« Plus que le Brexit, les tendances autoritaires en Hongrie et Pologne menacent l’UE car elles sapent les fondations légales de l’Union. Les autres gouvernements de l’UE doivent défendre l’État de droit plus activement ». Ainsi se présente le sommaire de l’article de la Fondation Carnegie. D’une fermeté sans concession à l’égard des gouvernements hongrois et polonais, les auteurs ne sont parfois pas moins tendres avec d’autres États membres ou acteurs de l’UE, accusés de « procrastination » à l’égard de Budapest et Varsovie. Bien plus qu’une tentative de dresser un constat, les rédacteurs condamnent et multiplient les injonctions. Dans leur conclusion, ils mettent en garde les deux États en leur signifiant que « s’ils ne font pas marche-arrière, le prix à payer sera élevé ». La fondation Carnegie s’immisce ainsi ouvertement dans le jeu politique et compte bien que son discours soit repris par « les chefs d’États et de gouvernement européen pour convaincre Budapest et Varsovie de changer de comportement ».
La Fondation Carnegie , « 100 ans d’impact »
Lancée en 1910 par l’industriel américain Andrew Carnegie, la Fondation éponyme trouve son origine dans les conseils de ses amis Elihu Root (ancien secrétaire à la Guerre de William McKinley et ancien secrétaire d’État de Theodore Roosevelt) et Nicholas M. Butler (recteur de la Columbia University). Prix Nobel de la Paix en 1912, Root fut un des initiateurs de la création de la Cour de la Haye, dont Carnegie financera la construction. McKinley est connu pour avoir déclenché la guerre contre l’Espagne pour prétendument libérer Cuba et les Philippines. Roosevelt (prix Nobel de la paix en 1906) a quant à lui annexé le Panama et envahi Saint-Domingue et le Honduras. La Fondation a vu le jour dans ce contexte de lutte américaine contre la colonisation européenne.
Ses actions vendues au banquier J.P Morgan, Andrew Carnegie meurt en 1919, alors que Root, le directeur de la Fondation, créé en parallèle le Conseil des relations étrangères (CFR), alors abondamment financé par la Fondation, dont le poids est encore aujourd’hui éminemment important dans la détermination de la politique étrangère américaine. Butler prend à son tour la tête de la Fondation Carnegie et la dirigera jusqu’en 1946, avant de laisser place aux frères Dulles. John Foster Dulles (président du Conseil national des Eglises et ambassadeur aux Nations unies, futur secrétaire d’État) prend les rênes de la Fondation Carnegie, alors que son frère Allen (ancien responsable de l’OSS et futur directeur de la CIA) devient président du CFR. Les deux frères sont solidement soutenus par la Fondation Rockefeller. John Foster Dulles en deviendra d’ailleurs le président en 1948 et sera élu « homme de l’année » par le Time Magazine en 1954.
De 1950 à 1971, la Fondation est présidée par Joseph E. Johnson, ancien directeur du Secrétariat à la Défense pour les affaires de sécurité internationale. Le relais sera assuré par Thomas L. Hugues (1971-1991) et Morton I. Abramowitz (1991-1997), tout deux anciens directeurs du renseignement au département d’État). Abramowitz nomme Robert Carswell (ancien agent de Bureau de renseignement de la Navy et principal négociateur lors de la crise des otages en Iran en 1979-1981) comme directeur. La Fondation achète la revue Foreign Policy créée par Samuel Huntington et s’établit à Washington. L’Arms Control Association et le German Marshall Fund of the United States financé par la République fédérale d’Allemagne voient le jour sous l’égide de la Fondation Carnegie en 1971 et 1972.
En 1993, la Fondation Carnegie ouvre des bureaux à Moscou et conseille Boris Eltsine par l’intermédiaire du Premier Ministre Yegor Gaïdar (Lire : Gorbachev, Yeltsin, and Putin: Political Leadership in Russia’s Transition, Carnegie Endowment Series, Washington, Carnegie Endowment for International Peace (September 1, 2001)), connu pour son adhésion aux privatisations à marche forcée et autres thérapies de choc et sa proximité avec l’école de Chicago.
La Fondation Carnegie met également sur pied le Groupe des 50, un conglomérat regroupant les patrons de multinationales ayant des activités en Amérique latine. Ce groupe est à l’origine du projet de Zone de libre-échange des Amériques et a notamment été animé par Moises Naim, ancien ministre vénézuélien du Commerce et de l’Industrie avant l’époque chaviste et, encore aujourd’hui, principal éditorialiste pour la revue Foreign Policy.
