Il faut écrire notre Histoire

L'échec de la Révolution tranquille

Des soeurs de la Providence à l'État-providence

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Chronique de Peter Benoit

L’histoire du Big Bang cosmique est fascinante : Une quantité incroyable d’énergie et de matière est concentrée dans un minuscule volume d’une densité inouïe et d’une chaleur inimaginable, dont l’explosion, il y a environ 14 milliards d’années,  entraînera la formation de nos galaxies actuelles et notre chère planète Terre.  L’expansion de l’univers qui en découlait serait toujours en marche bien qu’au ralenti, mais vers quelque chose de beaucoup plus froid à peine supérieur au zéro absolu dans un vaste vide interstellaire avec une densité rendue presqu’infime.  Où ce mouvement va-t-il nous conduire ?  Plusieurs théories ont été échafaudées et certains ont avancé que Dieu n’a pu jouer aux dés avec l’univers…


Pour beaucoup d’historiens et autres intellectuels, la Révolution tranquille a été un véritable Big Bang politique : D’une société tricotée serrée (plus dense), sans dettes (plus d’énergie) et avec plus de 400 ans d’histoire (donc plus de matière), nous avons abouti  à un Québec individualiste presqu’aussi froid que le vide interstellaire, un État lourdement endetté qui limite fortement son expansion et des Québécois voulant devenir des citoyens du monde à la conquête du pays ARGENT.  Cela a été assez bien résumé par le philosophe Jacques Dufresne dans les pages du Devoir il y a à peine quelques jours : Des sœurs de la Providence à l’État-providence.


Comme diraient les acteurs de Mai 68 en France, la crise « du coronavirus » a dépassé toutes nos espérances !  Et les masques vont tomber.  Plusieurs penseurs et acteurs du mouvement indépendantistes ont cru ou croient encore, comme Jacques Parizeau jadis, qu’un Québec inc. fort et structuré allait par enchantement créer une « bourgeoisie » authentiquement québécoise qui allait promouvoir corps et âme l’indépendance ou, du moins, des pouvoirs significativement accrus.  De même, nos mandarins de l’État allaient se comporter comme une véritable Garde prussienne absolument  fidèle, loyale disciplinée et rigoureuse.  Hélas…


Bien sûr, le Québec a agi avec envergure à partir de l’élection de l’équipe du Tonnerre en 1960 et a culminé avec l’élection du PQ en 1976 avec l’adoption d’une panoplie de lois structurantes parmi les meilleures à jamais avoir été adoptées : La Loi 101, le zonage agricole, l’assurance-automobile, la création du ministère de l’environnement  et j’en passe… Tout cela s’est parachevé avec le gouvernement Bouchard qui a mis sur pied les admirables CPE et le populaire programme parental RQAP vers la fin du siècle précédent.   Ce moment de « vérité » aurait fait écho à la soi-disant grande Noirceur qui a prévalu sur environ 15 ans après la Deuxième Guerre mondiale.  Il est, ici, important de remettre les choses en perspective.


À partir de 1960 et jusqu’en 2003, il y a eu une alternance du pouvoir entre avec les Libéraux avant qu’ils ne s’installent dans « le confort et l’indifférence » pendant plus de 15 ans en oubliant l’éphémère gouvernement Marois.  Cette période est d’une longévité analogue à celle du régime Duplessis et, en croire certains acteurs et médias fédéralistes très ardents, fût très lumineuse presqu’une supernova.  Enfin, les Québécois allaient s’ouvrir sur le monde et se libérer du réflexe éminemment archaïque du repli sur soi.  Du poulet St-Hubert en Floride, des trains Bombardier dans le métro parisien et le Cirque du Soleil déployé même jusqu’à Shanghaï en Chine.  Conquérir le monde and speak english !


Une analyse fine à partir de documents publics est assez révélatrice : Les premiers déficits budgétaires du Québec  et l’augmentation importante des emprunts (pour financer, entre autres, le développement de la Baie James) apparaissent sous le gouvernement Bourassa.  Mais les fédéralistes ont souffert énormément depuis le gouvernement Taschereau et, ainsi, toute une culture « distincte » de corruption et de collusion va s’installer peu à peu et progressivement pour soulager et compenser  toutes ces dures épreuves presqu’inhumaines.  De la torture économique innommable et insoutenable que seul un sanguinaire comme Duplessis (quand même non sans taches) peut faire.  Il faudra donc le démoniser sans ménagement, quitte à le rayer de l’Histoire…


Ainsi, à partir de Bourassa, la dette québécoise va s’alourdir et exploser sous Jean Chare$t.  Bref, avant l’élection de la CAQ à l’automne 2018, les gouvernements libéraux successifs depuis Bourassa auront accumulé plus de 80% de la dette publique québécoise.  Malgré les plus dures récessions de l’après-guerre, soit celles de 1981-1982 et de 2001-2002, et la mise sur pied du Transfert social canadien de Paul Martin qui réduira les transferts au Québec, le PQ aura réussi un véritable tour de force à limiter les dégâts.  C’est sans compter l’importante augmentation des paiements  de péréquation que bénéficiera Chare$t & compagnie du gouvernement fédéral devenu pétrolier.


