par un autre, de ne pas être dérangé et de choisir entre quelques marchandises. Elle ne connaît ni peuple, ni classe, ni pauvre, ni riche. Elle répond à la nécessité du marché d’avoir des travailleurs « libres » de choisir leur patron et de consommer leur salaire.
La liberté politique, lorsqu’elle s’incarne réellement dans la société et la communauté, est beaucoup plus exigeante. Elle nécessite que le citoyen ait la marge de manœuvre lui permettant de critiquer les gouvernements, qu’il puisse se faire entendre sans préjudice et que sa dissidence ne soit pas de facto éjectée de l’espace public. Elle est indissociable de la liberté d’être instruit, informé et entendu, de même que du droit de manifester, de faire grève et d’être soigné en cas de maladie. Or, il se trouve que cette forme sensible de liberté est bien mal en point : la concentration des médias et leurs accointances peu subtiles avec le gouvernement, la hausse qualitative des frais de scolarité et des soins de santé, les attaques aux organisations de défense de droits, les nombreuses lois antisociales adoptées sous baillons et les 1100 arrestations du G20 à Toronto en juin dernier en témoignent de façon éloquente. Mais cela ne semble aucunement inquiéter notre très démocratique belle province. Peut-être est-ce parce qu’elle est trop préoccupée à se choisir une paire de souliers… À force de se regarder les pieds, elle a fini par y voir la liberté.
* Texte publié dans Le Mouton Noir, de mars-avril 2011.


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