En 1997, la présidence de la Fondation Carnegie est briguée par Jessica T. Mathews (ancienne directrice des Affaires globales au Conseil de sécurité nationale). Sous sa présidence, William H. Donaldson (intime de la famille Bush et futur président de la Commission des opérations de Bourse-SEC, l’organisme fédéral américain de réglementation et de contrôler des marchés financiers) est nommé directeur. Le duo Mathews-Donaldson s’emploiera à mener la même politique d’influence auprès de Pékin que celle mise en place à Moscou par Abramowitz en 1993. A cet effet des ponts sont jetés entre la Fondation Carnegie et l’Institut d’études stratégiques de l’Ecole du Parti à Pékin et l’Académie des sciences sociales de Shanghaï, alors qu’une antenne de la Fondation est créée au sein de l’université pékinoise de Tsinghua. Par ailleurs, c’est sous le mandant Mathews que sont ouverts les bureaux de Beyrouth (2006) et Bruxelles (2007), mais aussi celui du Kazakhstan (2011).
L’ambition affichée à cette période est de faire de la fondation Carnegie le premier thing-tank mondial. La Fondation fête alors son centenaire et publie à l’occasion une brochure intitulée « 100 years of Impact » en se qualifiant désormais de « think tank global ». Dans cette brochure, la Fondation dit avoir maintenu avec succès son positionnement non-partisan et précise que ses experts ont pour rôle de se pencher sur les problèmes de non-prolifération, de sécurité globale, de terrorisme, de développement en Russie, en Eurasie, en Chine et au Moyen-Orient, de questions liés à l’économie mondiale, au changement climatique et la raréfaction des énergies, mais encore à la montée de puissances émergentes et d’acteurs non-étatiques. Dans la partie consacrée à son bureau de Moscou, la Fondation qualifie sa présence d’indépendante et ses analyses d’objectives. Pour ce qui est de sa présence à Bruxelles, la Fondation évoque qu’elle « vise à favoriser de nouveaux modes de pensée quant aux énormes défis internationaux qui façonnent le rôle de l’Europe dans le monde ».
Depuis 2015, la Fondation Carnegie est présidée par William Joseph Burns (ancien secrétaire d’État sous l’ère Obama), personnalité que le magazine américain The Atlantic qualifie en 2013 d’ « arme diplomatique secrète de la Maison-Blanche ».
Les personnes ayant présidé ou dirigé au plus au niveau la Fondation Carnegie pour la paix internationale sont, sans aucune exception, toutes des membres de l’administration fédérale américaine, en ce qu’elles y ont exercé les plus hautes fonctions dans le domaine du renseignement (militaire ou civil), des affaires économiques et diplomatiques. Sauf à penser que les présidents successifs de la Fondation Canergie aient absolument pu couper tous leurs liens avec la haute administration fédérale pour se consacrer à la production d’études indépendantes et objectives, cet organisme est un outil de la politique étrangère des États-unis, « une arme diplomatique secrète », comme est surnommé son président actuel.
La Fondation Carnegie, « une arme diplomatique secrète »
Jusqu’au début de la Guerre froide, le rôle clé joué par la Fondation Carnegie ne fut jamais dissimulé. La Fondation pour la paix internationale était alors ouvertement une composante et un acteur de la diplomatie US. Au lendemain de la Première guerre mondiale, cinq membres de la Fondation accompagne le Président Woodrow Wilson sur le USS George Washington dans sa traversée de l’Atlantique pour rejoindre la France où ont lieu les négociations de paix. Nicholas Murray Butler, deuxième président de la Fondation, jouera un grand rôle auprès du secrétaire d’État Franck Billings Kellogg dans la signature du Pacte Kellogg-Briand et obtiendra pour cela le Prix Nobel de la Paix en 1931. A l’origine, les membres de la Fondation sont les conseillers de premier plan des plus importants diplomates américains.
Au sortir de la Seconde guerre mondiale, avec l’émergence de deux pôles et la Guerre froide qui se profile, la Fondation Carnegie est au cœur d’un scandale impliquant son premier président d’après-guerre Alger Hiss. Ce dernier, alors dans la course avec Richard Nixon pour obtenir le poste de secrétaire d’État, est alors accusé par le communiste repenti Whittaker Chambers d’être un espion soviétique. Certains journalistes évoqueront par la suite les pressions opérées par Nixon sur Chambers pour écarter Hiss (Voir Tim Weiner, Enemies: A History of the FBI (Allen Weiner, 2012), p. 159), ce qui est encore à ce jour débattu. Quoi qu’il en soit, la Fondation Carnegie est alors présente au plus haut sommet de l’État américain, là où les stratégies de mise en oeuvre des intérêts US sont décidées. Suite à cet intermède Hiss, la Fondation sera présidée par des dirigeants des renseignements civile et militaire jusqu’en 1997. Alors qu’elle affirmait ouvertement son rôle dans la défense des intérêts sous le mandats de ses présidents Root et Butler, la Fondation devient à partir de 1949-1950 étroitement liés aux services fédéraux, ce qui explique sa nécessaire reconversion en prétendu centre de recherche et d’analyse. La Carnegie met en place un Programme de Droit international chargé de produire des analyses sur l’évolution des organisations internationales, la révolution technologique facilitant la production de nouveaux outils militaires, l’expansion communiste, l’apparition de nouveaux États indépendants et les nouvelles formes d’activités économiques incluant les multinationales et les organisations inter-gouvernementales. La Fondation est alors une arme aidant les États-unis à leur lutte contre l’Union soviétique.