Avec l’apothéose de la corruption, de la collusion et de la malversation, les fédéralistes ont compris qu’un État endetté est un État menotté qui ne peut donc plus agir avec envergure.  Piger dans la caisse et s’empiffrer à partir des coffres du Québec sont maintenant des gestes d’un patriotisme canadien infini qu’il faut récompenser et rémunérer.  Comme dans les années de la Grande Dépression des années 1930, il y a dorénavant une longue filée de serviteurs en devenir pour profiter des largesses de l’État et obéir aux véritables maîtres.  Toute cette « richesse » finira par descendre par gravité dit-on et, évidemment, atteindre des niveaux hiérarchiques sous-jacents qui vont donc aussi en profiter. 


La presque totalité des analyses sérieuses vous le diront : La péréquation n’est absolument pas un cadeau et ne vient en fait que combler les investissements (surtout) et les dépenses que le gouvernement fédéral n’effectue pas au Québec.  Même si le Québec perçoit 55% de la péréquation, la part du Québec au Canada passe à 31% si les autres paiements de transfert sont inclus. De plus, si on tient compte des investissements du fédéral, la part du Québec tombe à 18,5%, soit la proportion du PIB du Québec dans le Canada ; ceci est mentionné noir sur blanc dans les derniers budgets fédéraux qui, bien évidemment, en omettent le détail.  Le chiffre de 18,5% est inférieur au pro rata de la population canadienne de 22-23%.


Également, les experts en la matière le diront, la péréquation est perverse parce qu’elle a pour but de financer sans cesse des programmes sociaux; toute création de richesse étant susceptible de réduire les paiements de péréquation.  La question, ici, est de savoir comment le Québec peut-il générer 15 milliards de $ de revenus récurrents supplémentaires pour s’émanciper de la péréquation ?  Une autre façon de voir les choses serait d’identifier quelles seraient les dépenses annuelles récurrentes de 15 milliards de $, dont le Québec pourrait se passer.  Une combinaison d’augmentation des revenus et de réduction de dépenses est aussi envisageable. 


C’est ce que Legault et la CAQ ont affirmé haut et fort récemment.  La tentative de vendre de l’électricité à l’Ontario pour générer plusieurs milliards de $ récurrents s’inscrit en ce sens, mais, géopolitiquement, l’Ontario n’achètera jamais de l’électricité québécoise; tout au plus des ajustements saisonniers et de gestion de pointe hivernale ou autre.  Un Québec riche est la dernière chose que l’Ontario et le Canada désirent, même s’il faut que les Ontariens paient leur électricité de 2 à 3 fois plus cher. Entre temps, les provinces pétrolières continuent de parler de barrières interprovinciales, d’obstacles au commerce, d’efficacité économique et de protectionnisme… Combien égoïstes sont les Québécois, n'est-ce pas !


Les fraîches données et prévisions économiques de mai 2020 sont implacables : Le Québec verra son PIB reculer d’environ 15% sur les deux prochaines années; ce qui se traduira par des déficits astronomiques, un chômage élevé malgré le remplacement des baby-boomers et, possiblement, une inflation en hausse sans compter les faillites et autres désastres pour les prochaines années à venir.  C’est un cocktail explosif qui va nuire considérablement à la réélection de la CAQ en 2022.  Ces données révèlent une autre chose : La crise du coronavirus a mis en lumière la faiblesse du secteur privé au Québec, notamment à Montréal, qui n’arrive plus à absorber l’immigration massive.


En effet, le chômage à Montréal à près de 25%, soit plus de 50% des autres grandes villes canadiennes, montre qu’il y a une surdose de petits commerces (restaurants, cafés, soins aux personnes, etc.) très précaires qui vivotent grâce à de la main-d’œuvre immigrante à très bon marché. 


Bon, le gouvernement Legault va augmenter les salaires des préposés aux bénéficiaires; ce qui va de soi honnêtement.  Il reste possiblement à augmenter les salaires des professeurs et, si cela devait se matérialiser, le Québec  aurait les médecins, les infirmières, les préposés et les professeurs parmi les mieux payés en Occident.  Le Québec serait donc la Suisse d’Amérique, riche et prospère.  Cela est sans compter les appels à des ratios maîtres-élèves, infirmières-patients et préposés-résidents toujours plus bas qui seront exigés dans un contexte de demande accrue de services avec l’immigration massive et du vieillissement de la population.


