Chantal Guy La Presse - Victor-Lévy Beaulieu a vu lundi dernier sa carrière couronnée du prix Gilles-Corbeil, alors qu'il vient de publier Antiterre, qu'il considère comme la conclusion de «la vraie saga des Beauchemin». Retour sur un prix, retour sur une oeuvre, retour sur l'éternel retour de VLB.
«C'est bon pour mon bas de laine, qui avait des trous», confie Victor-Lévy Beaulieu. Le prix triennal de la Fondation Émile-Nelligan est le mieux doté en Amérique du Nord. «Je ne m'attendais absolument pas à le recevoir, et j'étais très ému.» VLB rajoute en riant qu'il a failli perdre le chèque de 100 000$ en mélangeant deux serviettes...
Deux jours plus tard, il était de retour à Trois-Pistoles. VLB n'aime pas quitter son patelin très longtemps. «C'est à cause de mes animaux», explique-t-il. Ces jours-ci, il tente de trouver des foyers à des chatons abandonnés, promettant un exemplaire de son livre Ma vie avec ces animaux qui guérissent à tous ceux qui adopteront un minou. «C'est un best-seller, mes copies sont épuisées. J'ai reçu 500 courriels pour ce livre-là, alors que, quand je publie un roman, si je reçois 20 courriels, c'est beau.»
Vrai que ceux qui ont lu son oeuvre en entier depuis Mémoires d'outre-tonneau, paru en 1968, sont rares. Car VLB, considéré comme le «Victor Hugo québécois», est l'écrivain le plus prolifique de notre littérature. Une centaine de romans, d'essais, de pièces, des milliers de pages de téléroman, en plus de son travail d'éditeur et ses éclats de polémiste. On a envie de le qualifier de Surhomme des lettres, sachant qu'il écrit présentement un essai sur Nietzsche...
On l'imagine très bien comme Abel Beauchemin, penché sur sa table, donnant sans cesse naissance à son univers. L'opium en moins. VLB a laissé tomber l'alcool il y a longtemps, ne reste plus que l'écriture, sa seule et véritable drogue dure. Son oeuvre est à la mesure du rêve acharné qu'il a eu pour le Québec, si bien qu'on lui demande ce qu'il considère le plus important, entre mettre au monde une oeuvre et mettre au monde un pays. «Pour moi, les deux vont ensemble. J'aime répéter cette vieille phrase de Samuel Butler: il n'y a pas de nationalité sans littérature et pas de littérature sans nationalité. Si tu n'as pas de pays, tu auras beau écrire, ce sera une littérature inconséquente par rapport à l'avenir. Un écrivain est là pour inventer un avenir possible, il doit ouvrir toutes les portes de demain.»
Dans son dernier livre, Antiterre, VLB (et Abel) réalise son utopie. La fin du cycle annoncé au début des années 70 de la saga des Beauchemin, fait de Monsieur Melville, James Joyce, l'Irlande, le Québec, les mots, La grande tribu et Bibi. «Quand j'ai commencé à écrire cette saga, je croyais qu'on serait indépendant. Cela devait s'appeler «le clan ultime», pour souligner que la petite «gang» de Gaulois en Amérique avait réussi son utopie, mais je pense qu'on va attendre encore quelques lunes. Et les gens qui veulent avancer doivent créer une utopie à partir de ce qui n'a pas été fait.»
L'univers en expansion
Si le Québec est «bloqué», ce n'est pas le cas de VLB. Il n'a jamais fait partie des pessimistes et sa force d'écriture est intacte. Il ne réécrit pas, comme d'autres, le même livre. Simplement, il n'a jamais cessé d'écrire un livre immense, véritable épopée de la psyché québécoise autant que relecture allumée, incroyablement vivante, de la littérature mondiale. VLB déprimé? Oubliez ça. Avec ou sans le prix Gilles-Corbeil, il ne lâcherait pas son os. La possible disparition du PQ? Bon débarras. «Je ne verserai pas une larme, parce que je crois que c'est un parti qui n'est plus capable d'absorber d'idées nouvelles.»
Chez VLB, l'univers est vraiment en expansion, du moins par la littérature. D'ailleurs, lui qui trouvait, il y a quelques années, que les jeunes écrivains québécois étaient «bien seuls au monde» a complètement changé d'avis, et le travail des nouveaux éditeurs le réjouit. «La jeune littérature est capable maintenant d'avoir une correspondance avec le monde, elle est contemporaine. C'est un bon signe de santé, même si le politique va mal. D'ailleurs, Nietzsche l'a dit, la littérature et l'art ne sont jamais aussi florissants que dans les sociétés corrompues ou décadentes...»
«Il n'y a rien de pire que les pays qui hésitent entre être ou ne pas être, résume VLB. Comme le disait Artaud, la chose la plus difficile, ce n'est pas de mourir. C'est de penser qu'on ne mourra peut-être pas complètement. La seule façon d'y échapper, c'est de se renforcer. Je suis pour l'immigration; la seule chose qui me fatigue, c'est qu'il n'y a pas de vision politique québécoise pour que les immigrants connaissent ce pays et adoptent ce qu'il est. S'il y avait cette volonté, il n'y aurait pas de problème.» Et VLB rappelle que l'utopie d'Abel Beauchemin est ouverte à tous - bien qu'elle soit à «100% francophone, libertaire et laïque...»
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Antiterre
Victor-Lévy Beaulieu
Éditions Trois-Pistoles, 396 pages
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