Le célèbre discours de Ronald Reagan devant le Parlement britannique le 8 juin 1982, au cours duquel l’Union est qualifié « d’Empire du mal », marque un tournant dans la stratégie US à l’égard du bloc soviétique. Ce tournant aura des conséquences, encore d’actualité aujourd’hui, sur le financement de la Fondation Carnegie. En proposant de soutenir les dissidents de l’Est et d’ailleurs, Reagan affirme qu’ « il s’agit de contribuer à créer l’infrastructure nécessaire à la démocratie : la liberté de la presse, des syndicats, des partis politiques, des universités : ainsi les peuples seront-ils libres de choisir la voie qui leur conviendra pour développer leur culture et régler leurs différends par des moyens pacifiques ».
Une commission bi-partisane propose au Congrès de créer un Fondation nationale pour la démocratie (NED), ce qui sera fait en novembre 1983 et disposera immédiatement de financement. La NED utilise son budget, voté et alloué chaque année par le Congrès, pour faire fonctionner quatre structures : le Centre américain pour la solidarité des travailleurs (ACILS, géré par le syndicat AFL-CIO), le Centre pour l’entreprise privée internationale (le CIPE, géré par la Chambre de Commerce des États-unis), l’Institut républicain international (géré par le Parti républicain) et l’Institut national démocratique pour les affaires internationales (géré par le Parti démocrate). Le fonctionnement de la NED se veut basé sur la diversité sociale, la société civile et le pluralisme politique, financé par le peuple américain par l’intermédiaire du Congrès, et œuvrant à un idéal universel.
Cependant, la reconstitution chronologique des faits laissent apparaître une tout autre réalité. Avant la déclaration de Reagan à Londres, les États-unis sont secoués par les conclusions de plusieurs enquêtes parlementaires concernant les agissements la CIA. Ces enquêtes avaient alors révélées que la CIA allaient jusqu’à fomenter des coups d’États pour conquérir des marchés, notamment en Amérique latine. Le Congrès décide d’interdire ces actions. C’est dans ce contexte et pour pallier à cette décision du Congrès que la commission bi-partisane a été mise sur pied par le Conseil de sécurité nationale. La commission est présidée par le représentant spécial des États-unis pour le Commerce, ce qui ne corrobore pas les bienveillantes intentions de Ronald Reagan affichées à Londres en novembre 1983. Aujourd’hui, il est établi que le discours bien-intentionné de Ronald Reagan n’avait pour seul but de masquer une autre réalité qui consistait en une réorganisation, notamment financière, des actions externes des Etats-unis. La « directive présidentielle 77 » datant du 14 janvier 1983 et déclassifiée vingt ans plus tard le prouve. Ce document concerne l’organisation interne du Conseil de sécurité nationale dont un des membres devra désormais orchestrer le fonctionnement de la future NED. La Fondation Carnegie va profiter, à double-titre titre, de cette reconfiguration fonctionnelle de la politique étrangère américaine.
Premièrement, la manne financière obtenue chaque année par la NED, via le Congrès, irrigue pas moins de 6000 organisations non-gouvernementales, dont la Fondation Carnegie. Selon le président actuel de la NED, Carl Gersham, le rôle de la NED est « juste de mettre un peu d’eau sur les plantes ». Journaux, partis, syndicats, organisations, associations de femmes, etc. sont ainsi financés par la NED. Officiellement la somme annuelle gérée par la NED est de 60 millions de dollars mais beaucoup de fonds transitent par la NED, notamment lorsqu’ils proviennent de l’Agence d’aide internationale (USAID). Il est impossible de chiffrer exactement l’argent géré par la NED. Quelques indices permettent néanmoins d’arriver à des ordres de grandeur. Le projet européen équivalent à la NED, entièrement public, l’European Instrument for Democracy and Human Rights (EIDHR), est de 7 milliards d’euros annuels, alors que ce bureau ne sert que d’appoint aux opérations de la NED. L’actuel président de la NED reconnait d’ailleurs que « ce chiffre de 60 millions de dollars est trompeur car cet argent va dans 80 pays ». Cette architecture participe d’une stratégie de « non-gouvernementalisation » des budgets qui permet de ne pas violer la souveraineté nationale d’autres États tout en leur enjoignant d’infléchir leur politique.