La prolifération des écoles privées, des résidences privées pour aînés, des garderies privées, de la médecine privée, etc. sont plus que des symboles de saine concurrence : Cela indique l’essoufflement de l’État et l’incapacité de créer la richesse avant de la distribuer.  De gros monstres bureaucratiques ont été créés au fur et à mesure que l’argent se faisait plus rare; une armada de technocrates froids et calculateurs ont imposé une culture « d’efficacité et de réduction de coûts » dans un univers où personne n’est imputable, ni responsable.  Seul plus d’argent peut aider et ce sera toujours plus d’argent.  Et d’où viendrait cet argent ? : Taxons les banques !,  nous disent Qanada Solidaire (« QS ») dans une version moderne du retentissant « Faisons payer les riches ».  Ce sera plutôt le démantèlement de nos joyaux les plus précieux comme Hydro-Québec et la Caisse qui nous attend.


Ainsi, le Québec en est venu de la défense de ses intérêts à la défense de la péréquation; ce faisant, il démontre qu’il peut évoluer dans le cosmos canadien à la satisfaction des fédéralistes.  Mais cette voie (lactée ?) est sans issue : Elle sert à justifier toujours plus de services publics à une qualité de plus en plus médiocre s’il n’y a pas de création de richesses au préalable.  Le Québec est maintenant arrivé en bout de piste et, si la Révolution tranquille a amené un accroissement relatif du niveau de vie (qui pourrait finalement s’avérer provisoire), elle s’est nettement faite au détriment de l’État québécois avec la dégradation de sa culture et du fait français.  Que Stéphane Dion puisse dire que la Loi 101 est une bonne loi en dit long sur son efficacité…


Il est maintenant venu le temps de poser une réflexion la plus large possible sur l’héritage de la Révolution tranquille dans le but d’apporter du renouveau et trouver les meilleures solutions (et elles existent) pour redresser l’État du Québec, en dépit de l’alliance réactionnaire qui s’y opposera le plus fermement possible.   Déjà, la cheffe Anglade, sœur siamoise de Justin Trudeau et ivre morte de multiculturalisme, salive à l’Idée d’en découdre avec le gouvernement Legault.  Une de ses premières apparitions publiques : Il faut absolument baisser les ratios pour de meilleurs services… 


Finalement, la Révolution est un échec parce qu’elle a faussement véhiculé l’idée que les choses pouvaient changer facilement et naturellement en faisant table rase sur le passé,  l’héritage de plusieurs décennies (d’avant 1960) et la sagesse d’éminents patriotes d’une autre génération.  Il fallait moderniser l’État au plus vite pour rattraper l’Ontario.  Pendant que le Québec découvrait et mesurait sa capacité d’agir; ce qui posait une très grande menace existentielle pour le Canada, ce dernier amorçait sa rupture du pacte de 1867, dont l’inéluctable aboutissement fut la promulgation de la Constitution de 1982.


La Révolution tranquille aurait été, sans doute, un succès si une Constitution, même imparfaite soit-elle, eut été élaborée durant les années 1960 ou 70.  Le Québec et ses acteurs du temps n’ont jamais mesuré le risque s’il advenait que ce Pacte puisse un jour être déclaré nul.  La stratégie du Québec de s’appuyer sur un « acquis », soit  le Pacte de 1867, pour revendiquer davantage de pouvoirs s’est frottée à celle du Canada qui consistait à annihiler justement cet acquis.  S’il est vrai, comme disait Hegel, que la nation est Histoire; alors, il est grand temps de poursuivre son écriture.


 


Prochain article : Stratégies pour redresser le Québec  



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3 commentaires

  • Peter Benoit Répondre

    4 juin 2020

    À François Ricard,


    Je ne dénigrerai jamais ce que mon peuple peut faire, surtout quand je revoie les images de mon père revenir tellement fier de la Baie James.  Je constate que le racisme envers les Québécois existe toujours; l'ayant malheureusement vécu très récemment au travail:  Il est encore inconcevable que des francophones puissent diriger et dire à des employés anglophones quoi faire, même en anglais... Il semble que nous serons toujours des bras sans cerveaux, bref, des porteurs d'eau; le temps de nous assimiler pour de bon.


    Je m'attarde à l'évolution politique du Québec à partir de 1960 et c'est vrai qu'il y a eu un accroissement de la richesse et des conditions sociales jusqu'à la récession de 1981-1982.  Je le mentionne dans mon texte.  Mais cela ne s'est pas fait "gratuitement" ou sans conséquences.


