P.Q. La TOUCHE perdue

La clé de Maurice Duplessis

Parler la langue qu'il faut

Tribune libre

--On se demandait : « Que faut-il faire pour renverser Duplessis ? » Nombreux étaient ceux qui répondaient : « Il ne faut pas tomber dans son piège de l’autonomie. Il faut l’attaquer sur sa politique administrative ».C’était pourtant ce qu’on avait fait en 1948 et, depuis cette humiliation, Duplessis n’avait cessé de claironner le même mot, avec un succès grandissant.
Mémoires, Georges-Émile Lapalme, Le vent de l’oubli,
Jamais les souverainistes n’ont été aussi isolés qu’en 2013. Cela m’apparaît indiscutable chaque fois qu’il y a un sondage, davantage depuis les dernières élections. C’est tout dire : même si l’actuel gouvernement péquiste était majoritaire, ce serait un autre gouvernement péquiste assiégé, comme les autres, précisément parce qu’il est souverainiste. Comment donc alors sortir de l’isolement sans jamais cesser d’être souverainiste ?
Malgré un score plus que respectable du P.Q. à sa première tentative électorale, 23% en 1970, les premiers députés du P.Q formaient seulement la troisième opposition à
l’Assemblée nationale, derrière les unionistes et les créditistes. Mais quel ramdam ils ont mené de la troisième opposition ! Et même à 27%, l’actuelle deuxième opposition à l’Assemblée Nationale n’arrive pas à s’imposer au septième seulement de ce que les 7 premiers députés péquistes du temps ont pu réussir.
Mais les sondages révèlent bien autre chose que ce que révèlent les élections. Ils révèlent avec une redoutable constance une partie seulement de la vérité qui, si elle était toute considérée, serait bien plus accablante pour nous, les indépendantistes. Évidemment, les sondages indiquent assez fidèlement le chemin qui reste à parcourir, ce qui n’est pas le plus douloureux pour les vaillants. Mais ils indiquent surtout, et dramatiquement, le peu de chemin parcouru depuis les deux bornes référendaires. Plusieurs détournent la tête, d’autres, le cœur. Ainsi, les incantations à l’indépendance ont servi, et peuvent servir encore dans une petite mesure sur le chemin à parcourir- telle est au mieux la démarche aride d’O.N. avec 2% du vote- mais à la vérité et tout sens politique appliqué, les incantations ne sont plus de mise depuis bien longtemps, si on veut bien regarder froidement le seul chemin parcouru. On peut (et on devrait) se demander si quelque chose se serait passé qui n’aurait pas dû se passer, ce qui peut être plus compliqué que les procès que nous faisons en boucle à Monsieur et à Madame, au seul profit des ennemis de l’Indépendance.
Si la Réalité garde encore ses droits autant que le Rêve, la C.A.Q. compte un électorat déterminant, capable de faire ou défaire le pays. C’est un électorat éminemment sincère mais stationné, comme l’avaient été les électorats unionistes et créditistes à l’époque des débuts péquistes. C’est un stationnement qui peut être envahi. Et, pour d’autres raisons, c’est aussi le cas de Q.S.,- car Q.S. est un « cas »- dont le cœur et la sincérité de son électorat peuvent être incendiés, puis se réchauffer. Je ne doute pas que les stratèges « caquistes » et « solidaires » comptent faire l’inverse et envahir l’électorat péquiste, je doute seulement qu’ils aillent dans le sens de l’Histoire.