Deuxièmement, les liens entre la NED et la Fondation Carnegie ne peuvent être plus serrés. Celui qui fut l’un des plus influents présidents de la Carnegie, Morton I. Abramowitz, a été en même temps administrateur de la NED. Le président actuel de la Fondation Carnegie, l’ancien ambassadeur en Russie et en Jordanie et ancien secrétaire d’État, est présenté sur le site de la NED comme l’un de ses principaux experts. La fondation Carnegie est hautement intriquée avec le dispositif prétendument non-gouvernemental de la NED. Selon Ron Paul, sénateur républicain – et libertarien -, « il serait temps de mettre fin à cette relique de la guerre froide ne faisant qu’attiser l’antiaméricanisme ». La NED est le centre névralgique d’un vaste réseau d’organisations chargés de défendre les intérêts US.
En 25 années d’existence, elle aura participé à la structuration et aux financements des principaux syndicats non-communistes. En France, Irving Brown, dirigeant du Centre américain pour la solidarité des travailleurs (ACILS) de 1948 à 1989, branche syndicale de la NED à partir de 1983, se targuera à la fin de sa vie d’avoir allègrement manipulé le syndicat français Force ouvrière (FO). FO est encore aujourd’hui considéré comme un syndicat jaune et patronal par beaucoup de mineurs lorrains mis en retraite forcée au début des années 2000. Brown n’en dit pas moins quant au syndicat étudiant UNI, où ont notamment milité MM. Sarkozy et Fillon. En outre, il arbore avec fierté ses rapports très personnels avec MM. Cambadélis et Jospin, dirigeants socialistes d’extraction trotskiste. Installé au 10 rue la Paix à Paris, Irving Brown se charge du financement de la lutte contre les communistes grecs ou encore celle contre Salvador Allende au Chili. Au cours de la guerre d’Algérie, il a pour projet de faire passer l’Algérie sous contrôle américain. En 1984, il organise les manifestations mondiales contre la tournée de M. Gorbatchev et contribue ainsi à casser le regain de vigueur de l’Union soviétique. En 1985, il déclare que l’Union soviétique ne tardera pas à s’effondrer. En 1988, Ronald Reagan le décore de la médaille présidentielle de la Liberté.
La Fondation Carnegie fait partie de ces centaines d’organisations servant d’outil opérationnel à la NED. Parmi ces organisations, on compte notamment Transparency international (TI), créée par Peter Eigen en 1993, juriste allemand ayant travaillé 25 ans à la Banque mondiale puis consultant à la Fondation Ford et enfin expert à la Fondation Carnegie. Les dirigeants historiques de TI sont notamment l’officier de renseignement militaire US Micheal J. Hershman, ancien administrateur du CIPE puis responsable du recrutement au FBI et administrateur de l’agence de renseignement privée Fairfax Group, ancien n°2 de l’USAID et dirigeant de l’unité anti-terroriste de la Chambre de Commerce des États-unis, et Frank Vogt, ancien de la Banque mondiale et proche de Paul Wolfowitz. Ce dernier a laissé son nom à la doctrine éponyme donnant aux États-unis le rôle de « gendarme du monde ». Wolfowitz est à l’origine de la rédaction du Defense Policy Guidance, document classifié dont des extraits révélés par le New York Times et le Washington Post ont montré qu’il était une théorisation de la suprématie US au sortir de la première Guerre du Golfe. TI a depuis quelques années le gouvernement hongrois dans son viseur. En 2008, TI avait dénoncé la corruption de la compagnie pétrolière publique du Venezuela, sur la base d’informations s’étant par la suite révélées falsifiées. A cette époque, le correspondant du CIPE au Venezuela n’était autre que Pedro Carmona, auteur du putsch contre Hugo Chavez en 2002. TI est financée par BP-Amoco, Exxon, Rio Tinto et Shell.
