L’urgence du jeu du Sultan Culbuto

F6674afc61532e1aab3c339dc6cd86f0

Où s'en va la Turquie ?

Au milieu d’une étonnante, implacable et large purge qui ne montre aucun signe de ralentissement, avec 60 000 – et plus à venir – fonctionnaires, universitaires, juges, procureurs, policiers, soldats emprisonnés, abattus, suspendus ou dépouillés de leur accréditation professionnelle, il est maintenant relativement bien établi que le gouvernement turc a été très bien informé qu’un coup d’État militaire était imminent le 15 juillet. L’information pourrait provenir des renseignements russes, bien que ni Moscou, ni Ankara n’aient révélé les détails. Donc, une fois pour toutes, ce n’était pas un faux drapeau.



Un analyste du renseignement au Moyen-Orient, laïque et haut placé, avec une place de choix à Istanbul pour observer le coup d’État, a clarifié le contexte politique interne avant même la proclamation – largement attendue – de l’état d’urgence (si la France peut le faire, pourquoi pas la Turquie ?), il dit :


« Ils savaient cinq à six heures à l’avance qu’un coup était en cours et l’on laissé aller de l’avant, sachant, comme ils le devaient, que ce serait un échec […] Cette affaire a propulsé Erdogan vers un statut semi-divin parmi ses partisans. La voie est libre pour lui de faire ce qu’il veut, qui sera une présidence puissante et la suppression du principe de laïcité dans la Constitution. Cela ouvrirait la voie à l’introduction de certains aspects de la charia. Il a essayé cela dans les premières années du gouvernement de l’AKP avec l’introduction de Zina, une disposition strictement islamique, qui aurait criminalisé l’adultère et aurait ouvert la porte à la criminalisation des autres relations sexuelles illicites dans l’islam, car Zina concerne ce sujet en général et pas seulement l’adultère. Mais lorsque l’UE a objecté, il a reculé. »


La source de renseignements ajoute :


« Dans les semaines qui ont précédé cet événement, Erdogan avait été inhabituellement discret. Dans cette même période, le Premier ministre avait été remplacé et le nouveau avait annoncé un renversement complet de la politique étrangère, y compris la réparation des relations avec la Syrie. Est-ce que Erdogan a atteint lui-même la conclusion que la politique en Syrie était insoutenable, ou était-ce forcé par les anciens du parti, dans le contexte des dommages énormes qu’il a fait dans le pays de diverses manières, ainsi qu’en Syrie ? S’il a été poussé à changer de politique, le coup d’État manqué lui donne l’occasion de réaffirmer son autorité sur l’échelon supérieur de l’AKP. Certes, cela est arrivé au meilleur moment. »


L’historien turc Cam Erimtan ajoute au contexte, en expliquant comment


« Au début du mois prochain, le Haut Conseil militaire de la Turquie (ou YAS, en turc) est convoqué et il est prévu qu’un grand nombre d’officiers seront alors redondants. L’État turc est décidé à s’engager dans un exercice de nettoyage, en supprimant tous les opposants au gouvernement dirigé par l’AKP. Ce coup-qui-n’était-pas-un-coup fournit alors suffisamment de munitions pour faire un ménage complet dans les rangs […] même si le Président a pointé du doigt, au-delà de l’Atlantique, la silhouette sombre de Fethullah Gülen et de son organisation supposée terroriste FETÖ (Fettullahçı teror Örgütü ou Fethullahist Terror Organisation), insinuant que les comploteurs font partie intégrante de cette ombre, clairement insaisissable, et peut-être même inexistante, qu’est l’organisation. »


Le résultat final ne sera pas beau à voir : Erdogan est maintenant également appelé Commandant en chef de la Turquie, ce qui indiquerait, entre autres choses, qu’il considère la tentative de coup d’État comme une attaque sur sa personne. Quelles que soient les motivations des comploteurs, le résultat final de leur action sera une acceptation encore plus sincère et enthousiaste de la politique de Sunnification menée par Erdogan et peut-être un démantèlement rapide de l’État-nation qu’est la Turquie, pour la remplacer par une fédération anatolienne d’ethnies musulmanes, peut-être liées à un califat revivifié, et à un éventuel retour de la charia en Turquie.


C’est comme si Erdogan avait été béni par un effet inverse du Parrain. Dans le chef-d’œuvre de Coppola, Michael Corleone énonce le célèbre « Juste quand vous pensez que vous êtes dehors, ils vous ramènent dedans ». Dans le cas du parrain Erdogan, juste au moment où il pensait qu’il était irrémédiablement piégé, Dieu – comme il l’a admis – l’a sauvé. Appelons-ça un Sultan Culbuto.


Le Lions contre les Faucons


Comme Erdogan referme sa poigne de fer en interne, une connexion autrefois en acier inoxydable entre l’OTAN et la Turquie s’évapore lentement. C’est comme si le sort de la base aérienne d’Incirlik  était – littéralement – suspendue au fil de quelques ondes radar sélectionnées.


Il y a une méfiance extrême et généralisée en Turquie soupçonnant que le Pentagone savait ce que les rebelles avaient en tête. Il est vrai que pas une épingle ne tombe sur Incirlik sans que les Américains le sachent. Les membres de l’AKP soulignent l’utilisation du réseau de communication de l’OTAN pour coordonner les putschistes et échapper ainsi aux renseignement turcs. À minima, les putschistes ont cru que l’OTAN les soutiendrait. Non, aucun allié OTAN ne daigna avertir Erdogan de l’imminence du coup d’État.