Quant à lui, (et tel qu’il nous a été démontré une fois encore l’inconcevable 4 septembre au soir), l’électorat du West Island continuant toujours son train-train depuis bien-bien-bien longtemps avant 1970, son même aveuglement et sa même surdité à notre égard- en fait son même apartheid- tout l’électorat québécois- c’est Nous ça, « l’électorat québécois »- tout l’électorat québécois s’était mis pourtant dès 1970 à écouter ce qu’avaient à dire 7 députés souverainistes seulement, d’un parti et d’un chef qui avaient su capter son attention. S’il n’était pas d’accord sur tout, tout l’électorat écoutait néanmoins ceux dont le langage était clair, qui comptaient brasser la cabane nationale. Hélas, c’est cette TOUCHE politique qu’a perdu le P.Q. au fil du temps, au fil de ses défaites qui sont les nôtres, cette TOUCHE si électrique qu’il peine tant maintenant à retrouver. La longue série de victoires morales du P.Q. fut en réalité une série de défaites les plus cinglantes les unes que les autres, qui atteignirent son moral et celui de toute la nation. Cependant, je crois que c’est au grand mérite de Pauline Marois d’avoir réussi à rectifier le cap d’un navire en perdition, navire déjà abandonné par son capitaine en 1995, alors pourtant que la tempête faisait rage, et navire abandonné à nouveau par son successeur, alors pourtant que la tempête n’était pas terminée.
On hésiterait à moins. Mais les souverainistes se sont mis à hésiter et, la mauvaise spirale de 1995 aidant , si on peut dire une telle énormité qu’ « aidant », à développer une conscience malheureuse qui agit maintenant à la manière d’un repoussoir auprès de l’électorat ; Jacques Parizeau étant évidemment le plus célèbre des repoussoirs, que la presse à genoux agite à la première occasion qu’il pète et rouspète à tort ou à raison, si bien que les plus durs parmi nous n’entendent plus rien ni ne croient plus personne. À tel point que bien des indépendantistes sont les premiers à en dénoncer d’autres, ce que je fais moi aussi, tous pris que nous sommes dans une spirale de loooosers. Et si rien n’est fait, gracieuseté de nos divisions et des repoussoirs que nous générons et vénérons inutilement, c’est en Nous que Nous allons bientôt cesser de croire, ce qui est bien plus grave, car ce ne sont pas seulement les consentements de tous et chacun d’entre nous qui sont fabriqués et trimbalés par des médias à genoux comme Le Devoir et Radio Tralala, c’est bien pire et bien plus grand, c’est une sorte de vacillement, qui s’est d’abord installé comme un étourdissement léger, passager, mais qui perdure depuis longtemps et, sur cette pente qui n’a rien de naturelle, c’est le consentement de toute une nation à son propre abandon qui est suggéré. Nous avons beau être les champions de l’humour, une autre fois encore les champions « du monde entier », Nous ne sommes pas si drôles, sans quoi les libéraux seraient rayés des sondages et de la carte électorale dans le plus grand des éclats de rire.
Il y a un parallèle à faire entre la désertion soudaine et désinvolte des églises, durant les années soixante, et la même désinvolture, exactement la même quoi qu’on en dise, celle avec laquelle Nous avons renoué un certain 2 Mai. Dans les deux cas, une vague soudaine, profonde, qui s’était préparée et qui avait mijoté longtemps, a témoigné qu’un peuple s’estimait souverain et suffisamment légitime, à ce point qu’il pouvait tout aussi cavalièrement qu’il l’avait fait à l’époque, cesser alors de baiser la bague du cardinal et ne plus faire bénir ses autos, qu’il était même capable maintenant d’élire des députés qui ne parlent pas sa langue, ce qui est un plus troublant. Sans doute, à l’époque, le cardinal Léger n’avait pas bien compris ce qui était arrivé à l’Église. Et sans doute aussi, aujourd’hui encore, ni Jacques Parizeau ni Gilles Duceppe n’ont pas du tout compris ce qui est arrivé au Bloc un certain 2 Mai, sans quoi encore, eh oui, c’est à Vigile qu’ils enverraient leurs textes.
Évidemment, le cliché bla-bla serait que l’actuel gouvernement péquiste aurait intérêt à renouer avec les préoccupations citoyennes, les préoccupations légitimes de l’électorat. Facile à dire, les préoccupations citoyennes, les dix milles préoccupations légitimes du peuple, celles des citoyens-marcheurs, et même celles supposément légitimes des citoyens-casseurs, mais la chose n’est pas aisée à faire même si, comme on le sait depuis le printemps érable, et très secondairement depuis les résultats très secondaires d’O.N., la gouvernance souverainiste (dans le système) reste la voie étroite, absolument ingrate, mais la seule méthode permise… Les consensus, en effet, et plus encore l’unanimité des temps lointains, ne sont plus aussi aisés à obtenir, et il est d’autant plus difficile à un gouvernement de se donner de l’élan qu’il est minoritaire et tenu en laisse à l’Assemblée Nationale. Pourquoi donc tout cela ?
Pourquoi donc les leaders péquistes et souverainistes s’acharnent-ils depuis si longtemps à nier, et surtout pour de si piètres résultats, depuis 50 longues années, ce qu’un personnage comme Duplessis avait compris ? Que Nous seuls pouvions être intéressés par l’autonomie, puis maintenant par l’indépendance. Ce n’est pourtant pas un secret pour personne que l’A.D.N. du West Island est d’être réfractaire à notre Indépendance… (Aurait-il fallu que Pauline Marois se fasse tuer devant les caméras un soir d’élection pour que Nous prenions enfin bonne note de la situation ?) Au contraire, est-ce que le secret le mieux gardé, ce n’est pas ni l’autonomisme d’antan, ni l’indépendantisme-du-matin-au-soir-à-gauche-au-centre-à-droite, mais tout simplement Nous ? Sinon, à qui pouvait bien s’adresser Duplessis avec autant de succès si ce n’était pas à Nous déjà, et si ce n’est pas Nous qui sommes encore là, encore en train de tourner en rond, de sommets en sommets, de rues en ruelles à jouer à la cachette avec la police et s’abimer, mais Nous qui avons pourtant un destin, celui précisément de ne plus être abimé ? Un destin ? À partager bien sûr. Mais un destin dont Nous sommes les premiers interpellés et certainement les premiers sur la ligne à devoir l’assumer.
À cet égard, de ce qui ne s’assume pas, il y a au Québec une gauche généreuse qui se laisse intimider par une gauche intolérante, qui se réclame du multiculturalisme canadien. Cette dernière, invariablement contre Nous, qui rejette invariablement tout nationalisme comme s’il s’agissait des fours, mais par ailleurs invariablement prête à croire l’incroyable : que Mulcair serait des nôtres, lui pourtant qui était déjà allé se faire élire légitimement (mais sous les radars) par le West Island de Laval.

Québec-Solidaire ? Solidaire de Qui ? Nous savons le « pourquoi » des choses. Mais solidaire de Qui ? De Nous ou de ceux d ’Ottawa ? David n’est pas solidaire de Nous ni d’ailleurs de personne hors de sa secte rapprochée. Mais Boulerice, lui, solidaire de Françoise ? Solidaire du Canada Uni, Alexandre ? Et sur la même barricade que Stephen ? Ça ne prendra pas le temps que ça prendra pour que nous sachions bientôt si Alexandre Boulerice est des nôtres ou des leurs…

La « Province de Québec » n’a pas d’autre destin que de se survivre, ce qui est peu et qui ne garantit rien. Et Nous n’avons pas d’autre destin que la souveraineté accomplie- c’est juste ça un État-Nation- ce qui n’est après tout que l’humble premier pas d’une infinie série d’autres pas à venir dans notre marche vers l’émancipation et la liberté. Ne faut-il pas chercher d’aussi près, de Nous, l’explication de l’isolement grandissant des souverainistes à l’intérieur des institutions, conséquence de leur isolement à l’intérieur même de l’électorat, à peine capables qu’ils sont maintenant de former un gouvernement minoritaire, de même ensuite que l’isolement très conséquent d’un gouvernement souverainiste assiégé, attaqué de tous bords tous côtés à tous les jours, jusqu’à ce qu’il soit discrédité en même temps que notre idéal ?
Il y a un très froid constat à faire, qui consisterait à s’adresser au bon électorat avec la langue qu’il faut, l’équivalent de parler 450 plutôt que 514, la langue de la capacité plutôt que celle de l’incapacité montréalaise, la langue d’où Nous sommes, plutôt que la langue d’où Nous ne sommes plus déjà que des fantômes. À cet égard, voyons donc une bonne fois et froidement la carte électorale ! « Dé-multiculturaliser » le message, donc, surtout le « dé-montréaliser » s’il est tant discrédité. Et puis envahir Québec, oui, oui, envahir Québec plutôt que de s’agenouiller bêtement comme des nonos devant un « mystère » qui n’en est pas un ! En somme, eh oui, faire le contraire de ce qu’avaient fait Gilles et le Bloc. La finalité de la province consistant depuis son début à Nous contenir, comme Nous maintenir en prison, son destin est d’être aboli. Mais pour cela, nous n’avons pas besoin de parler du nez… non plus que sur le bout de la langue. Nous n’avons pas besoin de clé pour Nous en échapper. C’est Nous la clé !
Et le temps presse … Et bien du bla-bla. Et bien du fla-fla. Et bien du tralala des tralaleux et tralaleuses qui ne manquent pas à Radio-Canada, haut lieu du tralalisme, mais aussi chez les médias mercenaires et les partis démissionnaires.
Il faut Rêver. Nous ne sommes pas suffisamment nombreux à le faire. Mais on ne peut pas seulement Rêver. Le gouvernement Marois doit choisir ses moyens parmi ceux réellement disponibles. Ils ne le sont pas tous. Mais certainement, on ne peut pas vouloir prévenir un peuple de tous ses reculs, de toutes les tempêtes qui pointent à l’horizon, et même de sa déchéance possible, en s’abstenant de s’adresser à lui, à lui seul et directement, pour commencer bien sûr, pour commencer par le début, pour commencer par capter son attention s’il se désintéresse de lui-même, (les signes ne manquent pas), et renouer ainsi avec une TOUCHE politique qui peut seule donner de l’élan.
Si vraiment on espère commencer enfin Quelque Chose…




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