L’Open Society de George Soros fait aussi partie de ces organisations. Heather Grabbe, l’une des deux rédacteurs de l’article condamnant la Hongrie et la Pologne, est la directrice de la branche européenne de l’Open Society. Grabbe a travaillé de 2004 à 2009 auprès du commissaire européen chargé de l’élargissement Olli Rehn. Dans un entretien télévisé à un journaliste américain, George Soros a déclaré que le seul but de ses activités était de faire de l’argent, ce pourquoi il ne pouvait pas s’intéresser aux conséquences sociales de ses actes. Il a reconnu que cela n’était que spéculation et parfaitement amoral. Dans ce même entretien, il a avoué avoir participé avec son père, alors qu’il n’avait que 13-14 ans, à la confiscation des biens de propriétaires juifs à Budapest sous l’occupation allemande, ne ressentant aucune culpabilité, déclarant que, s’il n’avait pas participé à ce pillage, quelqu’un d’autre l’aurait fait à sa place, poussant la comparaison au fonctionnement d’un marché économique où un acteur peut à tout moment remplacer un autre, avant de conclure que la culpabilité n’est pas un sentiment pouvant être éprouvé dans le cadre d’une activité amorale comme la sienne. Toujours dans cet échange, George Soros explique qu’il cherchera toujours à domicilier ses activités financières dans des zones où les réglementations sont quasi-absentes. Sa principale société, le Quantum Fund passe depuis 1969 de paradis fiscaux en paradis fiscaux. Le 20 décembre 2002, Soros est condamné à 2,2 millions d’euros d’amende par le Tribunal correctionnel de Paris pour délit d’initié lors du raid boursier contre la Société Générale en 1988. Il est connu pour avoir attaqué la livre sterling en septembre 1992, gagnant ainsi 1 milliard de dollars au détriment du contribuable britannique. Il a par ailleurs bénéficié de la crise thaïlandaise de 1997 et plus largement de la crise asiatique, mais a essuyé de fortes pertes lors du krach de 1987, la crise russe de 1998 et l’éclatement de la bulle internet. Via les sociétés Harken Energy et Spectrum 7, George Soros a participé à l’épuration des dettes de la famille Bush en 1990. Dans un entretien au journal The Nation lui demandant de s’expliquer sur son geste, Soros a déclaré qu’il avait agit ainsi pour « s’acheter une influence politique ». Cela lui vaut un droit d’entrée au Carlyle Group, alors plus grande société de gestion de porte-feuille au monde, s’étant notamment occupé du patrimoine des familles Bush et Ben Laden. Ce groupe est en outre l’un des 10 plus gros fournisseurs du Pentagone, une fois l’ensemble de ses sociétés filles prises en compte. C’est au Carlyle Group que George Soros se lie d’amitié avec l’oligarque russe Michail Khodorkovsky. En 1994, Soros créé l’International Crisis Group, dont le conseil d’administration sera notamment composé des anciens conseillers nationaux de sécurité Richard Allen et Zbiegniew Brzezinski, mais aussi de Simone Veil, un temps présidente du mémorial de la Shoah et ignorant probablement tout de la jeunesse de Soros à Budapest, et enfin de Christine Ockrent, journaliste épouse de l’ex-gouverneur du Kosovo Bernard Kouchner.
Dès 2013, Ulrich Grillo, alors à la tête de la Bundesverband der Deutschen Industrie (BDI), l’Union fédérale de l’Industrie allemande, réclame l’arrivée sur le sol allemand de 800 000 travailleurs immigrés pour contrer la démographie allemande vieillissante et faire pression à la baisse sur les salaires. Au printemps 2015, Antonio Guterres, alors Haut-Commissaire aux réfugiés à l’ONU, supprime l’aide humanitaire aux Syriens stationnés en Turquie, ce qui provoquera leur migration vers l’Europe par la route des Balkans. Difficile à imaginer que la décision de Guterres ait pu être prise sans l’aval des autorités turques, américaines et allemandes. Les services secrets autrichiens (Österreichischen Abwehramts) ont relevé cet accord. Antonio Guterres deviendra plus tard le nouveau secrétaire général de l’ONU. Financé par plusieurs associations de Soros, les humanitaires encadrent l’accueil de ces Syriens, rejoint par la suite par des Afghans et des Irakiens (Sous nos yeux, Th. Meyssan, éd. Demie-Lune, Collection résistances 2017). Des dizaines de milliers de migrants arrivent en Allemagne et le flux continue. Les réactions ne tardent pas à arriver. Certains syndicats ouvriers allemands dénoncent la manœuvre de leur patronat. Le gouvernement hongrois décide de dresser une clôture le long de la frontière serbe pour réguler le flux. Dans le même temps, un Think thank allemand, l’European Security Initiative (ESI) se prononce le 17 septembre puis le 4 octobre 2015 pour un arrêt des flux passant par un accord entre l’UE et la Turquie, mais aussi en répartissant 500 000 réfugiés syriens supplémentaires dans les 12 mois à venir. Au delà de cette limite, la Turquie devra reprendre les autres migrants et pourra obtenir une dispense de visa pour tous ses ressortissants. Les 17 et 18 mars 2016, le Conseil européen s’engage à verser 3 milliards d’euros annuels à la Turquie pour l’aider dans ses obligations, sans le moindre mécanisme de contrôle et met fin aux visas pour l’entrée des Turcs dans l’UE. Par ailleurs, l’imprimerie nationale française ayant assuré la fabrication des passeports syriens jusqu’en 2010 et disposant ainsi de plaques savamment conservées, les autorités françaises ont profité de cette occasion pour faire partir vers l’Allemagne des Maghrébins et des Libanais problématiques en leur fournissant des faux-passeports syriens (Sous nos yeux, Th. Meyssan, éd. Demie-Lune, Collection résistances 2017), ce que les autorités allemandes ne tarderont pas à découvrir.