Ensuite, il y a la saga de l’avion ravitailleur des F16 rebelles. Les avions-citernes à Incirlik sont tous du même modèle – KC135R Stratotanker – pour les Américains et les Turcs. Ils travaillent côte à côte et sont tous sous le même commandement : la 10base principale de Tanker, dirigée par le général Bekir Ercan Van, qui a été dûment arrêté dimanche dernier – alors que sept juges ont également confisqué toutes les communications de la tour de contrôle. Ce n’est pas un hasard si le général Bekir Ercan Van se trouve être un proche du chef du Pentagone Ash Carter.


Ce qui est arrivé dans l’espace aérien turc après que l’avion d’Erdogan, le Gulfstream IV, a quitté la côte méditerranéenne et a atterri à l’aéroport Atatürk d’Istanbul a été largement cartographié – mais il y a encore des lacunes cruciales dans le récit, ouvrant à la spéculation. Comme Erdogan a été muet comme une carpe dans toutes ses interviews, on se retrouve devant un scénario de style Mission impossible avec, comme acteurs, les F16 rebelles, Lion Un et Lion Deux, sur une mission spéciale avec leurs transpondeurs éteints. Face à face entre le loyaliste Lion Un et Lion Deux. Lion Un est piloté par personne d’autre que l’homme qui a abattu le Su-24 russe en novembre dernier, il est aux commandes du désormais fameux avion-citerne qui a décollé de Incirlik pour ravitailler les F16 rebelles. S’ajoutent au scénario trois paires supplémentaires de F16 qui ont décollé de Dalaman, Erzurum et Balikesir pour intercepter les rebelles, y compris la paire qui protégeait le Gulfstream d’Erdogan – qui utilisait l’indicatif THY 8456 pour se déguiser en vol Turkish Airlines.


Mais qui était derrière tout cela ?


Erdogan en mission pour Dieu


Le célèbre lanceur d’alerte saoudien, Mujtahid a fait sensation en révélant que les Émirats arabes unis ont non seulement « joué un rôle » dans le coup d’État, mais ont aussi gardé la Maison des Saoud dans le coup. Comme si cela n’était fichtrement pas suffisant, l’émir auto-déchu du Qatar, Sheikh Hamad al-Thani, très proche de Erdogan, a prétendu que les États-Unis et une autre nation occidentale – la France étant une forte possibilité – avaient mis en scène le tout, avec l’implication de l’Arabie saoudite. Ankara, comme prévu, a nié tout cela.


L’Iran, d’autre part, a clairement vu la fin du jeu et a été un fervent partisan d’ Erdogan depuis le début. Et encore une fois, personne ne veut en parler, bien sûr, mais les renseignement russes était très au fait de tous ces mouvements – le prompt appel téléphonique du président Poutine à Erdogan après le coup d’État apporte un crédit à cette thèse.


Encore une fois, voyons les faits basiques : tout agent des renseignements en Asie du Sud-Ouest sait que sans le feu vert du Pentagone, les factions militaires turques auraient eu les plus grandes difficultés, sinon l’impossibilité, d’organiser un coup d’État dans les temps. En outre, au cours de cette nuit fatidique, jusqu’à ce qu’il soit devenu clair que le coup a été un échec, les comploteurs – de Washington à Bruxelles – n’ont pas été exactement décrits comme maléfiques.


Une source supérieure américaine du renseignement, qui ne souscrit pas au consensus washingtonien habituel, est catégorique, « l’armée turque n’aurait pas bougé sans le feu vert de Washington. La même chose avait été prévue pour l’Arabie saoudite en avril 2014, mais a été bloquée au plus haut niveau à Washington par un ami de l’Arabie saoudite ».


La source, qui pense en dehors de la boîte, souscrit à ce qui devrait être considéré comme la clé, l’hypothèse de travail en cours. Le coup d’État a eu lieu, ou a été avancé, essentiellement à cause du rapprochement soudain d’Erdogan avec la Russie. Des Turcs de tous horizons auraient ajouté de l’huile sur le feu, insistant sur le fait que, très probablement, le bombardement de l’aéroport d’Istanbul était une Opération Gladio. Des rumeurs de l’Est à l’Ouest avancent déjà qu’Erdogan devrait quitter l’OTAN tôt ou tard et adhérer à l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS).


Bien qu’Erdogan ne soit un joueur absolument pas fiable et possède un canon géopolitique flexible, une invitation de Moscou-Pékin peut être attendue sous peu. Poutine et Erdogan auront une réunion absolument cruciale début août. Erdogan s’est entretenu au téléphone avec le président iranien Hassan Rouhani. Ce qu’il a dit a provoqué des frissons tout au long de la colonne vertébrale de l’OTAN : « Aujourd’hui, nous sommes déterminés plus que jamais à contribuer à la solution des problèmes régionaux main dans la main avec l’Iran et la Russie, et en coopération avec eux. »


Donc, une fois encore, l’avenir du XXIe siècle est en jeu. L’OTAN contre l’intégration eurasienne, avec le Sultan Culbuto se balançant en plein milieu. Dieu a certainement joué avec ce scénario tentant quand il a parlé à Erdogan sur Face Time.



Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé