La gauche est-elle en train de manquer le bateau ?

Tribune libre

La gauche est-elle en train de manquer le bateau ?
Votre éditorialiste monsieur Alain Dubuc pourfendait encore une fois la gauche récemment dans vos pages. Il est vrai que la droite semble avoir le vent dans les voiles par les temps qui courent et ses ténors prennent de plus en plus de place sur la scène publique. Il est aussi vrai que les idées de droite jouissent d'une campagne médiatique bien orchestrée par les milieux d'affaires propriétaires de la majorité des médias au Québec. Il est encore vrai que leurs idées parfois simplistes s'appuient sur des réalités comme l'inefficacité des administrations publiques ou le corporatisme syndical. La droite s'inspire aussi largement de la frustration et la colère de la classe moyenne engendrées par l'inertie de nos gouvernements à résoudre des problèmes récurrents que ce soit en santé, en éducation ou dans d'autres domaines, problèmes auxquels il faut maintenant ajouter la corruption de plusieurs élus alors que les citoyens paient un fardeau important de taxes et d'impôts pour obtenir de moins en moins de services en retour.
Plus le terrain devient fertile à leurs idées au sein de la population et plus les ténors de la droite prennent confiance en eux et expriment de plus en plus ouvertement leur parti pris pour la privatisation de la santé ou le démembrement de l'état. Et pourtant la prolifération de leurs idées partout dans le monde, sauf dans certains pays d'Amérique latine qui vont plutôt dans le sens contraire, nous a bien démontré au cours des dernières décennies les conséquences des excès et des aboutissants du capitalisme poussé à son extrême et son impact sur les humains et sur la planète. Il faut aussi que les citoyens québécois soient conscients qu'un glissement vers la droite se poursuit parfois vers l'extrême-droite avec des idées xénophobes et racistes souvent alimentées par l'insécurité économique comme on peut le voir en Europe où des partis de droite font alliance avec l'extrême-droite au sein de certains gouvernements.
Pendant que la confiance augmente chez les ténors de la droite on dirait que celle des ténors de la gauche, sauf exception, semble diminuer dans la même proportion et ces derniers demeurent sur la défensive. La gauche semble complexée, coupable et honteuse peut-être suite aux crimes commis par Staline ou Mao au nom d'une idéologie de gauche. Elle ne croit pas pouvoir convaincre une partie substantielle de la population d’adhérer à sa cause et ne croit pas qu'elle puisse prendre le pouvoir.
Malheureusement à gauche on semble aussi trop souvent répéter les mêmes choses et de la même manière depuis des décennies, du moins c'est cette image traditionnelle de la gauche qui est véhiculée par beaucoup de Québécois notamment en ce qui concerne l'appui inconditionnel aux syndicats alors que ces derniers sont devenus très corporatistes et ne défendent plus autant qu'auparavant le bien commun. Il faut que la gauche aborde de front des questions comme celle de l'action syndicale ou l'efficacité de l'état avec une vision renouvelée. De plus la gauche a énormément de difficultés à s'approprier, à sa façon, des questions comme celles de l'identité, de l'immigration ou de la sécurité. On a de la difficulté à gauche à innover, à briser des tabous et présenter une vision globale et alternative démontrant ainsi, qu'une autre société est possible. La gauche ici, comme ailleurs, ne profite pas sur le plan électoral de l'insécurité globale dans laquelle nous vivons et de la crise économique qui se poursuit et voit en observatrice les gens glisser vers la droite. Il est temps qu'elle clame haut et fort à son tour ses idées comme solution possible au marasme actuel.
Québec Solidaire est en train de faire l'exercice de renouveler le discours de gauche à travers le long processus démocratique de préparation de son programme et des idées très intéressantes et innovatrices y sont discutées. Pendant ce temps le parti plafonne malheureusement sous la barre des 10% dans les intentions de vote et risque de demeurer un joueur marginal dans l'échiquier politique dans un système électoral sans proportionnelle.
Un autre défi de la gauche est de renouveler son discours sans tomber dans le piège d'être trop sage, trop timorée, et finalement pour ne plus '' faire peur au monde '' de se ranger dans un réformisme qui lui fait perdre tout son potentiel révolutionnaire dans le sens le plus large du terme c'est à dire d'un changement en profondeur. C'est ainsi que des partis de centre gauche comme le Parti socialiste français ou le Parti Québécois ont perdu leur âme en gouvernant parfois à droite et ne se sont plus différenciés de cette même droite. Le NPD a la même difficulté de se différencier des Libéraux. Les gens voient alors les gens de la droite ou de la gauche comme blancs bonnets ou bonnets blancs.
Un autre aspect est la difficulté pour la gauche d'articuler un discours complet, cohérent et rassembleur et de se ranger derrière quelques leaders crédibles et charismatiques. Le seul parti de gauche au Québec, Québec Solidaire, a de la difficulté à devenir l'expression politique des gauches communautaire, syndicale, altermondialiste, écologiste, indépendantiste et féministe. La gauche communautaire lutte pour la survie de ses organisations et des emplois de son personnel tout en étant souvent à la merci du financement de l'état. La gauche syndicale est sur la défensive et lutte pour sauver les meubles et protéger ses acquis. La gauche alter mondialiste formée surtout de jeunes se fait emprisonner et réduire au silence par les policiers suite à une commande politique comme au dernier sommet du G20 à Toronto. La gauche écologiste est occupée sur plusieurs fronts et doit lutter contre la récupération de l'idée du développement durable. La gauche féministe doit refaire les luttes des années 70 contre l'asservissement de la femme ou la pornographie. Et enfin la gauche indépendantiste est divisée entre Québec Solidaire et le Parti Québécois. Difficile d'avoir le temps et les énergies pour s'unir dans ce contexte même si d'autres raisons comme la sur-spécialisation des dossiers, l'individualisme ambiant et parfois la compétition peuvent expliquer le phénomène. Il est aussi essentiel pour la gauche de se donner des outils communs comme un journal pour s'informer, rassembler toutes les forces, agir ensemble et élargir son audience.
Même si des gens de gauche et des gens de droite peuvent partager des préoccupations et certaines analyses ils sont rarement d'accord sur les solutions. La droite prône avant tout l'individualisme, la privatisation, et la loi du marché. La gauche prône avant tout la solidarité, la maintien d'un système public fort et l'intervention de l'état dans la redistribution de la richesse. Les défis que nous avons à relever maintenant et dans le futur, probablement aussi des situations d'urgence, nous amèneront parfois à rechercher des terrains d'entente ou à cohabiter au sein de futurs gouvernements mais nous ne pouvons y sacrifier des visions de la société souvent opposées et avant tout basées sur des valeurs différentes qui nous inspirent.
Yves Chartrand
Montréal


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