En 2004, à New York, George Soros accueille Gerald Knaus, directeur de l’ESI pour discuter de la coopération entre leurs deux organisations. Il est alors convenu qu’à l’avenir le rapprochement entre les deux instituts sera approfondi et que leur collaboration sera appelée à s’élargir. Par ailleurs , avant de fonder l’ESI, Gerald Knaus a été analyste à l’antenne moscovite de la Fondation Carnegie, notamment spécialisé dans les questions d’élargissement de l’UE, ce qui pourrait faire l’objet d’une étude sur l’origine des fonds de l’ESI. Les liens entre la Fondation Carnegie, l’Open Society et l’ESI ne sont en rien cachés et prennent largement place dans le dispositif de la NED, outil stratégique de la diplomatie américaine.
C’est dans ce contexte qu’est intervenu la condamnation de la Hongrie et de la Pologne par la Fondation Carnegie dans un article du 4 septembre 2017.
La Fondation Carnegie face aux cas polonais et hongrois
Rappelant les procédures de sanctions en cours contre la Pologne et la Hongrie sur la base base de l’article 7 du Traité sur l’UE (TUE), les auteurs de l’article s’empressent de rappeler que ce mécanisme ne pourra aboutir s’il ne requiert pas l’unanimité contre un seul État membre. Varsovie et Budapest s’étant déjà assurés de leur soutien mutuel au cours d’un éventuel vote sur cette question, les auteurs ne pensent pas que cette procédure soit en mesure de résoudre le problème magyaro-polonais.
Heather Grabbe et Stefan Lehne déplore ainsi l’absence de cadre contraignant permettant de sanctionner tout écart d’un État membre des valeurs de l’UE dégagées à partir de 1992. Ils signalent que le cadre légal prévu à cet effet est minimaliste comparé à celui existant en matière d’intégration économique. Ils rappellent qu’en revanche l’UE se doit de « respecter l’identité nationale des États membres ». Selon les auteurs, le dispositif de sanctions prévu par l’article 7 avait été mis en place pour traiter de cas extrêmes, notamment d’éventuels coups de force. Pour ce qui de la situation actuelle, il est parfaitement inefficace. Devant cette impuissance, les autres États membres n’osent pas aller plus loin dans la mise en oeuvre de nouveaux dispositifs, essentiellement pour quatre raisons selon les auteurs.
En premier lieu, les auteurs avancent le concept de « réflexe de souveraineté ». Opérant une césure entre deux conceptions de l’intégration européenne : l’une fédéraliste, avancée par le Benelux et l’Allemagne, une autre plus souverainiste, défendue par la France, le Danemark et le Royaume-uni, les auteurs rappellent la caractère particulier des pays d’Europe centrale et orientale, les considérant comme très attaché à leur souveraineté retrouvé dans les années 90. Grabbe et Lehne notent que l’intensité de ce réflexe n’a fait qu’augmenter avec la crise financière de 2008 et la plus récente crise des migrants.
En deuxième lieu, les auteurs avancent que, le vie de l’Union étant avant tout consensuelle, une série de sous-groupes ont progressivement vu le jour, décrédibilisant ainsi le fonctionnement de l’UE. Les auteurs citent le groupe de Visegrád, les membres nordiques, le Benelux, les producteurs agricoles de la Méditerranée, les bénéficiaires nets des fonds européens, mais encore les groupement de partis politiques, comme le Parti populaire européen (PPE). Ce même PPE est d’ailleurs très nettement dans le viseur des auteurs, en ce que son inaction aurait laissé M. Orbán continuer sa dérive autoritaire.
En troisième lieu, les auteurs invoquent le « Glasshouse Syndrome » pour expliquer cette inaction des autres États membres. Selon Grabbe et Lehne, certains États ont peur de créer un précédant en allant plus loin dans la condamnation de la Hongrie et de la Pologne. D’après eux, aucun État membre n’est irréprochable sur le plan du respect des valeurs de l’Union. Ils précisent que cela est d’autant plus vrai depuis les vagues migratoires et terroristes conduisant tous les États membres à durcir leur législation en matière de libertés publiques.
