Jagmeet Singh et le poids du passé

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Le multiculturalisme mène au tribalisme électoral

Le leader néodémocrate Jagmeet Singh affiche fièrement son appartenance à la religion sikhe. Mais cela va-t-il plus loin ? Avant de se lancer en politique fédérale, il a participé à des événements organisés par des partisans d’un État sikh indépendant, le Khalistan. Ces révélations du Globe and Mail ont provoqué une pluie de questions sur le jugement du jeune chef.


En octobre 2017, peu après son élection, Jagmeet Singh fait face à Terry Milewski sur le plateau de Power and Politics, de la CBC. Le journaliste chevronné, qui a couvert la tragédie d’Air India en 1985, lui demande s’il approuve que des temples sikhs affichent des photos de Talwinder Parmar, le cerveau présumé de l’attentat qui a fait 329 victimes.


M. Singh esquive la question et dit ignorer qui est responsable de ce drame. Deux commissions d’enquête ont pourtant identifié M. Parmar comme l’homme derrière le pire acte terroriste de l’histoire canadienne. L’échange provoque des remous, certains accusent M. Milewski de racisme et s’adressent à l’ombudsman de CBC, qui donnera raison au journaliste étant donné les prises de position passées de M. Singh.


L’affaire s’est vite essoufflée, mais au cours des derniers jours, le Globe and Mail a fait état d’événements indépendantistes auxquels M. Singh a participé alors qu’il était député ontarien. En 2015, à San Francisco, il s’est adressé à un rassemblement de partisans du Khalistan et a marché avec eux. En 2016, à Londres, il a participé à un séminaire avec deux partisans de l’indépendance sikhe, dont un jeune militant qui disait que le recours à la violence politique pouvait être justifié dans certaines circonstances.


À ces deux occasions, M. Singh n’a pas appuyé la violence, ni exprimé son soutien à l’indépendance du Khalistan. Le fait qu’il ait accepté d’y participer l’a cependant mis sur la défensive. Il a répondu par écrit au Globe, puis a publié une lettre et, voyant que cela ne suffisait pas, a donné une enfilade d’entrevues. Il a répété sur toutes les tribunes qu’il rejette toute forme de violence et condamne le terrorisme en toutes circonstances. En entrevue, il a déclaré qu’il reconnaissait M. Parmar comme le responsable de l’attentat d’Air India et qu’il était inacceptable qu’on l’honore dans les temples.


Il a refusé de se prononcer sur la création d’un État sikh indépendant, un projet populaire au sein d’une frange de la diaspora sikhe mais dont le soutien s’est pratiquement évanoui au Pendjab. M. Singh juge que la décision revient aux sikhs indiens, dont il respecte le droit à l’autodétermination, une position qu’il défend aussi dans le cas du Québec. (Ce qui fait tiquer au Canada anglais.) Il maintient qu’il continuera de participer aux événements indépendantistes où on l’invitera afin, dit-il, d’inciter ceux qui ont la rage au coeur à canaliser leur énergie vers des actions positives.




 


Il est normal que le chef du NPD défende les préoccupations de sa communauté puisqu’il la comprend intimement. Presque tous les députés issus d’une communauté immigrante, religieuse, culturelle ou autre, en font autant. La diversité de représentation est nécessaire, mais ce qu’on attend de tous ces élus est qu’ils relaient les revendications locales de leurs commettants, pas les combats politiques de leur terre natale.


Le danger pour les politiciens, y compris M. Singh, est de se laisser aspirer par cette politique de la diaspora (diaspora politics, ou politique transnationale). C’est malheureusement la tentation à laquelle cèdent trop d’entre eux pour glaner quelques votes, au point d’influer sur leurs choix politiques, en particulier en matière de politique étrangère.


On l’a vu tout récemment quand le chef conservateur Andrew Scheer a annoncé qu’il reconnaîtrait Jérusalem comme capitale d’Israël. Ou dans le dossier ukrainien sous le gouvernement Harper. Ou encore lors de ce voyage en Inde du premier ministre Justin Trudeau, qui compte dans son caucus 16 députés de religion sikhe, dont quatre siègent au cabinet.


Ce n’est pas parce que Jagmeet Singh est sikh qu’il doit répondre avec clarté aux questions soulevées. Le flou de ses premières réponses sur l’extrémisme sikh et sa participation passée aux événements indépendantistes ainsi que son intention mal avisée de continuer de le faire l’exigent. 


> La suite sur Le Devoir.



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