    En fait, le Québec s'est comporté comme une dinde qu'on venait de décapiter juste avant le Réveillon.  Pas de Plan "B" et mal préparé pour affronter la machine fédérale; il aurait fallu se doter d'une Constitution avant la tenue de n'importe quel référendum.


    Il faut constater le recul consternant du français tant en quantité qu'en qualité.et, franchement, la jeune génération n'a aucune espèce d'idée de la Révolution tranquille... Je ne suis pas dans le monde de l'enseignement, mais des amis enseignants au Cégep me le confirment:  Ils notent une méconnaissance effarante du français.  Ainsi, je suis persuadé que de votre septième année du temps, votre français était supérieur à celui des gradués de 2020.  Uniquement au travail, il y a des employés de niveau Maîtrise que je dirige et qui écrivent un français de basse-cour... Extrêmement désolant avec en filigrane "À quoi ça sert le français ? et/ou Le français, c'est pas payant..."


    Je ne suis pas un "Duplessiste" mais un social-démocrate qui constate que nous sommes allés trop loin dans la création de programmes sociaux en se fiant uniquement sur la péréquation; ce n'est pas une stratégie qui tient la route que de se fier au gouvernment d'Ottawa et c'est ce que je voulais démontrer.  À voir la situation actuelle, il est possible qu'un "Big Crunch" soit en cours.  De plus, à écouter certains leaders syndicaux, de l'argent, il y en a en masse et il suffit de l'exiger.  Poursuivre la Révolution tranquille serait sans limites et n'aurait pas de prix...Ce faisant, ne soyons pas trop revendicateurs envers le fédéral car cela pourrait nuire à la péréquation.


    Également, je trouve absurde de glorifier la Révolution tranquille lorsque la cheffe Anglade s'en réclame encore; elle ne parlera jamais de l'incompétent et tragique Taschereau ou des reculs du Québec.  Je pense également qu'il faut mettre la Révolution tranquille en perspective et cesser de l'idolâtrer comme s'il n'y a avait jamais eu quoi que ce soit de bon auparavant ou de mieux éventuellement.  De la même manière, le Duplessisisme n'est pas du noir absolu, bien que j'aie beaucoup de réserves sur ce Monsieur.  Finalement, la Révolution tranquille est devenue la péréquation tranquille...


    Je réfléchis à mes heures et je compte proposer des solutions ou, à tout le moins, susciter un débat.


    Merci de votre commentaire.


  • Jean-Claude Pomerleau Répondre

    3 juin 2020

    Les impôts, le nerf de la guerre.

     

    « La question, ici, est de savoir comment le Québec peut-il générer 15 milliards de $ de revenus récurrents supplémentaires pour s’émanciper de la péréquation ?

    (...)

    Ainsi, le Québec en est venu de la défense de ses intérêts à la défense de la péréquation; ce faisant, »

     

    Le programme de la péréquation est venu remplacer le pouvoir de tatxation direct appartenant au Québec et cédé a Ottawa par Godbout. C'est pour le récupérer que les Duplessis, Lesage et Johnson ont mené une lutte historique, en fait un bras de fer existentiel.

     

    Les souverainistes ont concédé en se repliant sur le déséquilibre fiscale, en attendant le Grand soir, il défendent la péréquation.

     

    Bientôt je vais revenir sur le Rapport Tremblay et sur une époque dite de la Grande noirceur, durant laquelle il était clair que ce bras de fer mené par Duplessis contre Ottawa relevait de l'existentiel pour notre nation...Une lute mené sur les fondements des codes civilationnels, et non sur des erguties de comptables....

     

    JCPomerleau

     

  • François Ricard Répondre

    2 juin 2020

    De 1960 à 1985, l’économie québécoise, grâce aux Lesage, Lévesque, Parizeau, Bourassa première mouture, a connu un essor remarquable. Si bien qu’en 1985, le Québec occupait la 2e place juste derrière l’Ontario.Puis à partir de 1985, commença la dégringolade. Provinciaux et fédéraux se sont ligués pour mettre un frein à cette «révolution tranquille».Trudeau, Chrétien, Martin, Bourassa deuxième mouture, Charest ont mis sur pied des politiques délétères à l’économie québécoise. À noter que tous ces gens étaient des hommes liges de l’empire Desmarais.
    J'ai connu l'avant-révolution tranquille.Alors que l'instruction publique pour le bas peuple se limitait à un certificat de 7e année.Que tous les contremaîtres dans les grandes industries appartenaient au secteur anglophone. J'ai connu la Royal Canadian Air Force des années 1950 où parler français était une faute grave.En 1956, on m'a même fracassé une bouteille sur la tête à Moose Jaw parce que j'insistais à parler français avec un compagnon d'arme.
    M. Benoit,vous dénigrez l'un des plus beaux accomplissements de notre peuple en cette deuxième moitié du 20e siècle.