En dernier lieu, les auteurs utilisent le terme de « dissuasion inversée » et expliquent que l’article a été conçu comme une sorte d’ « option nucléaire ». Si cette arme peut dissuader, l’échec de sa mise en oeuvre peut en revanche donner raison à l’État concerné et provoquer une « escalade des sentiments nationalistes contre l’UE ». Les auteurs sont convaincus que les interférences externes dans la souveraineté nationale peuvent renforcer les tendances autoritaires d’un gouvernement. De ce fait, l’UE est parfaitement « inhibée » face à ce genre de situations qui laissent ses acteurs sans réponse, si ce n’est celle qui consiste à attendre un changement de régime dans ces pays problématiques. Grabbe et Lehne affirment que ces « stratégies de procrastination » ne sont plus tenables face aux cas hongrois et polonais.
Ils accusent la Hongrie et la Pologne d’avoir démantelé l’État de droit et proclament que le temps où les autres États regardaient ces cas comme « un illibéralisme domestique déplaisant » doit être être révolu. Les auteurs somment les autres États membres d’adopter des « positions fortes » contre la Hongrie et la Pologne, accusant le Fidesz et le PiS d’avoir mis la main sur plusieurs institutions étatiques indépendantes, empêchant ainsi la mise en oeuvre du droit de l’Union dans leurs pays respectifs. Grabbe et Lehne enjoignent les États membres de se ranger derrière les positions de la Commission et du Parlement. La première, sous l’impulsion de Frans Timmermans, premier Vice-Président de la Commission et membre du Carnegie Council for Ethics in International Affairs, a engagé une procédure contre la Pologne suite à la réforme du tribunal constitutionnel polonais. Une procédure du même type est aussi en cours contre la Hongrie suite aux lois prises contre les ONG recevant des financements étrangers. La Carnegie est directement concernée par ces lois, tout comme l’Open Society et l’ESI.
Les auteurs accusent les membres du PPE d’être en partie responsable de l’envenimement du cas hongrois. Selon Grabbe et Lehne, le PPE a attendu trop longtemps jusqu’à ce que certains de ses membres franchissent la ligne en votant la résolution contre le gouvernement hongrois au Parlement européen en mai. Ils expliquent que la Pologne ne pourra faire l’objet du même type de pression, le PiS faisant partie d’un plus petit groupe, bien moins discipliné, les Conservateurs et réformateurs européens. Si les auteurs reconnaissent que les premières décisions d’Orban concernant les médias et les institutions publiques ont été prises en respectant la lettre du droit de l’UE, sans pour autant en suivre l’esprit, ils déplorent que le premier ministre se soit depuis quelques mois engagé dans une surenchère dans le dénigrement de Bruxelles en vue de sa réélection de 2018. Ainsi, d’après les auteurs, les enjeux deviendront-ils criants pour l’UE dans les mois à venir. Pour y remédier, ils proposent un certain nombre de positions à adopter et révèlent ainsi très clairement leur conception de la construction européenne.
La Fondation Carnegie, pourvoyeuse de la « démocratie de marché »
Les auteurs de l’article voient un intérêt fonctionnel et normatif à défendre les valeurs de l’UE. La consolidation « d’un espace de liberté, de sécurité et de justice » implique la sécurité juridique, la prohibition de l’arbitraire, l’indépendance et l’impartialité des cours de justice et l’égalité devant la loi. Une intégration profonde implique selon eux une profonde confiance entre les acteurs de la zone. Ils voient donc dans ce qui se passe en Pologne un facteur de trouble à la confiance entre les acteurs et une cause de « dommage à l’environnement des affaires en Europe ». Les auteurs soulignent à cet égard que, par ailleurs, des entreprises allemandes ont déjà fait part de leur mécontentement concernant certaines « discriminations devant les cours hongroises ».
Le média en ligne hongrois 444.hu, d’inspiration libérale et souvent hostile au gouvernement hongrois, reconnaît d’ailleurs, dans un article du 6 septembre, qu’un des objectifs des auteurs de Carnegie est d’avancer que « là où il n’y a pas d’État de droit, on ne peut pas faire d’affaires ». Dans leur article, Grabbe et Lehne n’utilisent à aucun moment le terme de souveraineté populaire. Rien n’indique qu’ils aient l’intention de prendre en considération, non pas les positions de la Commission et du Parlement, mais les choix fait par les peuples européens à l’occasion d’élections et référendums. Ils opposent, dans leur conclusion, les valeurs libérales à la montée de l’illibéralisme et du nationalisme. Ils s’inquiètent de la menace pesant sur l’intégration économique et politique européenne. S’ils reconnaissent que les États membres sont libres de déterminer leur ordre constitutionnel par des processus démocratiques nationaux, ils affirment que l’Union se doit de fixer des standards permettant aux citoyens de circuler et aux entreprises de s’affairer sans discrimination. Ainsi le climat des affaires est-il placé, dans leur ordre de préoccupations, bien au-dessus du respect des processus démocratiques dans les États membres.
