La Catalogne a-t-elle des leçons à donner aux souverainistes québécois?

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Les Catalans, eux, ont de moins en moins de doute sur leur identité

Alors que les souverainistes québécois devront ronger leur frein pendant au moins quatre ans à la suite de la déroute du gouvernement Marois, les indépendantistes catalans, eux, ont l'impression de s'approcher davantage du but. Le gouvernement régional de Barcelone, la Generalitat, compte en effet convoquer les Catalans aux urnes le 9 novembre prochain pour leur poser deux questions. « Voulez-vous que la Catalogne devienne un État ? » et « en cas de réponse affirmative, voulez-vous que cet État soit indépendant » ?
La dernière enquête annuelle du Centre d'Estudis d'Opiniő (mars-avril 2014), un organisme de la Generalitat, semble indiquer que les indépendantistes ont le vent dans les voiles. Ce sondage (avec un échantillon de 2000 répondants et une marge d'erreur de 2,69 %, 19 fois sur 20) estime que le oui à la première question l'emporterait par 57,6 % des voix. Bien que le texte ne le dise pas, cette réponse serait en rupture flagrante avec la doctrine de l'État espagnol et de son tribunal constitutionnel qui considèrent que la Catalogne ne possède pas de droit à l'autodétermination et que ce référendum sera illégal.
Pour la deuxième question, l'indépendance du nouvel État, le sondage dénote un plus grand flottement. 47,1 % des répondants voteraient oui, 27,9 % voteraient non, 12,4 % s'abstiendraient de voter ou annuleraient leur vote, et 12,6 % se disent indécis. Les indépendantistes ont toutefois bon espoir de passer la barre des 50 % à la deuxième question, aidés en cela par l'intransigeance des conservateurs du Parti populaire au pouvoir à Madrid. Intransigeance tant sur la légalité du référendum que sur toute idée de décentralisation de l'État espagnol.
Comme leurs cousins québécois, les nationalistes catalans ont longtemps joué au chat et à la souris avec leur gouvernement central, maintenant le flou sur leur objectif réel, davantage de pouvoir au sein d'une fédération décentralisée ou création d'un État-nation. Cette période de flou semble toutefois s'éloigner à grands pas. Les enquêtes annuelles de Centre d'Estudis d'Opiniő en témoignent. Il y a deux ans (16 au 30 avril 2012), les Catalans sondés (également un échantillon de 2000 personnes) se disaient indépendantistes à 21.5 %. Aujourd'hui, ils sont 45,2 % à se définir ainsi. L'espoir de voir la Catalogne se faire octroyer un statut d'autonomie au sein d'une Espagne transformée en fédération a fondu de 31.2 % à 20 % tandis que ceux qui ont confiance dans la formule actuelle, une communauté régionale, ne sont plus que 23,3 % contre 35,2 % en 2010. Enfin, les partisans du centralisme espagnol sont devenus ultra-minoritaires, 2,6 % contre 7,3 % il y a deux ans.
Plusieurs événements ont accéléré l'évolution nationaliste des Catalans. D'abord, leur statut d'autonomie, préalablement approuvé par voie de référendum tant en Espagne qu'en Catalogne, a été dénaturé par le Tribunal constitutionnel et les conservateurs. Le 28 juin 2012, les juges madrilènes ont rayé 14 des 223 articles du statut d'autonomie, dont la reconnaissance de la nation catalane et la prééminence de la langue catalane en Catalogne. Les tribunaux continuent sur cette lancée pour tenter d'imposer, sans grand succès pour l'instant, une place supérieure au castillan dans les écoles d'immersion en catalan. Le deuxième facteur conjoncturel réside dans la situation économique et l'incapacité du gouvernement de Madrid de sortir le pays du chômage, massif chez les jeunes. Selon le dernier sondage du Centre d'Estudis d'Opiniő, 78,8 % des Catalans jugent que la situation économique va mal, voire très mal, et 45,2 % des répondants estiment que leur situation personnelle s'est détériorée dans la dernière année.
Enfin, le cynisme à l'égard du fonctionnement de la démocratie et de la politique est généralisé. La proportion de citoyens qui disent ne pas avoir du tout confiance dans les institutions est passée de 14,5 à 30,6 % en deux ans, et ceux qui ont peu confiance, de 47,2 à 52,1 %. 72,6 % des répondants estiment que la corruption est « très présente » dans les milieux politiques. Cette opinion est alimentée par deux scandales majeurs qui entourent le financement occulte du Parti populaire au pouvoir à Madrid, l'affaire Gürtel et les comptes secrets de l'ancien trésorier de cette formation, Luis Bárcenas. Des histoires de contributions illégales et de pots de vin contre l'octroi de contrats publics. Tout ceci n'est pas sans rappeler nos propres turpitudes québécoises.
Il y a toutefois des différences marquantes entre les nationalismes catalan et québécois. La première et la plus frappante, c'est que la Catalogne ne possède pas de parti souverainiste qui prétende au monopole politique de l'option comme le fait le Parti québécois. La scène indépendantiste catalane est éclatée. La Generalitat est gouvernée en vertu d'un pacte entre deux formations. Le gouvernement de Barcelone est dirigé par une fédération de centre droit connue sous le nom de Convergència i Unió, au départ davantage autonomiste qu'indépendantiste, mais elle ne se maintient au pouvoir que grâce à l'appui d'Esquerra Republicana de Catalunya, la Gauche républicaine, plus ouvertement indépendantiste. Aucun de ces partis ne reçoit plus de 20 % des intentions de vote dans les sondages et, comme dans bien des pays européens, les gouvernements minoritaires sont la norme.
Un autre petit parti, Candidatures d'unitat popular, 6.4 %des intentions de vote, prône l'indépendance de toutes les régions catalanophones, la Catalogne, les Pays valenciens, les Baléares et une petite frange orientale de l'Aragon. Sur l'échiquier politique de la Generalitat, les partisans du centralisme à la madrilène sont mis à mal. Les conservateurs du Parti populaire n'ont plus que 1,6 % des intentions de vote. Quant au Parti socialiste de Catalogne, soumis à son grand frère espagnol, il est tombé de 17,5 % à 6,1 % en deux ans. Même dans cette formation centraliste, 22,1 % des électeurs socialistes se disent partisans de l'indépendance de la Catalogne. Situation similaire chez les Verts : la proportion d'indépendantistes monte à 43.9 % (5 % des intentions de vote).
Face à cet éclatement politique de l'option indépendantiste, qui donc mène le combat nationaliste en Catalogne ? Avant tout la société civile, pas les partis. Ainsi, fin 2012, c'est une association culturelle, Òmnium Cultural, qui a mené la résistance à l'invalidation du statut d'autonomie par le Tribunal constitutionnel. Cette institution a fait descendre dans la rue un million et demi de Catalans contre Madrid. Au cri de « som una nació, nosaltres decidim », nous sommes une nation, c'est à nous de décider. C'est une autre ONG, Assemblea Nacional Catalana, qui a organisé le gigantesque cortège pour la souveraineté le 11 septembre dernier, un cordon humain de 400 kilomètres de long connu sous le nom de Via Catalana. Enfin, depuis quelques années, des fédérations de municipalités organisent des référendums locaux sur l'indépendance, un mouvement qui constitue une source d'irritation permanente pour les autorités de Madrid. Serait-il possible au Québec de passer le flambeau de la promotion de l'idée d'indépendance à la société civile ? La question mérite d'être posée à la lumière des succès catalans.
Autre différence majeure entre les deux situations, le nationalisme catalan ne s'est pas laissé séduire par un enfermement dans la petite nation de langue catalane. Le statut de la langue est à bien des égards plus précaire qu'au Québec : en 2010, il n'y avait que 47,9 % des participants au sondage annuel du Centre d'Estudis d'Opiniő qui déclaraient parler catalan à la maison et 50,7 % au travail, contre respectivement 40,8 % et 19,7 % pour le castillan. Le bilinguisme s'élevait à 10,3 % à la maison et à 28,2 % au travail. Si l'on ajoute à cela le fait que le quart des Catalans sont nés ailleurs qu'en Catalogne, on comprend pourquoi les nationalistes catalans ont tout à perdre d'un repli identitaire comme celui qui a séduit certains stratèges du Parti québécois ces derniers mois.
Contrairement à la situation canadienne, les nationalistes catalans n'ont pas à se défendre sans cesse d'une supériorité économique supposée du modèle centralisateur. En fait, les Catalans sont majoritairement convaincus qu'ils se débrouilleraient mieux sans Madrid même si 45 % d'entre eux croient qu'une sortie de l'Espagne les expulserait provisoirement de l'Union européenne. Selon le dernier sondage, 45 % des répondants s'estimeraient mieux économiquement en dehors de l'Espagne contre 23 % d'avis contraires. En outre, 75,4 % des répondants se disent d'accord avec l'idée que la Catalogne perçoive et contrôle la totalité des impôts collectés sur son territoire.
Enfin, et c'est peut-être là la clef de l'élan nationaliste sur ces rives de la Méditerranée, les Catalans ont de moins en moins de doutes sur leur identité. Le sentiment d'appartenance à une nation différente de celle de l'Espagne se développe rapidement. En 2010, les gens qui se considéraient essentiellement catalans étaient minoritaires. 17,8 % se disaient exclusivement catalans et 26,5 % davantage catalans qu'espagnols. En 2014, ces pourcentages sont radicalement différents : 29 % se disent uniquement catalans et 26,1 % principalement catalans, soit 55,1 % de la population. Il est important de noter que ce taux est supérieur à la proportion de catalanophones. Ceux qui se disent autant catalans qu'espagnols sont tombés en deux ans de 42 à 31 %, tandis que les habitants de la Catalogne qui se considèrent exclusivement espagnols sont passés de 7,7 à 5,3 %. Enfin, 5,4 % s'estiment davantage espagnols que catalans et 3,1 % n'ont pas d'opinion.
Les Catalans semblent de plus en plus sûrs d'eux-mêmes. Vont-ils décider pour autant le 9 novembre de se doter d'un État-nation ? Rien n'est acquis, certains prévoient même un coup de force de Madrid pour interdire le scrutin, mais ce qu'on peut prédire sans grand risque de se tromper, c'est que le statu quo est désormais intenable.


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