Tout cela est dans la droite ligne de « la démocratie conforme aux marchés » demandée par Angela Merkel depuis l’automne 2011. Aussi les propos de l’actuel président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker en 2015, selon lequel « il ne peut y avoir de choix démocratique contre l’UE », se trouve-t-il confortés. Par ailleurs, la ligne de la Fondation Carnegie colle parfaitement à la conception américaine de la démocratie. Si Abraham Lincoln voit bien dans la démocratie « le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple », la réalité constitutionnelle des États-unis est toute autre. Aux États-unis, le pouvoir est partagé entre les États fédérés et le peuple qui peut exercer des contrôles d’ordre législatifs et judiciaires. Le peuple vote pour la composition du Congrès et choisit certains juges. Les États fédérés choisissent le pouvoir exécutif qui élit à son tour les hauts magistrats. La Cour suprême a rappelé, en 2000, dans l’affaire Gore contre Bush, que l’avis du peuple américain dans le choix du président n’était que consultatif, la décision revenant en dernier ressort aux États fédérés. Alors que, dans sa lettre, la Constitution de la Fédération de Russie reconnait la souveraineté populaire en affirmant que « le détenteur de la souveraineté et l’unique source du pouvoir dans la Fédération de Russie est son peuple multinational » (Titre I, Ch. 1, art. 3), il n’est fait aucune mention de la souveraineté populaire aux États-unis. Mme Merkel et M. Juncker sont les héritiers de cette doctrine juridique ne laissant aucune place à la souveraineté populaire. La fondation Carnegie voyant d’un bon œil les récentes déclarations de M. Macron, il semblerait que ce dernier le soit aussi.
Le Groupe de Visegrád est aujourd’hui clairement dans le viseur de l’Union européenne, particulièrement l’axe Varsovie-Budapest. Ce groupe a vu le jour le 15 février 1991 et avait pour objectif d’orchestrer à marche forcée la conversion de la Hongrie, de la Pologne et de l’ancienne Tchécoslovaquie à l’économie de marché et au complexe militaire euro-atlantiste. Les autorités allemandes et américaines s’appuyaient alors notamment sur Viktor Orban, qui avait bénéficié d’une bourse de la Fondation Soros et s’était vu plus tard recevoir le prix de Liberté de l’American Entreprise Institute, autre pseudopode de le NED. La proximité de Václav Havel avec les services allemands et américains est par ailleurs aujourd’hui avérée. En 2000, Havel avait d’ailleurs eu pour projet de soutenir la candidature de Madeleine Albright (alors secrétaire d’État et à la tête de la branche démocrate de la NED) à la présidence de la Tchéquie. Pour ce qui est la Pologne, l’actuel président de la NED a reconnu en 2005, devant un journaliste de Libération, avoir très largement contribué à mettre sur pied le syndicat Solidarność. Le captage de ces pays et leur conversion à l’économie de marché est actée en 1999 avec leur adhésion à l’OTAN et en 2004 avec leur entrée dans l’UE. Pour des raisons stratégiques évidentes, ces pays ne se sont jamais aventurés à tourner le dos à la stratégie militaire US. La Pologne ne rechigne par exemple jamais à envoyer des contingents de soldats sur les théâtres d’opération où sont engagées les troupes américaines. En 1999, sous le premier cycle de Viktor Orbán, les autorités hongroises avaient très activement collaboré aux manœuvres militaires américaines à sa frontière en préparation de l’intervention dans les Balkans.
Depuis 2010 en Hongrie et 2015 en Pologne, la donne a radicalement changé. Si les gouvernements hongrois et polonais restent encore farouchement attachés à leur appartenance à l’OTAN, ses populations sont désormais loin de l’enthousiasme suscité par leur rapprochement avec les puissance occidentales au début des années 90. Sommés de démanteler leurs industries pour laisser place aux entreprises, notamment allemandes, venues en quête de main d’oeuvre bon marché, les peuples d’Europe centrale voient désormais leur accueil dans le club européen comme procédant directement d’une pure logique de marché. La Fondation Carnegie a bien cerné cette prise de conscience et, de peur que son bébé centre-européen ne lui échappe, le rappelle à l’ordre en soulignant bien, qu’en définitive, la seule loi qui compte est celle du marché.
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